Recours de l’assureur à l’égard des constructeurs responsables : caractère inopérant de l’inefficacité des travaux effectués, d’un commun accord au vu du rapport de l’expert d’une part, et du dépassement des délais, conduisant à une aggravation des dommages, d’autre part. (Cass. 1e civ., 18 décembre 2001) — Karila

Recours de l’assureur à l’égard des constructeurs responsables : caractère inopérant de l’inefficacité des travaux effectués, d’un commun accord au vu du rapport de l’expert d’une part, et du dépassement des délais, conduisant à une aggravation des dommages, d’autre part. (Cass. 1e civ., 18 décembre 2001)

Ancien ID : 700

Assurance construction – Assurance dommages ouvrage

Recours de l’assureur à l’égard des constructeurs responsables : caractère inopérant de l’inefficacité des travaux effectués, d’un commun accord au vu du rapport de l’expert d’une part, et du dépassement des délais, conduisant à une aggravation des dommages, d’autre part.

Viole les articles L. 121-12, L. 242-1 et A. 243-1 du Code des assurances l’arrêt qui, pour exclure le recours de l’assureur relatif au coût des premières reprises préfinancées par lui, énonce que les travaux effectués se sont révélés inefficaces, et qu’il ne saurait se retrancher derrière l’accord des parties concernées, pour se soustraire à sa responsabilité, alors que lesdits travaux ont été préconisés par son propre expert. Viole, en outre, les articles L. 242-1 et A. 243-1 du Code des assurances, ensemble les articles 1147, 1382 et 1792 du Code civil, l’arrêt qui, pour refuser tout recours de l’assureur contre les responsables des désordres au titre de la réparation des dommages intérieurs, énonce que l’aggravation de ceux-ci était due d’une part, à l’inefficacité des reprises extérieures effectuées à sa demande, et d’autre part, au dépassement des délais légaux, sans tenir compte des responsabilités encourues par lesdits constructeurs.

Cour de cassation (1re Ch. civ.) 18 décembre 2001

Gan c/ M. Noyon et autres

La Cour,

Dit n’y avoir lieu de mettre hors de cause la société Alcan ;

Attendu que, au début des années 1980, la SA d’HLM Les Cités cherbourgeoises (la SA d’HLM) a entrepris la construction de quinze pavillons dont la conception comprenait la pose d’importantes verrières ; que les travaux ont été réalisés, notamment, par M. Noyon, architecte, assuré par la Mutuelle des architectes français (MAF), la société Leduc, l’entreprise Lavolo, M. Françoise et la SARL Anjot frères, assurés par la SMABTP, la Socotec et la société Technal, devenue société Alcan ; que l’assureur dommages ouvrage était le Gan ; qu’après réception des travaux, des désordres sont apparus, consistant en des infiltrations au niveau des verrières ; que, le 23 juin 1986, le maître de l’ouvrage a déclaré le sinistre au Gan, lequel a préfinancé des travaux de reprise ; que, les désordres ayant subsisté, un expert a été nommé, qui a préconisé le remplacement des verrières ; que la SA d’HLM a alors assigné le Gan et les intervenants à l’opération de construction en paiement de diverses sommes au titre de la reprise des désordres, de la reprise des dommages intérieurs et des honoraires de l’architecte ; que l’arrêt attaqué, après avoir condamné le Gan à indemniser son assuré, lui a refusé tout recours en garantie contre les intervenants responsables des désordres et leurs assureurs, pour certaines des dépenses prises en charge par cet assureur ;

Sur le premier moyen, pris en ses quatre branches :

Vu les articles L. 121-12, L. 242-1 et A. 243-1 du Code des assurances ;

Attendu que, pour exclure le recours de l’assureur pour le coût des premières reprises préfinancées par lui, l’arrêt énonce que les travaux effectués, bien qu’assez importants, se sont révélés inefficaces puisque, comme le note l’expert judiciaire, les infiltrations, même si elles ont diminué, ont persisté et qu’il appartient à l’assureur dommages ouvrage de faire effectuer des travaux de reprise utiles et efficaces de sorte qu’il ne saurait se retrancher derrière l’accord des parties concernées pour se soustraire à sa responsabilité, alors que lesdits travaux ont été préconisés par son propre expert ;

Attendu qu’en se prononçant ainsi, alors que, hors le cas de fraude établie, l’assureur dommages ouvrage, chargé par la loi de préfinancer la reprise des désordres qui affectent l’immeuble assuré, n’est pas tenu, à l’égard des participants à l’opération de construction responsables de ces désordres, de garantir l’efficacité des travaux qu’il finance, avec l’accord des autres parties, au vu du rapport de l’expert, lequel n’est pas son mandataire ; qu’en se prononçant comme elle a fait, la cour d’appel a violé les textes susvisés ;

Et, sur le second moyen, pris en ses première et quatrième branches :

Vu les articles L. 242-1 et A. 243-1 du Code des assurances, ensemble les articles 1147, 1382 et 1792 du Code civil ;

Attendu que, pour refuser à l’assureur tout recours, contre les responsables des désordres, en remboursement des sommes mises à sa charge et payées par lui au titre des travaux intérieurs, l’arrêt énonce que l’augmentation, dans des proportions importantes, des reprises intérieures, était due, d’une part, à l’inefficacité des travaux de reprises effectués à la demande du Gan et, d’autre part, au dépassement des délais légaux par cet assureur, de sorte que les désordres intérieurs ne se seraient pas aggravés dans de semblables proportions si le Gan avait, rapidement, dans les délais légaux, préconisé et fait procéder à des travaux de reprise de nature à mettre fin aux infiltrations ;

Attendu qu’en excluant ainsi tout recours de l’assureur contre les responsables des désordres, sur le fondement d’un motif inopérant tiré de l’inefficacité des travaux initialement réalisés, et en considération du défaut de diligence imputé à cet assureur, sans tenir compte des responsabilités encourues par les constructeurs, la cour d’appel a violé les textes susvisés ;

Par ces motifs, et sans qu’il y ait lieu de se prononcer sur les deuxième et troisième branches du second moyen du pourvoi :

Casse et annule, mais seulement en ce qu’il a débouté le Gan de sa demande de garantie au titre des premiers travaux de reprise et des travaux intérieurs.

NOTE

1. L’arrêt rapporté décide qu’il n’y a pas lieu de limiter le recours de l’assureur dommages ouvrage :

– en cas d’inefficacité des premiers travaux de réparation financés, avec l’accord de toutes les parties, par l’assureur dommages ouvrage, sur la base du rapport de l’Expert désigné par ledit assureur ;

– en cas d’aggravation des dommages intérieurs dus à l’inefficacité des premiers travaux de réparation de réfection de l’ouvrage et au non-respect par l’assureur dommages ouvrage des délais et obligations qui pèsent sur lui pour prendre position sur le principe de sa garantie et pour faire, s’il ne l’a dénie pas, son offre indemnitaire.

1) Sur l’étendue du recours de l’assureur en cas d’inefficacité des travaux de réparation préconisés par l’expert désigné à son initiative

2. En la circonstance, l’assureur dommages ouvrage avait préconisé des travaux de reprises des dommages affectant l’extérieur de l’ouvrage assuré, sur la base des préconisations de l’expert désigné à son initiative, mais avec l’accord de toutes les parties, y compris les responsables de plein droit et leurs assureurs de responsabilité ; ces travaux s’étant révélés inefficaces, un expert judiciaire préconise alors d’autres travaux efficaces, qui mettent fin aux désordres.

Le bénéficiaire de l’assurance assigne alors l’assureur dommages ouvrage et les constructeurs responsables de plein droit, tandis que les juges du fond condamnent seulement, semble-t-il, l’assureur dommages ouvrage, mais déclarent ce dernier infondé dans son recours en garantie à l’encontre des constructeurs responsables de plein droit, au prétexte de l’inefficacité des travaux préconisés par « son propre expert ».

L’arrêt est censuré par la Cour suprême, dont la cassation était inévitable, dès lors qu’il est clair que l’expert, s’il est bien désigné à l’initiative de l’assureur, sous contrôle d’ailleurs du bénéficiaire de l’assurance qui peut le récuser, n’est pas pour autant « le propre expert » de l’assureur, ni son mandataire d’une part, tandis qu’il est par ailleurs évident, notamment par suite de ce qui précède, que l’assureur n’est pas tenu à l’égard des responsables de garantir l’efficacité des travaux qu’il ne fait que préfinancer, d’autre part.

2) Sur l’étendue du recours de l’assureur qui a encouru les sanctions pour non respect des délais et obligations qui pèsent sur lui

Pour les constructeurs responsables de plein droit et leurs assureurs de responsabilité, défendeurs à un recours en garantie ou à un recours subrogatoire de l’assureur dommages ouvrage, la tentation est grande d’opposer à celui-ci le fait que son paiement a, pour cause unique et justification, les sanctions encourues pour inobservation des délais et obligations qui pèsent sur lui pour prendre parti sur la mise enjeu des garanties du contrat d’assurance, puis s’il ne dénie pas sa garantie, pour faire son offre indemnitaire.

Cette argumentation est totalement fondée en ce qui concerne les assureurs de responsabilité décennale des constructeurs concernés, lorsque l’assureur dommages ouvrage est tenu d’assurer, à titre de sanction, le paiement des travaux nécessaires à la réparation de dommages qui ne sont pas de la nature de ceux dont sont tenus les responsables de plein droit, en vertu de l’article 1792 du Code civil.

En revanche, elle est partiellement fondée en ce qui concerne les constructeurs, car si le recours subrogatoire de l’assureur dommages ouvrage ne peut, à l’évidence, prospérer, dans l’hypothèse ci-avant envisagée, sur le fondement du texte précité, il le peut sur le fondement de l’article 1147 du Code civil au titre de la responsabilité contractuelle de droit commun, impliquant, selon la nature des obligations inexécutées ou mal exécutées, la preuve ou non d’une faute, étant rappelé que le recours subrogatoire de l’assureur de choses à l’encontre du responsable ou de ses assureurs, s’exerce quel que soit le fondement de la responsabilité encourue, en vertu de l’article L. 121-12 du Code des assurances (Cass. 1re civ., 10 juin 1997, Bull. civ. II, no 191, en matière d’incendie ; Cass. 1re civ., 9 novembre 1999, Bull. civ. I, no 293, en matière d’assurance dommages ouvrage).

Mieux encore, par arrêt du 2 octobre 1997 (Cass. 2e civ., 2 octobre 1997, Bull. civ. II, no 242), la Cour suprême énonce le principe selon lequel « le responsable du dommage, qui n’est ni le souscripteur, ni le bénéficiaire d’un contrat d’assurance de choses, est sans qualité à critiquer la prise en charge du sinistre par l’assureur de la chose ».

On rappellera aussi qu’avant la loi du 31 décembre 1989 et l’arrêté du 13 juillet 1990, lorsque l’assureur était tenu au paiement du coût des réparations, selon la propre estimation de l’assuré, les constructeurs et leurs assureurs de responsabilité discutaient alors l’étendue du recours de l’assureur dommages ouvrage, ou encore le quantum de l’indemnité, mais cette époque est désormais révolue, puisque, par suite du transfert dans la loi des sanctions, et de la suppression de certaines clauses types, la sanction relative au paiement des travaux de réparation ne peut plus correspondre à l’estimation de l’assuré, et doit nécessairement correspondre au strict coût objectif des réparations nécessaires (Cass. 1re civ., 10 janvier 1995, Bull. civ. I, no 22, RGAT 1995, p. 109, note J.-P. Karila ; voir également sur la question J.-P. Karila et J. Kullmann, Lamy assurances 2002, no 2883, et la jurisprudence citée).

Dans l’espèce, objet de l’arrêt rapporté, la discussion se situait à un autre niveau : les constructeurs responsables de plein droit et leurs assureurs de responsabilité discutaient le quantum de l’indemnité réglée au titre des réparations intérieures, en raison de l’aggravation desdits désordres, résultant, selon eux, de l’inefficacité des premiers travaux de reprises effectués à l’extérieur de l’ouvrage et/ou du « dépassement des délais légaux » par l’assureur dommages ouvrage, dépassement en l’absence duquel l’assureur aurait, toujours selon eux, « préconisé et fait procéder à des travaux de réparation de nature à faire cesser les infiltrations ».

La Cour suprême rejette la première branche du second moyen qu’elle qualifie d’inopérant, comme elle l’avait fait à propos du premier moyen, et s’agissant de la quatrième branche de ce second moyen, qui soutenait la violation de l’article 1382 du Code civil, elle écarte le « défaut de diligences imputé à l’assureur », en raison de ce que le juge du fond n’avait pas tenu compte des responsabilités encourues par les constructeurs.

La solution s’inscrit dans l’esprit de ce qu’avait déjà jugé la Cour suprême le 30 mars 1994 (Cass. 3e civ., 30 mars 1994, RGAT 1994, p. 580, note critique J.-P. Karila), en énonçant que l’absence de souscription de l’assurance dommages ouvrage par celui qui était tenu de le faire, ne constitue ni une cause des désordres, ni une cause d’exonération de la responsabilité décennale des constructeurs, mais aussi dans le droit fil de ce qu’elle avait déjà jugé, toujours au regard de l’étendue de l’action du maître de l’ouvrage, en décidant que la mise en oeuvre tardive par celui-ci de l’assurance dommages ouvrage, entraînant une aggravation des dommages, ne constituait pas une cause des désordres, ni une cause d’exonération de la responsabilité de plein droit des constructeurs (Cass. 3e civ., 11 décembre 1995, RGDA 1996, p. 136, note critique J. Bigot).

En ce sens, l’arrêt rapporté ne peut être critiqué.

Jean-Pierre Karila RGDA 2002-01 p.124

Articles associés

    • Divers

    Recours de l’assureur à l’égard des constructeurs responsables : caractère inopérant de l’inefficacité des travaux effectués, d’un commun accord au vu du rapport de l’expert d’une part, et du dépassement des délais, conduisant à une aggravation des dommages, d’autre part. (Cass. 1e civ., 18 décembre 2001)