Assurance dommages ouvrage – Recours du garant de livraisoncontre l’assureur. Prescription de l’article L. 114.1 du Code des assurances (oui). Présence de l’assureur à l’expertise ordonnée par le juge des référés. Possibilité pour l’assureur de se prévaloir de l’absence de déclaration de sinistre (oui).
Le recours du garant de livraison subrogé dans les droits du maître d’ouvrage assuré au titre de l’assurance dommages ouvrage est soumis à la prescription de deux ans prévue par l’article L. 114.1 du Code des assurances (1re espèce).
La présence de l’assureur dommages ouvrage à une expertise ordonnée par le juge des référés saisi par les maîtres d’ouvrage, ne constitue pas une manifestation de volonté non équivoque de cet assureur de renoncer à se prévaloir de l’absence de la déclaration de sinistre exigée par les articles L. 242-1 et A. 243-1 et son annexe II du Code des assurances, et est en conséquence opposable au garant de livraison (2e espèce).
1)Cour de cassation (3e Ch. civ.) 27 janvier 2010, Pourvoi n° 08-21291, Bull. civ. II, n° 23
Société AIOI Motor et General Insurance Company of Europe Ltd c/ SMABTP
La Cour,
Sur le moyen unique, pris en sa première branche :
Attendu, selon l’arrêt attaqué (Paris, 24 septembre 2008), que les époux X…, maîtres de l’ouvrage, ont, par contrat du 28 mai 1999, chargée de la construction d’une maison individuelle la société Demeures Nouvelles Riom construction, assurée en responsabilité décennale par la Société mutuelle du bâtiment et des travaux publics (SMABTP) ; que ce constructeur a souscrit auprès de la SMABTP une assurance dommages ouvrage pour le compte des maîtres de l’ouvrage et une garantie de livraison à prix et délais convenus auprès de la société Chyodat, devenue la société Aioi Motor General lnsurance Company of Europe Limited (la société Aioi) ; que le constructeur ayant abandonné le chantier avant réception, la société Aioi, compte tenu de malfaçons importantes nécessitant la démolition et la reconstruction de l’ouvrage, a dédommagé les époux X… puis, invoquant la subrogation dans leurs droits, a assigné le 26 juin 2003 la SMABTP en remboursement des sommes correspondant à l’indemnisation des désordres de nature décennale ;
Attendu que la société Aioi fait grief à l’arrêt de déclarer sa demande irrecevable comme prescrite, alors, selon le moyen, que le débiteur qui s’acquitte d’une dette qui lui est personnelle bénéfice de la subrogatïon s’il a, par son paiement, libéré envers leur créancier commun celui sur lequel doit reposer la charge définitive de la dette ; que le garant de livraison, qui prend en charge la réparation de désordres de nature décennale, bénéficie d’un recours contre l’assureur dommages-ouvrage, sur lequel repose la charge définitive de cette indemnité ; que ce recours fondé sur la subrogation ne dérive pas du contrat d’assurance ; qu’il est donc autonome et n’est pas soumis à la prescription biennale ; qu’en retenant le contraire, pour déclarer prescrit le recours dirigé par la société Aioi contre la SMABTP, la cour d’appel a violé les articles 1251.30 du Code civil, L. 242-1 du Code des assurances, L. 231-6 du Code de la construction et de l’habitation et L. 114-1 du Code des assurances ;
Mais attendu qu’ayant relevé que la société Aioi exerçait son recours contre la SMABTP, au titre de la police dommages ouvrage, assurance, non de responsabilité mais de chose, comme subrogée aux droits des maîtres de l’ouvrage, qui avaient la qualité d’assurés et qu’elle avait indemnisés, et ayant à bon droit retenu que le garant de livraison, qui a indemnisé les assurés de l’assureur dommages-ouvrage et qui exerce contre ce dernier son recours subrogatoire, ne dispose pas à l’égard de cet assureur de plus de droit que n’en avaient les propres assurés de celui-ci, la cour d’appel en a exactement déduit que ce recours, dérivant du contrat d’assurance, était soumis à la prescription de deux ans prévue par l’article L. 114-1 du Code des assurances ;
D’où il suit que le moyen n’est pas fondé ;
Par ces motifs :
Rejette le pourvoi ;
2)Cour de cassation (3e Ch. civ.) 10 février 2010 Pourvoi no 09-65186, Bull. civ. III, n° 36
Société Aioi Motor & General Insurance Company of Europe Ltd c/ Société Aviva
La Cour,
Sur le moyen unique, pris en sa première branche :
Attendu, selon l’arrêt attaqué (Versailles, 24 novembre 2008), que les époux X… ont, par contrat du 19 mars 1998, chargé la société ABIP Maisons Challenger de la construction d’une maison individuelle ; que le constructeur a souscrit auprès de la société Aviva assurance (société Aviva) une assurance dommages ouvrage pour le compte des maîtres de l’ouvrage et une garantie de livraison à prix et délais convenus auprès de la société Aioi Motor & General lnsurance Company of Europe Ltd (société Aioi) ; qu’à la suite de la défaillance de la société ABIP Maisons Challenger, placée en liquidation judiciaire, et de l’abandon du chantier par la société Environnement et tradition désignée pour achever les travaux par la société Aioi, cette société a, après expertise, en exécution d’une ordonnance de référé du 25 juin 2003, réglé aux époux X… la somme provisionnelle de 120 059 euros correspondant au coût des travaux de démolition et de reconstruction et à l’indemnisation du trouble de jouissance ; qu’invoquant la subrogation dans les droits des époux X…, la société Aioi a assigné le 8 février 2005 la société Aviva en remboursement de la somme de 98 424,27 euros correspondant à l’indemnisation des désordres de nature décennale ;
Attendu que la société Aioi fait grief à l’arrêt de déclarer sa demande irrecevable, alors, selon le moyen, que les dispositions d’ordre public de l’annexe II à l’article A. 243-1 du Code des assurances imposant à l’assuré, pour mettre en œuvre la garantie de l’assurance dommage obligatoire, de faire, soit par écrit contre récépissé, soit par lettre recommandée avec demande d’avis de réception une déclaration de sinistre à l’assureur, lequel doit désigner un expert ou, en cas de récusation, en faire désigner un par le juge des référés, interdisent seulement à l’assuré de saisir directement une juridiction aux fins de désignation d’un expert ; que l’assureur dommages-ouvrage, qui n’a pas opposé le défaut de déclaration de sinistre par l’assuré dans les formes prescrites au cours de l’instance de référé aux fins de désignation d’expert, ne peut se prévaloir ensuite de cette fin de non-recevoir dans le cadre de l’instance au fond tendant à sa condamnation ; qu’en déclarant irrecevable la demande de la société Aioi pour défaut de déclaration de sinistre, après avoir constaté que l’assureur ne s’était pas prévalu de cette fin de non-recevoir au cours de l’instance de référé, la cour d’appel a violé les articles L. 242-1 et A. 243-1 du Code des assurances ;
Mais attendu que la cour d’appel a justement retenu que la présence de la société Aviva à l’expertise ordonnée par le juge des référés, saisi directement par les maîtres de l’ouvrage, ne constituait pas une manifestation de volonté non équivoque de cet assureur de renoncer à se prévaloir de l’absence de la déclaration de sinistre exigée par les articles L. 242-1 et A. 243-1 et son annexe Il du Code des assurances ;
Par ces motifs :
Rejette le pourvoi…
Note
1.Les deux arrêts rapportés concernent le recours du garant de livraison contre l’assureur dommages ouvrage. Dans les deux cas le garant de livraison agissait en qualité de subrogé dans les droits du maître d’ouvrage, bénéficiaire de l’assurance dommages ouvrage.
Dans les deux cas la subrogation ne sera pas « profitable » au garant de livraison dont le recours est rejeté pour prescription de l’action du subrogeant dans le premier cas, et dans le deuxième cas pour irrecevabilité de l’action du subrogeant, en raison de l’absence de déclaration de sinistre de celui-ci dans les formes et conditions exigées par les articles L. 242-1 et A/243-1 et son annexe II du Code des assurances.
De sorte que le garant de livraison n’est pas plus fondé, dans son recours à l’encontre de l’assureur dommages ouvrage, dans les hypothèses ci-avant évoquées, objet des arrêts rapportés, qu’il ne l’a été dans son recours à l’encontre du banquier prêteur objet de trois arrêts des 2, 15 et 16 décembre 2009 que nous avons commentés dans ces même colonnes (J.-P. Karila et L. Karila, RGDA 2010, p. 104).
2.Le premier arrêt rapporté ne remet pas en cause notamment les arrêts de principe concernant le recours du garant de livraison contre l’assureur dommages ouvrage, arrêts rendus les 3 juillet 2001 (Cass. 1re civ., 3 juill. 2001 – no 98-12750 – Bull. civ. I, no 200) et 13 novembre 2003 (Cass. 3e civ., 13 nov. 2003 – no 02-14500 – Bull. civ. III, no 195), dernier arrêt qui énonce que « le débiteur qui s’acquitte d’une dette qui lui est personnelle peut néanmoins prétendre bénéficier de la subrogation s’il a, par son paiement, libéré envers leur créancier commun, celui sur lequel doit peser la charge définitive de la dette ».
On rappellera néanmoins que deux arrêts du 3 décembre 2008 (Cass. 3e civ., 3 déc. 2008 – no 07-20931 – Bull. civ. III, no 192 ; Cass. 3e civ., 3 déc. 2008 – no 07-20932 – Bull. civ. III, no 192 [Constr. urb. 2000, Comm. 8, X. Sizaire]) avaient posé le principe contraire en énonçant, à l’occasion du recours du garant de livraison contre le constructeur de maison individuelle qu’il ne disposait pas à l’encontre de celui-ci du recours subrogatoire institué par l’article 1251. 3o. du Code civil, dès lors qu’il ne fait qu’exécuter une obligation qui lui est personnelle et qu’il est tenu, dans ses rapports avec le constructeur, de la charge définitive de la dette qu’il a acquittée à la suite de la défaillance de celui-ci.
3.Dans le cadre de cette première espèce, la Haute Juridiction valide un arrêt de la cour de Paris qui avait déclaré irrecevable l’action du garant de livraison en sa qualité de subrogé dans les droits des maîtres de l’ouvrage au motif que celui-ci ne pouvait avoir plus de droit que n’en avaient lesdits maîtres d’ouvrage dont l’action, avant subrogation, était prescrite en application de l’article L.114-1 du Code des assurances, la cour d’appel ayant en la circonstance « exactement déduit » que ledit recours dérivant du contrat d’assurances était soumis à la prescription de deux ans prévue par le texte précité.
4. Dans la deuxième espèce, les subrogeants maîtres d’ouvrage avaient assigné en référé expertise les constructeurs concernés par les désordres dont ils se plaignaient ainsi que l’assureur dommages ouvrage, lequel ne leur avait néanmoins pas opposé l’irrecevabilité de leurs demandes d’expertise en l’absence de la déclaration de sinistre exigée par les articles L. 242-1 et A. 243-1 et son annexe II du Code des assurances, comme il est jugé de façon constante depuis un arrêt de principe du 28 octobre 1997 (Cass. 1re civ., 28 oct. 1997 – no 95-20621 – Bull. civ. I, no 293, JCP G, 1997, 2, no 22962, rapp. P. Sargos) réitéré depuis à de nombreuses reprises.
Dans le cadre de son pourvoi, le garant de livraison soutenait que dès lors que l’assureur dommages ouvrage n’avait pas opposé, au cours de l’instance de référé en désignation d’un expert, le défaut de déclaration de sinistre par l’assuré dans les formes prescrites, il ne pouvait plus se prévaloir de cette fin de non recevoir dans le cadre de l’instance au fond tendant à sa condamnation ; le garant de livraison prétendant en conséquence que la cour d’appel avait violé de ce fait les articles L. 242-1 et A. 2423-2 du Code des assurances.
La Haute Juridiction rejette le pourvoi au motif pertinent « que la Cour d’Appel a justement retenu que la présence de la société Aviva à l’expertise ordonnée par le Juge des Référés, saisi directement par les maîtres de l’ouvrage, ne constituait pas une manifestation de volonté non équivoque de cet assureur de renoncer à se prévaloir de l’absence de la déclaration de sinistre exigée par les articles L. 242-1 et A. 243-1 et son annexe II du Code des assurances ».
La solution n’est pas nouvelle, la Haute Juridiction ayant statué très exactement dans le même sens le 18 février 2004 (Cass. 3e civ., 18 fév. 2004 – no 02-17523 – Bull. civ. III, no 32).
5.Les solutions retenues dans les deux arrêts rapportés sont pertinentes et justifiées et emportent en conséquence notre entière approbation.
J.-P. Karila et L. Karila – RGDA n° 2010-02, P. 375