Assurances en général – Portée et étendue de l’effet interruptif de la citation de justice (Cass. 3e civ. 18 novembre 2009) — Karila

Assurances en général – Portée et étendue de l’effet interruptif de la citation de justice (Cass. 3e civ. 18 novembre 2009)

Ancien ID : 806

Assurances en général -Prescription – Effet interruptif de la citation de justice. Portée et étendue.

Viole l’article 2244 du Code civil, ensemble les articles 1792 et 2270 dudit code, l’arrêt de la Cour d’appel qui, pour écarter la fin de non recevoir opposée par un constructeur tirée de la prescription de l’action d’une Société d’HLM maître d’ouvrage, relativement à une première tranche de travaux, confère à une assignation délivrée par l’assureur dommages ouvrage à un autre constructeur, un effet interruptif au profit du maître de l’ouvrage, au motif que si en principe la prescription ne peut s’étendre d’une action à une autre, il en est autrement lorsque ces deux actions, quoique ayant des causes distinctes, tendent à un seul et même but, et ce alors que l’action de la Société HLM et celle de l’assureur dommages ouvrage n’avaient pas le même objet et que pour être interruptive de prescription, la citation en justice doit être adressée à celui que l’on veut empêcher de prescrire.

Cour de cassation (3e Ch. civ.) 18 novembre 2009, pourvois n° 08-13642, Bull. 250 et n° 08-13676, Bull. 251

HLM c/ Eiffage

La Cour,

Sur le premier moyen du pourvoi no C 08-13673 :

Vu l’article 2244 du Code civil, ensemble les articles 1792 et 2270 du Code civil, applicables en la cause ;

Attendu, selon l’arrêt attaqué (Bordeaux, 22 janvier 2008), qu’entre 1991 et 1993, la société Habitations à loyers modérés Habitation Économique (la société HLM), maître de l’ouvrage et maître d’œuvre d’exécution, assurée selon police dommages ouvrage par la société Axa Assurances lard, a, après avoir confié à M. X…, architecte, assuré par la Mutuelle des Architectes Français (la MAF), une mission qui a pris fin à la phase « Assistance Marché de Travaux », chargé la société Société Auxiliaire d’Entreprise de l’Atlantique (société SOCAE) de la construction, en deux tranches, de maisons individuelles ; que la réception est intervenue sans réserve, pour la première tranche (quinze maisons) le 15 mai 1992, et pour la seconde tranche (seize maisons), le 30 avril 1993 ; que des moisissures, qui avaient été constatées, dès le premier hiver d’occupation 1992-1993, en plafond de certaines maisons, s’étant développées l’hiver suivant, la société HLM a assigné en référé expertise la société Axa, qui a appelé en déclaration d’ordonnance commune les constructeurs et les assureurs ; que l’expert, désigné par ordonnance du 10 septembre 1997, a déposé son rapport le 15 janvier 2001 que la société HLM a, par acte des 25 et 26 février et 5 mars 2003, assigné en réparation la société SOCAE, devenue la société Eiffage Construction Atlantique (société Eiffage), M. X…et la MAF ;

Attendu que pour écarter la fin de non-recevoir opposée par la société Eiffage tirée de la prescription de l’action de la société HLM s’agissant de la première tranche de travaux, l’arrêt retient que si, en principe, la prescription ne peut s’étendre d’une action à une autre, il en est autrement lorsque les deux actions, quoique ayant des causes distinctes, tendent à un seul et même but, de telle sorte que la seconde est virtuellement comprise dans la première, que tel est le cas de l’action de la société HLM, maître de l’ouvrage, et de celle de la société Axa, assureur dommages ouvrage, qui, bien que procédant de contrats distincts, tendaient à la mise en œuvre d’une même expertise judiciaire relative aux mêmes travaux, en vue de la détermination des dommages subis et des responsabilités encourues, que l’assignation délivrée par l’assureur dommages ouvrage à la société SOCAE a donc interrompu la prescription décennale au profit de la société HLM jusqu’au prononcé de l’ordonnance du 10 septembre 1997 ;

Qu’en statuant ainsi, alors que l’action de la société HLM et celle de l’assureur dommages ouvrage n’avaient pas le même objet que pour être interruptive de prescription, la citation en justice doit être adressée à celui que l’on veut empêcher de prescrire, la cour d’appel a violé les textes susvisés ;

Et attendu qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le second moyen du pourvoi no C 08-13673, ni sur le moyen unique du pourvoi no U 08-13642, qui ne seraient pas de nature à permettre l’admission de ces pourvois ;

Par ces motifs :

Casse et annule, mais seulement en ce qu’il déboute la société Eiffage de sa demande de fin de non recevoir et déclare la société HLM recevable en son action contre cette société (…).

Note

1. À quand, sinon la tenue d’une assemblée plénière, du moins d’une chambre mixte pour enfin unifier la jurisprudence sur l’irritante question de la portée et de l’étendue de l’effet interruptif des assignations et ordonnances de référé expertise en cas de succession/multiplication, dans la même affaire, de plusieurs ordonnances de référé, au regard notamment de l’article 2244 du Code civil ou encore de la prescription biennale de l’article L 114-1 du Code des assurances.

2. On rappellera à cet égard que l’article 2244 du Code civil, dans sa rédaction antérieure à la loi du 17 juin 2008 pose le principe selon lequel « une citation en justice, même en référé, un commandement ou une saisie, signifiés à celui qu’on veut empêcher de prescrire, interrompent la prescription ainsi que les délais pour agir », tandis que l’article L 114-1 du Code des assurances a, quant à lui, institué une prescription biennale relativement « à toutes actions dérivant du contrat d’assurance » ce texte précisant le point de départ dudit délai biennal, l’article L 114-2 dudit Code énonçant ensuite les diverses causes d’interruption de la prescription biennale s’ajoutant « aux causes ordinaires de la prescription » d’une manière générale.

De sorte que la problématique, au regard de la question centrale de savoir si la prescription est ou non acquise, sera nécessairement envisagée soit en fonction du droit commun en la matière et de la durée de la responsabilité du responsable, qui peut être un assuré, soit et ou en fonction des dispositions spécifiques s’appliquant aux actions dérivant du contrat d’assurance.

Ceci explique que dans la plupart des arrêts rendus par la Cour de cassation, il est fait référence à la fois à l’article 2244 du Code civil et à l’article L 114-1 du Code des assurances, voire également en outre, à l’article L 114-2 dudit Code.

3. On rappellera ici les principes admis, jusqu’à ces dernières années, par l’ensemble des chambres de la Haute Juridiction statuant au visa de l’article 2244 du Code civil ou encore de l’article L 114-1 et L 114-2 du Code des assurances à savoir :

– l’interruption ne peut concerner que la personne que l’on a voulu empêcher de prescrire en lui délivrant une citation de justice en référé ou au fond (Cass. 3e civ., 23 février 2000, no 98-18 340, RGDA 2000, p. 545, note J.-P. Karila ; Cass. 3e civ., 23 juin 2004, no 01-177723, Bull. civ. III, no 124),

– l’interruption ne peut concerner que les seuls désordres expressément visés dans la citation de justice d’une part (voir notamment Cass. 3e civ., 21 juillet 1999, RGDA 1999, p. 1028, note J.-P. Karila), et les seuls constructeurs (Cass. 3e civ., 16 juin 2009, no 08-13587 non publié au Bulletin) d’autre part.

– l’interruption de la prescription par une assignation en référé dirigée contre l’assuré est sans effet sur le cours de la prescription de l’action directe du tiers lésé contre l’assureur (Cass. 2e civ., 17 février 2005, no 03-16590, Bull. civ. III, no 364 ; RGDA 2005, p. 433, note J.-P. Karila).

4. Néanmoins la jurisprudence a connu un certain nombre de turbulences remettant en cause les solutions ci-avant évoquées, notamment celle relative à la portée nécessairement limitée de l’effet interruptif d’une citation en justice, aux seules personnes auxquelles ladite citation en justice a été délivrée.

Plus précisément il a existé, à un moment donné une divergence d’opinion entre la deuxième chambre civile et la troisième chambre civile, puis semble t-il une certaine convergence de vue, voire une unification des solutions adoptées par les deux chambres considérées.

Dans ce contexte, l’arrêt rapporté du 18 novembre 2009 remet en cause cette apparente unification.

5. Aussi convient-il de rappeler/préciser les fluctuations ci-avant évoquées de la jurisprudence et son dernier état avant l’arrêt rapporté du 18 novembre 2009, si l’ont fait à cet égard abstraction des arrêts rendus par la première chambre civile notamment en 2001 (Cass. 1re civ., 29 mai 2001, no 09-14127, RGDA 2002, p. 67, M. Bruschi) et en 2004 (Cass. 1re civ., 27 janvier 2004, no 01-10748, RGDA 2004, p. 398, note J. Kullmann), arrêts qui avaient admis que « toute décision judiciaire apportant une modification quelconque à une mesure d’expertise ordonnée par une précédente décision a un effet interruptif de prescription à l’égard de toutes les parties et pour tous les chefs de préjudice procédant du sinistre en litige ». On précisera concernant les solutions retenues par la deuxième et troisième chambre civile que :

– par arrêt du 22 septembre 2004 (Cass. 3e civ., 22 septembre 2004, no 03-10923, Bull. civ. III, no 138) la troisième chambre civile avait adopté une solution de même nature que celle ci-dessus évoquée de la première chambre civile, à propos d’une procédure au fond engagée initialement sur le fondement de la garantie décennale, puis sur le fondement de la responsabilité contractuelle de droit commun dans le cadre d’une nouvelle action, en énonçant que « si, en principe, l’interruption de la prescription ne peut s’étendre d’une action à une autre, il en est autrement lorsque les deux actions, quoiqu’ayant des causes distinctes, tendent à un seul et même but… » ;

– par arrêt du 21 mai 2008 (Cass. 3e civ., 21 mai 2008, no 07-13561, Bull. civ. III, no 91, RGDA 2008, p. 639, note J.-P. Karila) la troisième chambre civile, statuant ici en matière de référé expertise, s’est démarquée en revanche nettement de cet esprit d’une part, et de la solution qu’avait retenue en 2001 et 2004 la première chambre civile, d’autre part.

Aux termes de cet arrêt, la troisième chambre civile a en effet cassé un arrêt de la Cour d’Aix-en-Provence, qui avait retenu qu’une ordonnance de référé rendant commune une mesure d’expertise avait un effet interruptif à l’égard de toutes les parties y compris à l’égard de celles appelées à la procédure initiale, et ce pour tous les chefs de préjudice du sinistre en litige.

La cassation est prononcée pour violation de l’article 2244 du Code civil (en sa rédaction alors applicable et antérieure à la loi du 17 juin 2008), et ce à raison de ce que l’ordonnance de référé déclarant commune à d’autres constructeurs une mesure d’expertise précédemment ordonnée n’avait pas d’effet interruptif de prescription à l’égard de ceux qui n’étaient parties qu’à l’ordonnance initiale :

– par arrêt du 19 juin 2008, la deuxième chambre civile (Cass. 2e civ., 19 juin 2008, no 07-15.543, Bull. civ. II, no 143, RDI 2008, p. 450, note G. Leguay, RGDA 2008, p. 450, note M. Bruschi) rendu au visa, cette fois des articles 2244 et L 114-2 du Code des assurances a adopté une solution plus conforme à l’esprit de la solution retenue en septembre 2004, et ce dans le cadre d’une procédure certes au fond, mais qui tient compte de l’effet interruptif d’une ordonnance de référé concernant d’autres parties que celles attraites initialement en référé expertise d’une part, et du fait que l’ordonnance initiale avait été frappée d’appel d’autre part ;

– par arrêt du 24 février 2009, la troisième chambre civile (Cass. 3e civ., 24 février 2009, no 08-12746, non publié au Bulletin) a alors nettement abandonné la solution qu’elle avait énoncée le 21 mai 2008, revenant en quelque sorte à celle adoptée en 2004 par la première chambre civile ou encore en 2008 par la deuxième chambre civile.

Aux termes de cet arrêt du 24 février 2009, la troisième chambre civile casse pour défaut de base légale au regard des dispositions des articles 2244 du Code civil et L 114-1 du Code des assurances, un arrêt d’une Cour d’appel, pour n’avoir pas recherché, comme il lui était demandé, si une ordonnance rendant commune les opérations d’expertise à certains constructeurs n’avait pas interrompu la prescription, également à l’égard de ceux appelés uniquement à la procédure initiale puisqu’aussi bien « toute décision judiciaire apportant une modification quelconque à une mission d’expertise ordonnée par une précédente décision a un effet interruptif de prescription à l’égard de toutes les parties, y compris à l’égard de celles appelées uniquement à la procédure initiale, et pour tous les chefs de préjudice procédant du sinistre en litige » :

– par arrêt du 3 septembre 2009 (Cass. 2e civ., 3 septembre 2009, no 08-18068, non publié au Bulletin) la deuxième chambre civile, adoptait, dans le même esprit et dans le cadre d’une validation d’un arrêt d’appel le même principe en énonçant « mais attendu que, si les ordonnances de référé rendant communes à d’autres parties les opérations d’expertise ordonnées en référé, sont des décisions judiciaires apportant une modification à la mission de l’Expert, et ont dès lors un effet interruptif de prescription à l’égard de toutes les parties, y compris à l’égard de celles appelées uniquement à la procédure initiale, tel n’est pas le cas à l’égard de l’assureur qui, bien qu’ayant assisté aux opérations d’expertise, n’était pas partie à l’instance de référé… » ;

– par arrêt du 22 octobre 2009, la deuxième chambre civile (Cass. 2e civ., 22 octobre 2009, no 09-19840, Bull. civ. II, Veille Juridique ) confirme une décision d’une Cour d’Appel aux motifs ci-dessus évoqués.

6. On observera incidemment la variation de la motivation de la Haute Juridiction pour fonder/conférer un effet extensif à l’interruption d’une citation en justice, au préjudice de personnes auxquelles ladite citation de justice n’a pour autant pas été délivrée.

La Haute Juridiction fonde en effet cette extension par la considération que l’ordonnance commune entraînerait soit « une modification quelconque à une mesure d’expertise ordonnée par une précédente décision », soit seulement « une modification à une mesure d’expertise ».

Une telle motivation renvoie à l’idée que la mission conférée initialement serait, de facto, par la nouvelle ordonnance, modifiée alors que, stricto sensu il n’en est rien, seul le nombre de personnes concernées par ladite mission l’étant…

C’est dire qu’en définitive le fondement de l’extension de l’effet interruptif de la citation en justice est purement artificiel.

7. L’arrêt rapporté rendu par la troisième chambre civile le 18 novembre 2009 revient donc à la solution rigoureuse et pertinente en droit qu’avait adoptée cette même chambre notamment par l’arrêt précité du 21 mai 2008 et nous ne pouvons que nous en féliciter.

La cassation d’un arrêt de la Cour de Bordeaux est prononcée ici pour violation de l’article 2244 du Code civil, ensemble les articles 1792 et 2270 dudit code (devenu depuis l’article 1792-4.1).

On observera aussi que la cassation est prononcée en raison notamment de ce que l’action du maître d’ouvrage et celle de l’assureur dommages ouvrage n’avaient pas le même objet, ce qui sans doute était rigoureusement exact mais non significatif à notre avis, l’essentiel, comme le relève la Haute Juridiction étant que la citation en justice, pour être interruptive, doit être adressée à celui que l’on veut empêcher de prescrire.

8. Il reste que la contradiction de jurisprudence entre la deuxième et la troisième chambre civile n’est pas satisfaisante de sorte que nous ne pouvons qu’appeler de nos vœux sinon la tenue d’une assemblée plénière du moins d’une chambre mixte aux fins d’adoption d’une solution unifiée.

On signalera dans cette optique que le Conseil d’État applique littéralement les dispositions de l’article 2244 du Code civil (dans sa rédaction antérieure à la loi du 17 juin 2008) et énonce dans un arrêt de section remarquée du 22 octobre 2009 (CE, 7 octobre 2009, req. no 308163) mentionné dans les tables du recueil Lebon qu’il résulte de ce texte comme de l’article 2270 du Code civil et des articles 1792 à 1792-4 dudit Code, c’est-à-dire des « dispositions applicables à la responsabilité décennale des architectes et des entrepreneurs à l’égard des maîtres d’ouvrage publics, qu’une citation n’interrompt la prescription qu’à la double condition d’émaner de celui qui a qualité pour exercer le droit menacé par la prescription et de viser celui-là même qui en bénéficierait », le Conseil d’État ayant annulé en la circonstance une décision de la Cour de Bordeaux qui avait attribué un effet interruptif, au regard du délai d’action en garantie décennale à l’encontre des constructeurs, à une citation en justice délivrée par le maître d’ouvrage public à l’égard seulement de son assureur dommages ouvrage et à raison d’un litige avec celui-ci.

9. Enfin, pour être exhaustif, et au-delà du strict commentaire de l’arrêt rapporté rendu dans le cadre d’une procédure de référé, on précisera qu’à notre avis la solution retenue par l’arrêt précité du 22 septembre 2004 (supra no 5) sur l’effet extensif de l’interruption d’une action sur une autre introduite ultérieurement sur un fondement juridique différent, est désormais condamnée par l’arrêt de l’Assemblée plénière du 7 juillet 2006 (AP, 7 juillet 2006, arrêt no 8, Bull. civ. 2006) qui pose le principe selon lequel « il incombe au demandeur de présenter dès l’instance relative à la première demande l’ensemble des moyens qu’il estime de nature à fonder celle-ci ».

Jean-Pierre Karila – RGDA 2010-01, p. 76

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