Ancien ID : 594
Assurances en général – Prescription – Effet interruptif de la citation en justice. Portée. Personne à laquelle elle a été délivrée.
Viole l’article 2244 du Code civil, une Cour d’Appel qui, pour écarter la fin de non-recevoir tirée de la prescription de l’action fondée sur la responsabilité des constructeurs, retient que lorsque l’assignation en désignation d’expert et l’action tendant à faire déclarer la mesure commune à d’autres constructeurs émanent du maître de l’ouvrage, l’ordonnance de référé déclarant la mesure d’instruction commune a un effet interruptif de prescription à l’égard de toutes les parties y compris à l’égard de celles appelées à la procédure initiale pour tous les chefs de préjudice procédant du sinistre en litige.Source : Cass. 3ème civ., sect., 21 mai 2008, n° 07-13561
1. En dépit de la clarté des dispositions de l’article 2244 du Code civil selon lequel « une citation en justice, même en référé, un commandement ou une saisie, signifiés à celui que l’on veut empêcher de prescrire, interrompent la prescription ainsi que les délais pour agir », il arrive parfois que les juges du fond avec, il est vrai, à l’occasion « l’aval » de la Haute Juridiction, tout en visant le texte précité, le violent allègrement en ce qu’il limite l’effet interruptif de l’acte concerné (citation de justice, commandement, saisie…), n’hésitant pas à étendre ledit effet interruptif de l’acte concerné à d’autres personnes qu’à celles auxquelles il a été signifié.
C’est ainsi notamment que la Cour de Bordeaux dans un arrêt inédit du 26 mars 2007 (CA Bordeaux, 1re Chambre, RG : 04/4429, SCI DUPEPI c/ Compagnie AGF DIEF c/ DEC et autres) a dit et jugé par voie de réformation d’un jugement du Tribunal de Grande Instance de la même ville, que l’assignation en référé délivrée à la requête du maître de l’ouvrage à l’assureur dommages ouvrage le 26 novembre 1998 avait interrompu la prescription, certes à l’égard dudit assureur mais aussi à l’égard des constructeurs déjà dans la cause « en vertu d’une précédente ordonnance de référé du 2 avril 1998 », la Cour de Bordeaux soulignant que l’ordonnance de référé du 9 décembre 1998 rendue en suite de l’acte interruptif précité du 26 novembre 1998 avait non seulement rendu commune à l’assureur dommages ouvrage les précédentes opérations d’expertise mais aussi étendu la mission de celui-ci.
C’est ainsi encore que la Cour d’Aix-en-Provence dans un arrêt rendu le 25 janvier 2007 objet d’un pourvoi ayant donné lieu à l’arrêt de cassation rapporté, a étendu, au préjudice d’un constructeur, l’effet interruptif de plusieurs ordonnances de référé qui avaient rendu commune à d’autres constructeurs la mesure d’instruction/expertise précédemment confiée au contradictoire du constructeur dont s’agit.
2. Pour justifier l’extension de l’effet interruptif en violation des dispositions précitées de l’article 2224 du Code civil, la Cour d’Aix-en-Provence a dit et jugé ce qui suit :
« Attendu que lorsque l’assignation en désignation d’un expert et l’action tendant à faire déclarer la mesure commune à d’autres constructeurs émanent du maître de l’ouvrage, l’ordonnance de référé déclarant la mesure commune a un effet interruptif de prescription à l’égard de toutes les parties y compris à l’égard de celles appelées uniquement à la procédure initiale, pour tous les chefs de préjudice procédant du sinistre en litige ».
3. L’effet « expansionniste » de certaines décisions des juges du fond s’explique probablement notamment par la confusion entre les dispositions précitées de l’article 2244 du Code civil et celles des articles L. 114-1 et L. 114-2 du Code des assurances.
On rappellera à cet égard que l’article L. 114-1 du Code des assurances, qui institue, dans les rapports entre l’assuré et l’assureur, une prescription biennale, précise en son troisième alinéa que « quand l’action de l’assuré contre l’assureur a pour cause le recours d’un tiers, le délai de la prescription ne court que du jour où ce tiers a exercé une action en justice contre l’assuré ou a été indemnisé par ce dernier », tandis que l’article L. 114-2 énonce, quant à lui, que « la prescription est interrompue par une des causes ordinaires d’interruption de prescription et par la désignation d’experts à la suite d’un sinistre ».
4. Le constructeur au préjudice duquel il avait été retenu l’effet interruptif, attaché à un acte qui ne lui avait pas été délivré/signifié, prétendait justement et judicieusement dans le cadre de son premier moyen de cassation ne comportant qu’une branche que « sauf en ce qui concerne les actions dérivant d’un contrat d’assurance l’assignation en référé aux fins de déclarations d’expertise commune n’a d’effet interruptif de prescription qu’à l’égard des parties qu’elle vise ; qu’en retenant que l’ordonnance de référé déclarant commune la mesure d’expertise à d’autres constructeurs avait interrompu la prescription à l’égard de toutes les parties y compris lui-même, appelé uniquement à la procédure de référé initiale, la Cour d’Aix-en-Provence avait violé par fausse interprétation les articles 2244et 2270 du Code civil, et par fausse application les articles L. 114-1 et L. 114-2 du Code des assurances ».
On rappellera, ci-après, quelques principes en matière de prescription de droit commun comme en matière de prescription spécifique du Code des assurances.
5. 1o Prescription de droit commun.
En vertu de l’article 2244 du Code civil, la citation en justice « n’interrompt la prescription qu’à la double condition d’émaner de celui qui a qualité pour exercer le droit menacé par la prescription et de viser celui-là même qui est en train de prescrire » comme l’indique excellemment le Professeur Taisne (J.-J. Taisne, JurisCl. civ., articles 2242 à 2250, Fasc. 60, no 58).
Ainsi l’assignation en référé délivrée à certains constructeurs à la requête de l’assureur dommages ouvrage ne produit pas d’effet interruptif de la prescription décennale au profit du Syndicat des copropriétaires à l’encontre de ces mêmes constructeurs (Cass. 3e civ., 23 juin 2004, no 01-17723, Bull. civ. III, no 124), de même que d’ailleurs l’assignation en référé délivrée à la requête du maître de l’ouvrage à l’assureur dommages ouvrage ne peut avoir d’effet interruptif au préjudice d’un constructeur (Cass. 3e civ., 23 février 2000, no 98-18340, Bull. civ. III, no 27 ; RGDA 2000.545, note J.-P. Karila ).
On rappellera à cette occasion que l’effet interruptif de toute action en justice se referme sur son objet et ne peut par conséquent concerner que les seuls désordres expressément visés dans ladite citation d’une part (voir notamment Cass. 3e civ., 21 juillet 1999, RGDA 1999.1028, note J.-P. Karila ) et les seuls constructeurs attraits en justice d’autre part.
6. 2o Prescription de droit commun et/ou prescription spécifique du Code des assurances.
C’est toujours en vertu de l’esprit du même principe édicté par l’article 2244 du Code civil que l’interruption de la prescription de l’action en référé dirigée contre l’assuré est sans effet sur l’action directe du tiers lésé contre l’assureur, comme l’a expressément énoncé la 2e Chambre civile dans un arrêt du 17 février 2005 (Cass. 2e civ., 17 février 2005, no 03-16590, Bull. civ. II, no 364 ; RGDA 2005.433, note J.-P. Karila ) au visa notamment de l’article L. 114-1 du Code des assurances et de celui de l’article 2244 du Code civil.
À l’inverse et selon la même logique, l’assignation en référé à l’encontre de l’assureur ne peut avoir d’effet interruptif à l’égard de l’assuré (Cass. 3e civ., 23 janvier 1991, no 89-15527, Bull. civ. III, no 29).
Il convient de préciser sur ce dernier point que l’arrêt cité ci-avant du 23 janvier 1991, rendu, au seul visa des articles 1792 et 2270 du Code civil, a, par la cassation qu’il a prononcée, eu pour conséquence de déclarer l’action du maître de l’ouvrage irrecevable tant à l’égard de l’assuré, ce qui était normal et logique puisqu’aussi bien celui-ci avait été attrait en justice postérieurement à l’expiration du délai de prescription de sa responsabilité, qu’à l’égard de l’assureur, et ce au motif implicite que la responsabilité de l’assuré devait être établie, ce qui était exclu en raison du caractère tardif de la mise en cause de celui-ci.
Cette situation est aujourd’hui dépassée depuis un arrêt de principe du 7 novembre 2000 (Cass. 1re civ., 7 novembre 2000, no 97-22582, Bull. civ. 2000, I, no 274, RGDA 2000.1108, note J. Kullmann, JCP 2001, I, 340, chron. G. Viney, JCP G 2000, I, 10456, D. 2001, somm. P. 3320, obs. H. Groutel), réitéré à de nombreuses reprises, encore dernièrement (Cass. 3e civ., 24 octobre 2007, no 06-17295, Bull. civ. 2007, III, no 181, RGDA 2008.124, note J.-P. Karila ), selon lequel la recevabilité de l’action directe du tiers lésé à l’encontre de l’assureur du responsable n’est pas subordonnée à la mise en cause de l’assuré.
On relèvera à cet égard que dans un arrêt récent du 21 février 2008, la Haute Juridiction (Cass. 2e civ, 21 février 2008, no 07-10951, RGDA 2008.376, note J.-P. Karila et C. Charbonneau), au visa de l’article L. 124-3 du Code civil a validé un arrêt d’une Cour d’Appel qui avait déclaré recevable l’action engagée par le maître d’ouvrage contre l’assureur de responsabilité décennale dans le délai de dix ans de ladite responsabilité alors même que l’action intentée contre l’assuré avait été, quant à elle, introduite hors délai.
7. 3o Prescription spécifique du droit des assurances.
Par un arrêt remarqué, bien que non publié au bulletin, du 29 mai 2001 (no 99-14127, RGDA 2002.67, note M. Bruschi), la 1re Chambre civile a validé un arrêt d’une Cour d’appel qui avait décidé notamment qu’une ordonnance de référé confiant une mission complémentaire à un expert désigné par une précédente ordonnance de référé avait un effet interruptif à l’égard de toutes les parties en cause y compris celles au contradictoire desquelles l’ordonnance initiale avait été rendue, rejetant ainsi le moyen du demandeur au pourvoi qui prétendait à la violation de l’article L. 114-2 du Code des assurances.
La validation de l’arrêt de la Cour d’appel étant justifiée selon la Haute Juridiction en raison de ce « que toute décision judiciaire apportant une modification quelconque à une mission d’expertise ordonnée par une précédente décision a un effet interruptif de prescription à l’égard de toutes les parties et pour tous les chefs de préjudice procédant du sinistre en litige » ;
Cette solution a été réitérée par un arrêt rendu également par la 1re Chambre civile le 27 janvier 2004 (no 01-10748, RGDA 2004.398, note J. Kullmann) qui casse un arrêt d’une Cour d’appel qui, conformément au principe édicté par l’article 2244 du Code civil, avait, pour déclarer irrecevable l’action du maître de l’ouvrage à l’encontre d’un assureur qui n’avait pas été attrait dans la procédure d’extension de la mission d’un expert désigné par une précédente ordonnance auquel ledit assureur était partie, énoncé « qu’une citation n’interrompt la prescription qu’à la double condition d’émaner de celui qui a qualité pour exercer le droit menacé par la prescription et de viser celui-là même qui est en train de prescrire », la cassation étant prononcée dans le cadre d’un attendu de principe reproduisant également la formulation ci-avant reproduite de l’arrêt précité du 29 mai 2001, et ce au visa de l’article 2244 du Code civil… ainsi qu’au visa de l’article L. 114-2 du Code des assurances…
8. La Cour d’Aix-en-Provence, dont l’arrêt a été censuré par la Haute Juridiction dans l’arrêt de cassation rapporté, a reproduit elle aussi, purement et simplement la formule précitée de l’arrêt précité du 29 mai 2001, y ajoutant toutefois que l’extension de l’effet interruptif suppose en outre que les différentes actions en référé expertise et/ou en référé expertise commune émanent du maître de l’ouvrage.
Cette « précaution » n’a pas pour autant sauvé l’arrêt de la Cour d’Aix-en-Provence dont la cassation était inévitable au regard des principes ci-dessus rappelés (supra no 5 à 7).
9. Le rédacteur de la présente note approuve sans réserve la cassation prononcée par l’arrêt rapporté, qui a l’avantage de censurer une violation manifeste de l’article 2244 du Code civil.
Étant observé que la Haute Juridiction n’a pas cru nécessaire, contrairement au moyen du pourvoi et à l’avis de l’Avocat Général, de censurer l’arrêt de la Cour d’Aix-en-Provence pour violation par fausse application des articles L. 114-1 et L. 114-2 du Code des assurances.
Si la cassation emporte notre approbation, nous nous devons néanmoins de souligner qu’elle conduit le praticien à être particulièrement vigilant en la matière, sa responsabilité pouvant être naturellement engagée de façon non critiquable.
Si en effet on peut regretter la trop grande sévérité des juges à l’égard des professionnels comme notamment les avocats au prétexte d’une violation, même non caractérisée, de l’obligation d’information, de conseil et/ou encore de mise en garde, en revanche il est normal et logique que la responsabilité du professionnel soit retenue lorsque ledit professionnel n’agit pas dans le délai de la prescription de la responsabilité de celui que son client entend voir mettre en oeuvre et alors qu’il dispose de tous les éléments pour le faire.
On conseillera en conséquence aux avocats et différents praticiens/professionnels de prendre la précaution, lorsqu’ils assignent en référé aux fins de voir déclarer commune une expertise précédemment ordonnée, d’attraire à la cause les parties, au contradictoire desquelles, la première ordonnance a été rendue.
J.-P. Karila – RGDA 2008 – 3 – p. 639