Assurances en général – Prescription. Interruption. Portée (Cass. 3e civ., 28 mars 2012) — Karila

Assurances en général – Prescription. Interruption. Portée (Cass. 3e civ., 28 mars 2012)

Ancien ID : 993

Assurances en général – Prescription. Interruption. Portée – Ordonnances de référé successives. Effet interruptif de prescription erga omnes (oui).

Viole les articles L. 114-1 et L. 114-2 du Code des assurances la Cour d’Appel qui, pour déclarer l’action prescrite d’un Syndicat des Copropriétaires à l’encontre de l’assureur retient qu’il ne peut se prévaloir des assignations délivrées par ledit assureur aux différents intervenants à la construction et à leurs assureurs, que l’assignation au fond délivrée par ledit syndicat plus de deux ans après l’assignation initiale en référé dudit syndicat n’avait pas été interrompu, alors que la prescription de l’action engagée entre un assuré et un assureur est interrompue à l’égard des parties à une mesure d’expertise, même celles n’ayant été parties qu’à l’instance initiale ayant abouti à la désignation de l’expert.

Cour de cassation (3e Ch. civ.) 28 mars 2012 Pourvoi no 10-28093

Non publié au Bulletin

« SDCP de l’ensemble immobilier Porte de Médicis c/ Axa

La Cour,

Sur le moyen unique :

Vu les articles L. 114-1 et L. 114-2 du Code des assurances ;

Attendu, selon l’arrêt attaqué (Grenoble, 28 septembre 2010), que le syndicat des copropriétaires de l’ensemble immobilier Porte de Médicis (le syndicat), invoquant divers désordres affectant un immeuble réceptionné en 1993, a assigné aux fins d’expertise, le 13 mai 2002, la société Axa assurances (société AXA) en sa qualité d’assureur dommages ouvrage ; que cet assureur ayant assigné plusieurs intervenants à la construction aux fins d’expertise commune, les décisions faisant droit à ces demandes, rendues en janvier et avril 2003, ont été confirmées par arrêt du 2 juin 2004 ;

Attendu que, pour déclarer prescrite l’action du syndicat à l’encontre de la société Axa et rejeter ses demandes, l’arrêt retient qu’il ne peut se prévaloir des assignations en référé délivrées, la dernière en avril 2003, par l’assureur dommages ouvrage aux différents intervenants à la construction et à leurs assureurs et que l’assignation au fond a été délivrée le 6 juin 2005 plus de deux ans après l’assignation initiale du 13 mai 2002 sans qu’aucun événement n’ait interrompu la prescription ;

Qu’en statuant ainsi, alors que la prescription de l’action engagée entre un assuré et un assureur est interrompue à l’égard des parties à une mesure d’expertise, même celles n’ayant été parties qu’à l’instance initiale ayant abouti à la désignation de l’expert, par toute décision judiciaire apportant une modification quelconque à cette expertise, et que le syndicat soutenait que la modification de l’expertise initialement ordonnée en 2002 avait été demandée en 2003 par la société Axa et définitivement acceptée par un arrêt du 2 juin 2004 rendu moins de deux ans avant l’assignation au fond délivrée à cette société, la cour d’appel a violé les textes susvisés ;

Par ces motifs :

Casse et annule, mais seulement en ce qu’il déclare prescrite l’action du syndicat des copropriétaires à l’encontre de la société Axa et rejette les demandes du syndicat, l’arrêt rendu le 28 septembre 2010. »

Note

1. Nous avons à plusieurs reprises, appelé de nos vœux, sans succès jusqu’ici, à la tenue d’une Assemblée Plénière ou pour le moins d’une Chambre Mixte, pour trancher l’opposition des solutions retenues par la deuxième chambre civile et la troisième chambre civile quant à l’effet interruptif d’une assignation en référé en ordonnance commune à l’égard des parties à de précédentes ordonnances de référé.

2. On rappellera ici brièvement les fluctuations et oppositions des solutions rendues par la première chambre, la seconde chambre et enfin la troisième chambre civile savoir :

– par un certain nombre d’arrêts rendus notamment en 2001 (Cass. 1re civ., 29 mai 2001, no 99-14127, RGDA 2002, p. 77, M. Bruschi) et en 2004 (Cass. 1re civ., 27 janvier 2004, no 01-10748, RGDA 2004, p.398, note J. Kullmann) la première chambre civile avait estimé « que toute décision judiciaire apportant une modification quelconque à une mesure d’expertise ordonnée par une précédente décision a un effet interruptif de prescription à l’égard de toutes les parties et pour tous les chefs de préjudices procédant du sinistre en litige » ;

– par un certain nombre d’arrêts rendus en 2008 et 2009, la deuxième et la troisième chambres civiles ont adopté des solutions la plupart du temps opposées.

C’est ainsi que si par un arrêt du 21 mai 2008 (Cass. 3e civ., 21 mai 2008, no 07-13561, Bull. civ. III, no 91, RGDA 2008, p. 639, note J.-P. Karila) la troisième chambre civile a cassé une décision de la cour d’appel pour violation de l’article 2244 du Code civil en raison de ce que « l’ordonnance de référé déclarant commune à d’autres constructeurs une mesure d’expertise précédemment ordonnée n’avait pas d’effet interruptif de prescription à l’égard de ceux qui n’étaient parties qu’à l’ordonnance initiale  », alors que quelques jours après la deuxième chambre civile (Cass. 2e civ., 19 juin 2008, no 07-15343, Bull. civ. II, no 143, RDI 2008, p. 450, note G. Leguay, RGDA 2008, p. 450, note M. Bruschi) rendait cette fois au visa des articles 2244 et L. 114-2 du Code des assurances une décision conforme à l’esprit de la solution retenue par la première chambre notamment en 2004.

Cette distorsion cessait par le ralliement de la troisième chambre civile à la thèse de l’effet erga omnes par un arrêt du 24 février 2009 (Cass. 3e civ., 24 février 2009, no 08-12746, non publié au Bulletin), pour revenir par un arrêt remarqué du 18 novembre 2009 à sa précédente doctrine résultant de l’arrêt précité du 21 mai 2008 (Cass. 3e civ., 18 novembre 2009, no 08-13.642 et no 08-13672, Bull. civ. III, no 250, RGDA 2010, p. 76, note J.-P. Karila).

La deuxième chambre civile persistait, dans le même temps, dans sa doctrine de l’effet erga omnes des ordonnances de référé rendues successivement à propos d’une mesure d’expertise (Cass. 2e civ., 3 septembre 2009, no 08-18068, non publié au Bulletin ; Cass. 2e civ., 22 octobre 2009, no 09-19840, Bull. civ. II, Veille Juridique www.karila.fr ; Cass. 2e civ., 10 novembre 2009, no 08-19371), tandis que la troisième chambre civile confirmait, quant à elle, dans sa doctrine selon laquelle la citation de justice n’est interruptive de prescription qu’à l’encontre de la personne à laquelle elle est adressée (Cass. 3e civ., 3 mars 2010, no 09-11.070 ; Cass. 3e civ., 2 mars 2011, no 10-30295).

3. L’opposition ci-avant évoquée a-t-elle pris fin, comme on peut légitimement le penser à la lecture de l’arrêt rapporté de la troisième chambre civile, qui reconnaît clairement un effet de prescription erga omnes à une ordonnance de référé rendant commune à de nouvelles parties des opérations d’expertise précédemment ordonnées par le juge 

Effet interruptif erga omnes c’est-à-dire même :

– à l’égard des parties qui ne l’avaient été qu’à l’instance initiale ayant abouti à la désignation de l’expert ;

– ainsi qu’à l’égard d’autres parties mises en cause postérieurement par de précédentes ordonnances de référé, leur rendant communes les opérations d’expertise dont s’agit.

4. Bien que l’arrêt rapporté ne soit pas destiné à être publié au Bulletin, il est clair que ledit arrêt constitue effectivement un revirement de jurisprudence de la troisième chambre civile, par rapport aux précédents arrêts précités rendus depuis le 18 novembre 2009 .

Bien évidemment on peut s’interroger sur le fait que l’arrêt rapporté ne soit pas destiné à être publié au Bulletin : s’agit-il d’un simple oubli ou de la volonté de ne pas trop donner de portée à l’arrêt dont s’agit dont l’auteur de la présente note doute fort que la Cour de Cassation ait pu en méconnaître la véritable signification et portée 

Bien évidemment il serait souhaitable que la solution retenue par l’arrêt rapporté soit confirmée par un ou plusieurs arrêts ultérieurs publiés au Bulletin.

À défaut, la réunion d’une Assemblée Plénière ou d’une Chambre Mixte serait encore souhaitable… encore que la rédaction de l’article 2241 du Code civil institué par la Loi du 17 juin 2008 qui ne se réfère plus, comme l’ancien article 2244 du Code civil, à l’exigence que la citation de justice soit signifiée à « celui qu’on veut empêcher de prescrire », et visant l’interruption du délai de prescription comme du délai de forclusion de toute demande en justice, même en référé, pourrait conduire, en définitive, à ce que désormais la jurisprudence ne pourrait être qu’unifiée dans le sens des arrêts de la deuxième chambre civile et de celui rapporté du 28 mars 2012.

J.-P. Karila – RGDA n° 2012-03, P. 659