Ancien ID : 645
Source : Cass. 3e civ., 25 février 2009, n°08-11249
La Cour,
Attendu, selon l’arrêt attaqué(Colmar, 22 novembre 2007), que le département des Vosges a fait réaliser en 1990 un collège, avec le concours de M. X…, architecte assuré auprès de la Mutuelle des architectes français (la MAF), chargé d’une mission complète, et de la société Costa, assurée auprès de la caisse d’assurance mutuelle du bâtiment (CAMB) pour le lot « menuiseries extérieures aluminium, verrières » ; qu’ayant réglé les sommes dues par son assuré condamné in solidum avec la société Costa par un jugement du tribunal administratif, la MAF a fait assigner en paiement la CAMB qui ne garantissait pas l’activité exercée sur ce chantier par son assurée en invoquant une imprécision de l’attestation d’assurance garantie décennale délivrée par cette compagnie à la société Costa ;
Sur le moyen unique :
Attendu que la MAF fait grief à l’arrêt de rejeter ses demandes, alors, selon le moyen :
1°/ que le débiteur qui s’acquitte d’une dette qui lui est personnelle peut néanmoins prétendre bénéficier de la subrogation s’il a, par son paiement, libéré envers le créancier commun celui sur qui doit peser la charge définitive de la dette ou partie de celle-ci ; que l’assureur de l’architecte, ayant payé au département des Vosges la part de la condamnation prononcée par le tribunal administratif devant peser sur l’entreprise Costa, était subrogée dans les droits du département et par là-même bien fondé à opposer à l’assureur de cette entreprise l’absence de précision de l’attestation d’assurance; qu’en décidant au contraire que l’assureur de l’architecte ne bénéficiait pas de la subrogation, la cour d’appel a violé les articles 1251-3° et 1252 du code civil ;
2°/ que commet une faute l’assureur de responsabilité obligatoire d’un constructeur qui délivre une attestation imprécise ne correspondant pas aux activités garanties ; que le maître d’œuvre ne commet pas de faute en ne relevant pas l’inexactitude de l’attestation délivrée par l’assureur ; qu’en déclarant le contraire, la cour d’appel a violé les articles 1382 du code civil et L. 241-1 du code des assurances ;
Mais attendu qu’ayant retenu à bon droit que la MAF se trouvait, par l’effet du paiement effectué, subrogée dans les droits de son assuré mais non dans ceux du département des Vosges maître de l’ouvrage au titre de la garantie décennale, la cour d’appel, qui n’a pas dit que M. X…, architecte, avait commis une faute, en a exactement déduit qu’elle n’était pas fondée à se prévaloir de l’imprécision de l’attestation d’assurance délivrée par la CAMB à son assuré dans le seul intérêt du maître de l’ouvrage ou de ses ayants droits ;
D’où il suit que le moyen n’est pas fondé ;
Note. 1. La subrogation légale de droit commun instituée par l’article 1251 du Code civil dispose en son 3° que la subrogation a lieu de plein droit au profit de celui qui, étant tenu avec d’autres ou pour d’autres, au paiement de la dette, avait intérêt de l’acquitter.
La subrogation légale spécifique au droit des assurances instituée par l’article L.121-12 du Code des assurances dispose en son premier alinéa que « l’assureur qui a payé l’indemnité d’assurance est subrogé jusqu’à concurrence de cette indemnité, dans les droits et actions de l’assuré contre les tiers qui, par leur fait, ont causé le dommage ayant donné lieu à la responsabilité de l’assureur » étant rappelé qu’il faut substituer aux termes « la responsabilité de l’assureur » par les termes « la garantie de l’assureur ».
2. Dans les circonstances de l’espèce un architecte et un entrepreneur sont condamnés solidairement par une juridiction administrative à payer un maître d’ouvrage public en la circonstance, le Département des Vosges, une somme destinée à réparer des désordres de nature décennale, la décision opérant entre les coobligés solidairement condamnés un partage entre eux à concurrence de 60 % à la charge de l’architecte et 40 % à la charge de l’entrepreneur.
3. La décision est exécutée en totalité à l’aide de fonds de l’assureur de l’architecte, la Mutuelle des Architectes Français (MAF) soit par l’intermédiaire de l’architecte soit directement par l’assureur dont s’agit qui exerce ensuite une action en remboursement de la part réglée au titre de la responsabilité de l’entrepreneur, à l’encontre de l’assureur dudit entrepreneur, la CAMBTP, laquelle lui oppose une non-garantie à raison de ce que les travaux exécutés par son assuré ne ressortissaient pas à l’activité déclarée par celui-ci.
4. Le Tribunal de Grande Instance de Strasbourg rejette l’action en remboursement de la MAF pour des motifs que l’on ignore, la décision d’appel dudit jugement ayant été rendue par la Cour de Colmar sur le fondement de motifs propres à ladite juridiction qui a décidé que l’assureur n’était pas subrogé dans les droits du maître d’ouvrage mais dans ceux de son assuré et qu’en conséquence il ne pouvait reprocher à l’assureur d’un colocateur d’ouvrage l’imprécision d’une attestation délivrée à celui-ci mais dans le seul intérêt du maître de l’ouvrage et de ses ayants-droits.
5. Aux termes d’un moyen unique de cassation comportant deux branches, la MAF reprochait à la Cour de Colmar :
– d’avoir violé les articles 1251-3° et 1252 du Code civil pour avoir jugé qu’elle était subrogée dans les droits de son assuré et non du maître de l’ouvrage, le Département des Vosges ;
– d’avoir violé les articles 1382 du Code civil et L.241-1 du Code des assurances pour n’avoir pas décidé que commet une faute l’assureur de responsabilité obligatoire d’un constructeur qui délivre une attestation imprécise ne correspondant pas aux activités garanties d’une part ni décidé que le maître d’œuvre ne commet de faute en ne relevant pas l’inexactitude de l’attestation délivrée par l’assureur.
6. L’arrêt rapporté valide l’arrêt de la Cour de Colmar en raison de ce que, ayant « retenu à bon droit » que l’assureur se trouvait, par l’effet du paiement effectué, subrogé dans les droits de l’assuré et non dans ceux du maître de l’ouvrage, la Cour d’appel qui n’avait pas dit que l’architecte avait commis une faute, en avait exactement déduit que ledit assureur n’était pas fondé à se prévaloir de l’imprécision de l’attestation d’assurance délivrée par l’assureur d’un colocateur d’ouvrage à son assuré dans le seul intérêt du maître de l’ouvrage ou de ses ayants-droits.
7. L’arrêt rapporté laisse perplexe sur la question de la subrogation, sauf que bien évidemment la Haute Juridiction ne pouvait statuer que dans la limite des moyens qui lui ont été présentés d’une part et a voulu peut être aussi assurer une certaine équité/équilibre entre assureurs en n’adoptant pas le raisonnement de l’un deux sur le fondement de motifs propres aux victimes des dommages de construction plutôt qu’aux assureurs des responsables desdits dommages, assureurs auxquels ont peut reprocher une faute également partagée d’émettre des attestations d’assurance non suffisamment précises.
8. Dans tous les cas, force est de constater que l’arrêt rapporté ne répond précisément qu’à la deuxième branche du moyen en énonçant que l’architecte n’avait commis aucune faute en ne relevant pas l’imprécision de l’attestation délivrée par l’assureur du colocateur d’ouvrage dans le seul intérêt des maîtres d’ouvrage ou de ses ayants-droits.
On observera sur ce point que le moyen était curieux et peu opérant mais la Cour de Cassation devait y répondre, curieux car la faute envisagée au regard du fondement de l’action délictuelle de l’assureur subrogé dans les droits de son assuré à l’encontre de l’assureur de l’entrepreneur ne pouvait être que la faute dudit entrepreneur !…
9. La Haute Juridiction n’a donc pas répondu précisément à la première branche du moyen.
Certes, une réponse a été indirectement apportée par l’affirmation que l’assureur qui a payé l’indemnité au maître de l’ouvrage n’est pas subrogé dans les droits de celui-ci mais dans ceux de son assuré.
Certes, l’assureur est légalement subrogé dans les droits de son assuré en vertu du 1er alinéa précité de l’article L.112-1 du Code des assurances ci-dessus évoqué (supra n°1) mais on peut dire d’une manière générale, que la subrogation spécifique au droit des assurances édictée par le texte précité n’est pas exclusive de la possibilité pour un assureur de revendiquer la subrogation légale de droit commun édictée par l’article 1251-3° du Code civil.
On peut même affirmer que la jurisprudence à de très nombreuses occasions, sans, il est vrai, s’attacher de façon précise aux circonstances ayant conduit l’assureur à effectuer le paiement, admet parallèlement à la subrogation légale spécifique en droit des assurances l’application de la subrogation de droit commun au profit de l’assureur, celui-ci ayant un droit d’option entre les deux subrogations qu’il exerce au gré des circonstances et de ses intérêts.
Peut-être, en définitive, le débat n’avait-il jamais été jusqu’ici précisé dans les termes suggérés par la Cour de Colmar et adoptés par la Cour de Cassation qui aurait rendu en la circonstance un arrêt de principe mais force est de constater que l’arrêt rapporté a quand même été rendu dans des circonstances particulières pour écarter la prétention d’un assureur dont elle a pu être irritée par le moyen dans la mesure où la critique qu’il contenait pouvait aussi le concerner d’une manière générale et alors que d’évidence la garantie de l’assureur de l’entrepreneur n’était pas mobilisable en raison de ce que l’assuré avait réalisé des travaux dans le cadre d’une activité différente de celle qu’il avait déclaré lors de la souscription du contrat d’assurance obligatoire.
Jean-Pierre Karila – RGDA 2009 n° 2, p. 511