Ancien ID : 206
Bénéficiaire de l’indemnité d’assurance. Sort de l’indemnité d’assurance.
La personne qui a la qualité de preneur dans le cadre d’un contrat de crédit-bail a qualité pour bénéficier de l’indemnité d’assurance, dès lors qu’il est établi que l’opération de crédit-bail n’a pas eu de suites d’une part, et qu’elle a réglé les travaux de construction, d’autre part.Dès lors que la Cour d’appel n’a pas expressément retenu que le bénéficiaire de l’indemnité avait renoncé à la construction de l’immeuble affecté de dommages, le moyen tenant à l’obligation d’emploi de l’indemnité d’assurance manque en fait.
Cour de Cassation (3ème Ch. Civ.) n° 93-15585, 4 janvier 1996
LLOYD CONTINENTAL C/ S.C.G et autres.
La Cour
Sur le premier moyen du pourvoi provoqué :
Attendu que le GAN fait grief à l’arrêt de le condamner à payer à la Société STRUCTURES INTERNATIONALES la réparation des dommages matériels, alors, selon le moyen, « que l’assurance de dommages ne peut être mise en œuvre qu’au profit du propriétaire de l’ouvrage ; qu’en ayant ainsi statué par des motifs d’où il ne résulte pas que la Société STRUCTURES INTERNATIONALES était propriétaire de l’ouvrage assuré, et pouvait par là même revendiquer à son profit le bénéfice du contrat souscrit auprès du GAN, la Cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard de l’article L 242-1 du Code des Assurances » ;
Mais attendu que la Cour d’appel a légalement justifié sa décision de ce chef en constatant que la Société STRUCTURES INTERNATIONALES, Maître de l’Ouvrage, qui avait souscrit la Police pour le compte de NATIO CREDIT-BAIL, prouvait que l’opération de crédit-bail qu’elle avait engagée avec cette Société n’avait pas eu de suites, et qu’elle avait réglé les travaux des entreprises ;
Sur le second moyen du pourvoi provoqué, ci-après annexé :
Attendu que la Cour d’appel n’ayant pas retenu que la Société STRUCTURES INTERNATIONALES avait renoncé à la construction de l’immeuble, le moyen manque en fait ;
Par ces motifs,
Rejette les pourvois ;
Dit n’y avoir lieu à indemnité en application de l’article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile au profit du GAN et de la Société LLOYD CONTINENTAL ;
Condamne M. PAVEC, ès-qualités, à payer à l’UAP la somme de 8.000 F en application de l’article de l’article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile ;
Condamne, ensemble, M. PAVEC, ès-qualités, le LLOYD et le GAN à payer à la Société STRUCTURES INTERNATIONALES la somme de 8.000 F en application de l’article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile ;
Laisse à chaque demandeur la charge des dépens afférents à son pourvoi ;
Les condamne, ensemble, aux frais de l’exécution du présent arrêt ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, 3e Chambre Civile, et prononcé par M. le Président en son audience publique du quatre janvier mil neuf cent quatre vingt seize.
Note. 1. L’arrêt rapporté a été rendu à la suite de quatre pourvois aux moyens multiples pour chacun d’eux, à l’encontre d’un arrêt rendu par la Cour de Paris. La plupart des moyens à l’appui des pourvois considérés ne mérite pas que l’on s’y attache, tant ils étaient vains, voire abusifs.
En revanche, deux questions nous semblent devoir retenir l’attention : celle relative à la détermination du bénéficiaire de l’assurance, dans le cadre d’une opération de crédit-bail d’une part, et celle relative au sort de l’indemnité réglée par l’assureur Dommages Ouvrage d’autre part.
2. Sur le bénéficiaire de l’indemnité d’assurance. Il est clair que le bénéficiaire de l’indemnité d’assurance ne peut être que le propriétaire de l’ouvrage ou son subrogé au moment du sinistre (Cass. Civ. 1e, 15 octobre 1991, Bull. Civ. I, n°270, R.G.A.T. 1991. 872, note J. Bigot ; Cass. Civ. 1e, 22 novembre 1992, Bull. Civ. I, n°127, R.G.A.T. 1992, note J. Bigot ; Cass. Civ. 3e, 30 mars 1994, Bull. Civ. III, n°70, Rev. Administré n°262.118, Comm. A. Valdès ; Cass. Civ. 1e, 21 février 1995, R.G.A.T. 1995. 394, note A. d’Hauteville ; Cass. Civ. 3e, 22 février 1995, Bull. Civ. III, n°56), étant cependant observé qu’en cas d’inaction dudit propriétaire, le souscripteur-vendeur -sinon toute personne qui y avait intérêts – peut la revendiquer au profit du propriétaire (Cass. Civ. 1e, 23 juin 1992, R.G.A.T. 1992. 562, note J. Bigot).
En la circonstance, l’opération de construction avait été initiée dans le cadre d’un contrat de crédit bail.On sait qu’alors même que le preneur est souvent maître d’ouvrage délégué et est en conséquence de ce fait le mandataire du propriétaire de l’ouvrage, c’est au crédit-bailleur et non au preneur qu’il appartient de souscrire la Police Dommages Ouvrage, puisque la construction est réalisée pour le compte du crédit-bailleur lui-même, nonobstant le fait que ladite construction soit réalisée en fonction des besoins et du programme du preneur, lequel n’a que vocation à devenir aux termes du crédit-bail, propriétaire.
On sait également que certains contrats de crédit-bail :
– soit constituent néanmoins le preneur mandataire du crédit-bailleur à effet de souscrire l’assurance Dommages Ouvrage, mais ici se pose souvent la question de savoir si en cette qualité le preneur pourra ou non revendiquer le bénéfice des garanties du contrat Dommages Ouvrage ;
– soit subrogent le preneur dans ses droits et actions à l’encontre des constructeurs et leurs assureurs de responsabilité, ce qui a conduit le Juge à estimer de façon, semble t-il, non critiquable, que le preneur pouvait dans ces conditions, revendiquer le bénéfice des garanties du contrat Dommages Ouvrage (TGI Rodez 5 septembre 1989, R.G.A.T. 1990. 844, note J. Bigot).
La lecture de l’arrêt rapporté, comme des moyens des différents pourvois, ne permet pas de déterminer le contenu des clauses du contrat de crédit-bail.
Pour retenir que le preneur avait bien qualité pour bénéficier de l’indemnité d’assurance et valider l’arrêt de la Cour de Toulouse, la Cour suprême relève que celle-ci avait la qualité de maître de l’ouvrage, qui avait souscrit pour le compte du bailleur le contrat d’assurance, et enfin qu’il prouvait que l’opération de crédit-bail n’avait pas eu de suite et qu’il avait réglé les travaux des entreprises. En d’autres termes et sans le dire, le preneur avait bien la qualité de propriétaire de l’ouvrage assuré, lui conférant le bénéfice des garanties du contrat.
3. Sur le sort de l’indemnité d’assurance. S’il n’existe stricto sensu aucune disposition légale d’emploi de l’indemnité d’assurance réglée par l’assureur Dommages Ouvrage, il résulte cependant pour le moins de l’esprit de l’article L. 242-1 du Code des assurances qui énonce que l’assureur garantit « le paiement de la totalité des travaux de réparation des dommages de la nature de ceux… », que le bénéficiaire de ladite indemnité doit affecter celle-ci à la réparation des dommages dont s’agit.
Les textes mêmes des clauses-type réglementaires confortent cette opinion et impliquent que le bénéficiaire de l’indemnité doit nécessairement affecter l’indemnité à la réparation des dommages, puisqu’aussi bien il est notamment énoncé que l’assuré n’engage à autoriser l’assureur à constater l’état d’exécution de réparation des dommages ayant fait l’objet d’une indemnisation en cas de sinistre (annexe II à l’article A. 243-1. Obligations réciproques des parties). A) Obligations de l’assuré 4°) ou encore que l’assuré s’engage à autoriser l’assureur à constater l’exécution des travaux de réparation des dommages ayant fait l’objet d’une avance (annexe II à l’article A. 243-1. Obligations réciproques des parties). B) Obligations de l’assureur 3°) ou encore antérieurement à l’arrêt « trous » du 13 juillet 1990, qui a de façon incohérente maintenu ou supprimé certaines clauses-type ensuite de la nouvelle rédaction de l’article L. 242-1 du Code des assurances résultant de la loi du 31 décembre 1989, prévoyant qu’en cas d’accord de l’assuré sur la proposition indemnitaire de l’assureur, le règlement de l’indemnité intervient en plusieurs fractions égales lorsque son montant est supérieur au chiffre fixé à cet effet aux Conditions particulières, « les versements étant échelonnés dans le temps et s’il y a lieu revalorisés en fonction du rythme de l’exécution des travaux de réparation des dommages » (annexe II à l’article A. 243-1. Obligations réciproques des parties). B) Obligations de l’assureur 3° e, abrogé par l’arrêté du 13 juillet 1990).
M.J Bigot avait déjà, dès 1980, mis en relief le principe de « l’exécution effective des travaux de réfection » (« La réforme de l’assurance construction » Ed. de l’Argus 1980. 218).
Cependant, l’assurance de choses qu’est le contrat Dommages Ouvrage, est aussi -comme l’assurance de responsabilité- une assurance à caractère indemnitaire, ce qui a conduit certains auteurs dont M. G. Durry, à exprimer l’avis que le bénéficiaire de l’indemnité a toute liberté d’affecter celle-ci comme il l’entend (voir à cet égard A. Ambacher qui défend également cette thèse et cite M. Durry in R.D.I 1993. 183 « L’indemnisation par l’assureur Dommages Ouvrage est-elle subordonnée obligatoirement aux travaux de réparation ? »).
Madame Y. Lambert Faivre, sans se référer expressément au principe indemnitaire et tout en reconnaissant que l’esprit de la loi et des textes d’application commande que l’indemnité soit affectée à la réparation des dommages, exprime l’opinion qu’on « ne saurait imposer à l’assuré une obligation d’emploi exorbitante du droit commun en dehors d’une stipulation expresse de la loi ».
On ne peut que regretter, avec cet auteur, que le législateur n’ait pas édicté en la circonstance une obligation légale d’emploi de l’indemnité, alors qu’il a sous-entendu et qu’il est clair que la finalité de la loi est bien de parvenir à une réparation rapide des dommages affectant la chose jugée (voir Lamy Assurance, Chap. Assurance des dommages à l’ouvrage par J.P. Karila et J. Kullmann, n°2559).
La Cour de cassation n’avait pas jusqu’ici, semble-t-il, , eu à se prononcer sur la question de l’emploi de l’indemnité.
En la circonstance, il était soutenu au deuxième moyen du pourvoi provoqué que « l’indemnité versée au titre de l’assurance obligatoire de dommages, ne peut être affectée qu’à la réparation effective des désordres ; que dès lors, en statuant comme elle l’a fait, tout en relevant que la Société STRUCTURES INTERNATIONALES avait renoncé à poursuivre la construction et à réparer les malfaçons affectant l’ouvrage, et en énonçant de surcroît que l’achèvement des travaux était sinon impossible, du moins très difficile, la Cour n’a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et a ainsi violé l’article L. 242.1 du Code des assurances ».
La Cour de cassation, sans reproduire le moyen qu’elle vise à la formule « ci-après annexé » se contente pour rejeter le moyen dont s’agit d’énoncer « attendu que la Cour d’appel n’ayant pas retenu que la Société STRUCTURES INTERNATIONALES avait renoncé à la construction de l’immeuble, le moyen manque en fait ».
Une telle motivation pour pertinente qu’elle soit, « en fait », laisse le commentateur sur « sa faim », dès lors qu’elle ne permet pas de deviner quelle aurait été la position de la Cour suprême si la Cour d’appel avait effectivement relevé que le bénéficiaire de l’indemnité avait renoncé à poursuivre la construction de l’immeuble.
La Cour suprême, alors obligée en quelque sorte de prendre parti sur la question ci-avant évoquée, aurait-elle donné prééminence au caractère indemnitaire de l’assurance ou aurait-elle estimé au contraire que l’indemnité d’assurance devant nécessairement être employée aux réparations nécessaires, n’aurait eu plus d’objet
Il serait hardi d’opter pour l’une ou l’autre de ces hypothèses, sauf que l’on peut observer que si elle avait voulu nier l’existence d’une obligation d’emploi, la Cour suprême aurait pu, tout en relevant le fait que le moyen manquait en fait, énoncer en tout état de cause que la loi n’avait énoncé aucune obligation d’emploi d’indemnité.
Il reste que dans ces circonstances, imposer une obligation d’emploi aboutirait selon nous à interdire ou à gêner la libre disposition par le propriétaire de son bien, notamment de vendre celui-ci avant toute réparation, ce qui ne saurait être accepté, sauf à stipuler expressément dans l’acte de vente que le prix tient compte de l’absence d’emploi de l’indemnité d’assurance, ou encore, ce qui est une autre façon d’exprimer la même idée, que le prix tient compte de l’état actuel du bien vendu.
C’est en tout cas à juste titre que la Cour de Versailles, dans un arrêt remarqué du 31 mars 1995 (R.G.A.T. 1995. 388, note J. Bigot), a estimé qu’en cas de ventes successives, l’indemnité d’assurance revenait au propriétaire lors de la déclaration de sinistre puisqu’aussi bien le principe de créance du bénéficiaire de l’indemnité naît de celle-ci d’une part, tandis qu’aucune convention entre le propriétaire lors du sinistre à l’acquéreur n’avait transféré le bénéfice de l’indemnité d’assurance audit acquéreur ou encore à l’adjudicataire de l’immeuble, saisi par un créancier.
Cette solution implique nécessairement l’absence de toute obligation d’emploi de l’indemnité d’assurance, du moins en cas de vente de l’immeuble avant la perception de l’indemnité d’assurance ou la réparation dudit immeuble.
Jean-Pierre Karila – RGDA 1996 – 2 – p. 352