RGDA janvier 2020, p. 53, note Jean-Pierre Karila
Assurance dommages ouvrage ; Obligations de l’assureur ; Manquements ; Sanctions ; C. assur., art. L. 242-1 ; Sanctions fixées limitativement par ce texte ; Dommages immatériels ; Absence d’offre d’indemnité destinée au paiement des travaux de réparation des dommages ; Mise des dommages immatériels à la charge de l’assureur (non)
1. L’arrêt rapporté ne fait que réitérer/réaffirmer une solution consacrée par de nombreux arrêts antérieurs, mettant en relief le caractère limitatif et exclusif des sanctions édictées par l’alinéa 5 de l’article L. 242-1 du Code des assurances.
2. Étant observé et souligné que le caractère limitatif et exclusif des sanctions édictées par le texte précité ne fait pas obstacle à ce que la responsabilité de l’assureur soit retenue en marge desdites sanctions, le fondement juridique de la condamnation alors prononcée à l’encontre de l’assureur dommages ouvrage étant néanmoins incertain, comme il sera précisé ci-après.
I. Caractère limitatif et exclusif des sanctions édictées par l’article L. 242-1 du Code des assurances et conséquences
3. Dans le cadre de notre commentaire d’un arrêt du 17 septembre 2017 publié au Bulletin (Cass. 3e civ., 14 sept. 2017, n° 16-21696 : RGDA janv. 2018, n° 115g7, p. 36), nous avions exprimé l’opinion selon laquelle les sanctions édictées par l’alinéa 5 de l’article L. 242-1du Code des assurances ont un caractère limitatif d’une part et un caractère exclusif d’autre part.
Limitatif en ce sens qu’elles ne peuvent être transposées/appliquées en dehors de leur objet même qui est d’assurer, et d’assurer seulement, le paiement d’une indemnité correspondant au strict coût des dépenses nécessaires à la réparation des dommages matériels affectant l’ouvrage assuré, indemnité majorée d’un intérêt égal au double du taux légal.
Exclusif en ce sens qu’elles excluent toute possibilité de mise en œuvre du droit commun de la responsabilité au titre des manquements ou encore des conséquences des manquements de l’assureur aux délais et obligations à propos desquels le texte précité a édicté lesdites sanctions.
A. Caractère limitatif des sanctions édictées par l’article L. 242-1 du Code des assurances
4. Le caractère limitatif des sanctions édictées par l’alinéa 5 de l’article L. 242-1 du Code des assurances s’évince de la lettre même des dispositions de l’alinéa 5 précité qui se réfère seulement :
– soit au non-respect d’un des deux délais qu’il envisage, c’est-à-dire le délai de 60 jours à compter de la réception de la déclaration de sinistre pour notifier à l’assuré sa décision quant au principe de la mise en jeu des garanties prévues au contrat (al. 3) et le délai de 90 jours, lorsqu’il accepte la mise en jeu des garanties prévues au contrat, pour présenter à l’assuré une offre d’indemnité destinée au paiement de la réparation des dommages déclarés (al. 4),
– soit et/ou au cas d’offre d’indemnité (dans le délai de 90 jours), « manifestement insuffisante ».
Si l’assureur se trouve dans l’une des deux situations ci-avant évoquées, il est conféré à l’assuré seulement la faculté d’engager les dépenses nécessaires à la réparation des dommages dont le coût constitue, au bénéfice de l’assuré, une créance indemnitaire correspondant audit coût en principal, majoré, d’un intérêt égal au double du taux de l’intérêt légal.
En ce sens, les sanctions ont bien un caractère limitatif et ne peuvent donc être étendues/appliquées à d’autres fins que la réparation des dommages matériels ressortissant de l’assurance obligatoire dans le cadre de ce qu’il est convenu de dénommer les « garanties obligatoires » , affectant la construction assurée, c’est-à-dire l’indemnisation des dommages matériels.
De sorte que les plafonds et franchises stipulés dans le cadre de la couverture d’assurance facultative des dommages immatériels, tels que notamment ceux consécutifs à des dommages matériels garantis au titre desdites « garanties obligatoires », ne peuvent être affectés/concernés par les sanctions dont il s’agit.
À titre d’illustration, nous citerons un certain nombre d’arrêts déjà cités dans notre note précitée, sans toutefois les expliciter comme déjà fait dans ladite note, à savoir : Cass. 3e civ., 19 janv. 2017, n° 15-26441 : RGDA mars 2017, n° 114j4, p. 192, note Karila L. ; RDI 2017, p. 198, obs. Roussel J. − Cass. 3e civ., 12 janv. 2005, n° 03-18989 : Bull. civ. lll, n° 3 ; RDI 2005, p. 92, obs. Leguay G. − Cass. 1re civ., 26 avr. 2000, n° 97-22617.
On rattachera aussi au caractère limitatif des sanctions l’impossibilité d’étendre lesdites sanctions aux désordres relevant de l’assurance facultative garantissant certains dommages avant réception (Cass. 3e civ., 10 nov. 1998, n° 97-10310 : Bull. civ. III, n° 210 ; RGDA 1999, p. 371, note Karila J.-P .) d’une part et celle, pour l’assuré, d’obtenir la communication du rapport d’expertise complémentaire et définitif établi par l’expert désigné par l’assureur dommages-ouvrage (Cass. 3e civ., 17 nov. 2004, n° 02-21336 : RGDA 2005, p. 159, note Perier M. ; RDI 2005, p. 166, obs. Dessuet P.) d’autre part.
Est également rattachable au caractère limitatif des sanctions alors même que l’adjectif « limitatif » n’est pas expressément énoncé, les arrêts qui censurent les juges du fond étendant les sanctions à des désordres affectant des ouvrages distincts de ceux assurés : Cass. 3e civ., 30 juin 2016, n° 14-25150 : RDI 2016, p. 486, obs. Roussel J., précédé dans le même sens d’un arrêt du 18 décembre 2002 (Cass. 3e civ., 18 déc. 2002, n° 99-16551 : Bull. civ. III, n° 311 ; RGDA 2003, p. 315, note Karila J.-P.).
4. Dans le même esprit concernant la couverture d’assurance obligatoire de la responsabilité décennale, la Cour de cassation censure toute extension des solutions légales ou prétoriennes retenues dans ce cadre, aux assurances facultatives, comme l’illustre un certain nombre d’arrêts (Cass. 1re civ., 25 févr. 1992, n° 89-12138 : Bull. civ. I, n° 63 − Cass. 1re civ., 13 mars 1996, n° 93-20177 : Bull. civ. I, n° 130).
B. Caractère exclusif des sanctions
5. On peut rattacher au caractère exclusif des sanctions un certain nombre d’arrêts alors même que ceux-ci visent seulement le caractère limitatif desdites sanctions (Cass. 1re civ., 17 juill. 2001, n° 98-21913 : Bull. civ. I, n° 232 ; RGDA 2001, p. 982, note Karila J.-P. − Cass. 3e civ., 7 mars 2007, n° 05-25485 : RGDA 2007, p. 631, note Karila J.-P. − Cass. 3e civ., 22 mai 2007, n° 06-13821 : RGDA 2007, p. 631, note Karila J.-P.).
6. L’arrêt rapporté consacre le caractère exclusif des sanctions en évinçant implicitement mais nécessairement toute possibilité de mise en œuvre de la responsabilité de droit commun de l’assureur au titre des manquements de celui-ci, s’agissant en particulier de l’absence de proposition indemnitaire destinée à la réparation des dommages déclarés, ledit manquement ne pouvant être sanctionné que, comme prévu par l’article L. 242-1 du Code des assurances (al. 4 et 5) que par le paiement d’une indemnité destinée à la stricte réparation des dommages matériels, à l’exclusion de toute possibilité de mise en œuvre d’une responsabilité en raison de la survenance de dommages immatériels, même si ceux-ci sont liés aux dommages matériels dont la réparation est assurée conformément à l’alinéa 5 de l’article L. 242-1 du Code des assurances.
II. Sur la condamnation de l’assureur au titre de son obligation de garantie de paiement d’une indemnité apte à assurer une réparation efficace et pérenne des dommages
C’est à partir d’un arrêt du 7 décembre 2005 que la Cour de cassation a posé le principe selon lequel « Le maître d’ouvrage est en droit d’obtenir le préfinancement des travaux de nature à mettre fin aux désordres » (Cass. 3e civ., 7 déc. 2005, n° 04-17418 : Bull. civ. lll, n° 135 ; RGDA 2006, p. 126, note Karila J.-P.), suivi d’un arrêt du 24 mai 2006 (Cass. 3e civ., 24 mai 2006, n° 05-11708 et 05-12398 : Bull. civ. lll, n° 133), d’un arrêt du 20 juin 2007 (Cass. 3e civ., 20 juin 2007, n° 06-15686 : RGDA 2007, p. 858, note Perier M.) et d’un arrêt du 11 février 2009 (Cass. 3e civ., 11 févr. 2009, n° 07-21761 : RDI 2009, p. 258, obs. Leguay G. ; Resp. civ. et assur. 2009, com. 111, note Groutel H. ; Constr.-Urb. 2009, com. 63, note Pagès de Varenne M.-L.).
Étant souligné que par arrêt du 29 juin 2017 (Cass. 3e civ., 29 juin 2017, n° 16-19634), la Cour de cassation a cassé un arrêt d’une cour d’appel qui, par adoption des motifs du juge du 1er degré avait jugé que n’était pas rapportée la preuve d’une insuffisance ou d’une inefficacité des travaux financés par l’assureur dommages ouvrage, la cassation ayant été prononcée pour violation de l’article 1315 devenu 1353 du Code civil au considérant ci-après : « Qu’en statuant ainsi, alors qu’il incombe à l’assureur dommages-ouvrage, tenu d’une obligation de préfinancer les travaux de nature à remédier efficacement aux désordres, de rapporter la preuve de I’absence de lien de causalité entre son intervention et le dommage, la cour d’appel, qui a inversé la charge de la preuve, a violé le texte susvisé. » (Mis en gras par le rédacteur de la présente note).
On observera aussi que I’obligation ci-avant évoquée est illustrée en jurisprudence aussi bien dans des espèces où l’assureur a satisfait aux délais et obligations y étant associés, édictés par l’alinéa 5 de l’article L. 242-1 du Code des assurances que dans les espèces où ledit assureur a été défaillant, quant à ce.
Néanmoins, le fondement juridique des condamnations prononcées varie d’une décision à l’autre en ce sens que s’il est fait état dans certaines décisions du caractère contractuel de l’obligation de l’assureur et visé à cet égard expressément l’article 1147 du Code civil (désormais article 2231-1 dudit Code), d’autres décisions visent expressément l’article L. 242-1 du Code des assurances soit comme fondement unique justifiant la condamnation de l’assureur, soit à l’occasion conjointement avec les dispositions de l’article 1147 du Code civil.
La portée de certains des arrêts ci-avant évoqués a, au surplus, donné lieu à des commentaires ambigus voire contradictoires de la Haute juridiction dans le cadre de ses rapports annuels d’activité.
Le lecteur voudra bien à cet égard se reporter aux développements du rédacteur de la présente note dans le Lamy Assurances 2020, n° 3447, sauf à préciser que selon les arrêts, la condamnation prononcée à l’encontre de l’assureur se justifie dans le cadre de la mise en œuvre soit de la responsabilité contractuelle de droit commun (C. civ., art. 1231-1), soit de la responsabilité contractuelle spécifique du contrat d’assurance qui, en réalité, renvoie à une responsabilité légale et réglementaire.