Ancien ID : 459
Bénéfice de l’assurance dommages-ouvrage. Acquéreur de l’ensemble des lots de copropriété. Conséquences.
La réunion de tous les lots entre les mains d’un même propriétaire entraîne de plein droit la disparition de la copropriété et la dissolution du syndicat qui ne survit que pour les besoins de sa liquidation.
Les actions dont disposait le syndicat des copropriétaires tant contre l’assureur dommages-ouvrage que contre les constructeurs et leurs assureurs ne relèvent pas de celles pour lesquelles ce dernier survit pour les besoins de sa liquidation dès lors qu’il n’a fait aucune avance ou préfinancement des travaux de réparation.
Jean-Pierre Karila
1. L’arrêt rapporté, à tout le moins pour le moyen rapporté, les autres étant sans intérêt, aborde une question originale relativement au bénéfice des actions ouvertes aux acquéreurs successifs de l’ouvrage immobilier atteint par des désordres de nature décennale (en l’occurrence, des infiltrations en toiture-terrasse).Le bénéfice de l’assurance dommages-ouvrage, comme le droit d’agir sur le fondement des responsabilités légales des constructeurs, soulèvent traditionnellement des difficultés en cas de cession de l’ouvrage après achèvement, la Cour de cassation admettant, comme le prévoit expressément l’article 1792 du Code civil, que l’acquéreur de l’ouvrage bénéficie des droits et actions qui étaient ceux du maître de l’ouvrage originaire.
Cette transmission propter rem soulevait et soulève toujours des difficultés pratiques lorsque l’ouvrage en question a fait l’objet d’une division en lots conduisant à la « naissance » d’une copropriété soumise à la loi du 10 juillet 1965 (sur cette question, Droit de la construction : responsabilités et assurances, C. Charbonneau et L. Karila, p. 99, nos 210 à 218).
Le présent arrêt aborde la question strictement opposée : qu’advient-il des actions dont était titulaire le syndicat des copropriétaires lorsqu’un acquéreur unique devient propriétaire de l’ensemble des lots de copropriété ? Telle était la question posée à la Cour de cassation dans la présente affaire.
2. La Cour d’appel de Versailles avait, dans un arrêt du 28 novembre 2005, jugé recevable l’action de l’acquéreur de l’ensemble des lots de copropriété en ce qu’il venait aux droits du syndicat des copropriétaires, ce que contestait l’entreprise générale, le maître d’oeuvre, l’assureur dommages-ouvrage et plusieurs assureurs de constructeurs.
3. La Cour de cassation synthétise l’ensemble des arguments des pourvois sollicitant la censure de cet arrêt autour de deux griefs principaux :
– au titre du premier grief pris de la violation des articles 1134 et 1792 du Code civil d’une part et de l’article 31 du NCPC d’autre part : les demandeurs au pourvoi avançaient la règle selon laquelle, en l’absence de clause expresse dans le contrat, la vente d’un immeuble n’emporte pas de plein droit cession au profit de l’acquéreur des droits et actions à fin de dommages-intérêts qui ont pu naître au profit du vendeur en raison de dégradations causées à l’immeuble antérieurement à la vente, de sorte que la Cour de Versailles ne pouvait statuer comme elle l’avait fait sans constater l’existence d’une telle clause prévoyant le transfert des actions litigieuses ;
– au titre du second grief pris de la violation des articles 14 et 15 de la loi no 65-557 du 10 juillet 1965 : les demandeurs avançaient que la Cour de Versailles ne pouvait statuer comme elle l’avait fait alors qu’en cas de disparition du syndicat, le propriétaire ayant réuni tous les lots entre ses mains n’est pas le successeur de la copropriété, ni son liquidateur de fait, le syndicat, survivant pour les besoins de sa liquidation, ayant seul qualité à agir pour interjeter appel d’une décision ayant fixé ses créances ou ses dettes.
Ce second argument reposait manifestement sur la motivation d’un arrêt de la Cour de Paris (CA Paris, 19e A, 21 novembre 2000, Jurisdata no 2000-130054) qui, pour écarter l’action intentée par des voisins à l’encontre de la Ville de Paris ayant acquis la totalité des lots d’une copropriété en réparation des dommages résultant du fait de l’immeuble, avait retenu que « si la réunion de tous les lots d’une copropriété dans les mains d’un seul copropriétaire a pour effet de mettre fin à l’existence du syndicat ainsi qu’aux pouvoirs du syndic, il n’en résulte pas pour autant que cet unique propriétaire puisse être considéré comme le successeur du syndicat dont il n’est pas « aux droits » (…) ni davantage « liquidateur de fait » ».
4. La Cour de cassation écarte les deux arguments, retenant que « la cour d’appel, qui n’était pas tenue de procéder à une recherche relative à l’existence d’une clause contractuelle de transfert de l’action en réparation que sa décision rendait inopérante, a exactement retenu que la réunion de la totalité des lots composant la copropriété en une seule main, et partant en un seul patrimoine, avait eu pour effet la disparition de la copropriété et du syndicat, et la transmission, à l’acquéreur devenu propriétaire de la totalité des parties communes et privatives de l’immeuble, et partant ayant cause à titre particulier du syndicat, des actions dont ce dernier disposait à l’encontre tant de l’assureur dommages-ouvrage que des constructeurs et des assureurs, ces actions, en l’absence de règlement d’avances et de préfinancement par le syndicat des travaux de réparation, ne relevant pas de celles pour lesquelles ce dernier survit pour les besoins de la liquidation de son patrimoine ; ».
5. Cette motivation apporte une précision pratique importante à la solution de principe énoncée par la même chambre par arrêt du 4 juillet 2007 également publié au Bulletin (Cass. 3e civ., 4 juillet 2007, no 06-11015, Bull. civ. 2007, III, à paraître).
À cette occasion et pour la première fois la Cour de cassation avait statué sur les conséquences juridiques de la réunion en un seul patrimoine de l’ensemble des lots de copropriété estimant :
– d’une part que « la réunion de tous les lots entre les mains d’un même propriétaire entraîne de plein droit la disparition de la copropriété » ;
– et d’autre part que se produit « la dissolution du syndicat qui ne survit que pour les besoins de sa liquidation ».
6. Cette solution est ici rappelée par le présent arrêt de rejet.
L’intérêt de l’arrêt, justifiant sa publication au Bulletin des arrêts de la Cour de cassation, a trait à son caractère illustratif de l’incidence de la disparition de la copropriété sur les actions du syndicat.
On pouvait en effet se demander si l’action née antérieurement à la vente était transmise à l’acquéreur de l’ensemble des lots ou si le syndicat, dont il est désormais acquis qu’il survit à sa disparition pour les besoins de sa liquidation, en était seul titulaire.
Au moyen d’une motivation pédagogique, la Cour de cassation distingue deux hypothèses :
– dans la première hypothèse (applicable en l’espèce) où le syndicat n’a pas engagé de frais en vue de la réalisation des travaux de reprise, la Cour de cassation estime, validant l’arrêt d’appel, que les actions ne relevaient pas de celles pour lesquelles le syndicat survit pour les besoins de liquidation de son patrimoine ;
– dans la seconde hypothèse (non applicable à l’espèce) où le syndicat aura engagé des frais en rapport avec cette action, la lecture a contrario de l’arrêt conduit à considérer qu’il conservera une action à hauteur des frais engagés, l’intérêt à agir pouvant alors être dual.
7. Il résulte de cet arrêt une certitude conduisant au rejet de la première branche : la simple réunion de tous lots entraîne disparition de plein droit du syndicat.
L’incidence de cette disparition sur les droits et actions dépend ensuite des circonstances factuelles, le syndicat survivant et conservant un intérêt à agir toutes les fois qu’il a préfinancé des travaux dont a bénéficié par la suite l’acquéreur.
8. Dès lors, contrairement à ce que soutenait le pourvoi, l’acquéreur n’a pas à justifier de l’existence d’une clause lui conférant le droit d’engager la responsabilité des constructeurs pour des désordres survenus antérieurement à la réunion des lots.
9. Il reste que l’on ne peut exclure qu’un contrat de vente stipule que le vendeur – qui n’aurait en la circonstance pas préfinancé les travaux de réparation – conservera, nonobstant la vente, qualité à agir à l’encontre des constructeurs et des assureurs aux fins d’indemnisation des dommages affectant le bien qu’il vend, de sorte que le Juge devrait, à notre avis, appliquer la convention des parties à cet égard alors même qu’elle dérogerait au principe énoncé par l’arrêt rapporté.
Les rédacteurs de promesses de vente ou d’actes authentiques de vente seraient néanmoins prudents à notre avis de causer juridiquement la clause ci-dessus évoquée, laquelle trouverait une justification pertinente en droit et en fait si les parties indiquent que le prix de vente tient compte de ce que l’acquéreur sera privé de tout recours contre les constructeurs et assureurs pour la remise en état du bien vendu, le vendeur étant justifié dans la conservation de ses droits à l’encontre des constructeurs et assureurs en raison du fait qu’il aurait déjà engagé par exemple la procédure et aurait assumé déjà à ce titre certains frais d’une part, comme du fait que le prix de vente consenti serait inférieur à ce qu’il aurait été si les désordres n’avaient pas existé d’autre part.
10. Si l’on combine les hypothèses s’évinçant de l’arrêt rapporté – comme celle-ci-avant évoquée (supra, no 9) – trois situations peuvent se présenter :
– soit le vendeur n’a préfinancé aucun travaux de réparation de l’ouvrage et, dans cette hypothèse, la réunion des lots en une seule main confère à l’acquéreur l’intégralité des droits et actions dudit vendeur ;
– soit le vendeur a préfinancé les travaux de réparation et à défaut de clause contraire, il conserve un droit à agir à hauteur de ce préfinancement tandis que l’acquéreur ne pourra agir que pour le reliquat ;
– soit enfin le vendeur n’a pas préfinancé des travaux de reprise mais conserve, comme cela serait stipulé dans la promesse de vente ou de l’acte de vente, tous droits et actions à l’encontre des constructeurs responsables des désordres et des différents assureurs (étant cependant observé que l’action qui serait intentée à l’encontre de l’assureur dommages-ouvrage pourrait heurter le principe prétorien d’affectation de l’indemnité par lui payée à la réparation matérielle de l’ouvrage ; tandis que l’irrecevabilité de l’action du vendeur à l’encontre de cet assureur conduirait encore à l’enrichissement nécessaire de l’acquéreur, lequel aurait bénéficié d’un prix réduit en considération des désordres affectant l’ouvrage et qui serait néanmoins seul bénéficiaire de l’indemnité d’assurance dommages-ouvrage).
Les trois hypothèses ci-avant évoquées l’ont été au regard du « vendeur » car pouvant être transposées effectivement dans d’autres situations que celle d’une copropriété.
J.-P. Karila
RGDA 2007, p. 863