Ancien ID : 456
Clause de conciliation préalable obligatoire. Portée.
La clause de saisine préalable à toute action judiciaire en cas de litige sur l’exécution du contrat de l’ordre des architectes ne pouvait porter que sur les obligations des parties au regard des dispositions de l’article 1134 du Code civil.
Il en résulte qu’une telle clause n’a pas vocation à s’appliquer, comme c’était le cas en l’espèce, lorsque la responsabilité de l’architecte était recherchée sur le fondement de l’article 1792 du même code.
Jean-Pierre Karila
1. Le présent arrêt de principe destiné à la double publication au Bulletin des arrêts et au rapport annuel de la Cour de cassation porte sur une question procédurale illustrée en l’espèce dans une affaire où un architecte, qui avait été chargé d’une mission complète de maîtrise d’oeuvre comprenant la conception et le suivi d’exécution du chantier, avait été assigné en référé par le maître de l’ouvrage qui demandait au juge sa condamnation in solidum avec l’entrepreneur chargé du gros oeuvre et son assureur au paiement d’une provision suite à une expertise judiciaire initiée par le maître de l’ouvrage suite à l’apparition de désordres postérieurement à la réception.La Cour de Pau avait, dans un arrêt du 9 janvier 2006, condamné l’architecte, l’entrepreneur et son assureur au paiement d’une provision à valoir sur l’indemnisation qui lui serait octroyée sur le fondement de la responsabilité décennale.
L’architecte formait un pourvoi en cassation contre cette décision, pourvoi qui se basait sur l’existence d’une clause stipulée dans le contrat conclu entre l’architecte et le maître de l’ouvrage par laquelle les parties s’engageaient, en cas de litige relativement à l’exécution du contrat, à saisir pour avis le conseil régional de l’ordre des architectes avant toute procédure judiciaire.
2. C’est la portée de cette clause qui est la matière de cet arrêt. Avant d’en analyser l’apport, il convient de rappeler les termes du débat qui a opposé certaines formations de la Cour de cassation avant la réunion d’une chambre mixte, sur la question de la licéité ou encore de la force obligatoire de ce type de clauses contractuelles.
1o L’affirmation du principe selon lequel la clause instituant une procédure de conciliation obligatoire et préalable à la saisine du juge est licite
3. Les clauses par lesquelles les parties s’imposent un préalable amiable avant toute saisine du juge judiciaire sont susceptibles d’être stipulées dans toute sorte de contrats. Il en est résulté des solutions issues de plusieurs chambres de la Cour de cassation, solutions divergentes.
3.1. L’opposition de la première chambre et la troisième chambre civile quant à la force obligatoire de la clause
La première chambre civile a d’abord de manière sibylline, à l’occasion d’un arrêt publié au bulletin du 23 janvier 20011, retenu que « la clause du contrat d’exercice professionnel subordonnant une action judiciaire à une conciliation des parties par l’autorité ordinale, qui ne constitue pas une fin de non-recevoir, n’est pas d’ordre public et ne se trouve assortie d’aucune sanction », puis a confirmé, dans une décision du 6 mars 20012, un arrêt de la Cour de Paris ayant retenu « par une interprétation souveraine de la volonté des parties lors de la signature de la convention que l’inobservation de la clause prévoyant un préalable de conciliation avant toute procédure ne constituait pas une fin de non-recevoir à l’action en justice, ce qui impliquait que ce préalable n’était pas obligatoire ».
Il découlait de ces deux décisions que, selon la première chambre, ce type de clause n’avait aucune portée pratique réelle, les parties ayant toujours le droit de saisir le juge sans que l’on puisse leur opposer une fin de non recevoir.
La deuxième chambre civile avait quant à elle précédemment, à l’occasion d’un arrêt inédit titré du 6 juillet 20003, validé un arrêt de la Cour de Nîmes aux motifs « qu’ayant relevé que les conventions contenaient une clause de conciliation par laquelle les parties s’étaient engagées à soumettre leur différend à deux conciliateurs avant toute action contentieuse, l’arrêt retient, à bon droit, que l’action en justice introduite par la polyclinique sans observation de la procédure prévue par cette clause est irrecevable ».
3.2. La résolution du conflit par un arrêt de chambre mixte du 14 février 2003 : l’admission de la licéité et de la force obligatoire de la clause de conciliation préalable
Ces deux positions inconciliables ont été rapprochées par la réunion d’une chambre mixte qui a débouché sur un arrêt de principe du 14 février 20034.
À cette occasion, la Chambre mixte a consacré la position de la deuxième chambre civile en affirmant :
– d’une part « qu’il résulte des articles 122 et 124 du Nouveau Code de procédure civile que les fins de non-recevoir ne sont pas limitativement énumérées » ;
– d’autre part « que, licite, la clause d’un contrat instituant une procédure de conciliation obligatoire et préalable à la saisine du juge constitue une fin de non-recevoir qui s’impose au juge si les parties l’invoquent ».
La Cour ajoutait incidemment que la mise en oeuvre de cette conciliation suspendait jusqu’à son issue le cours de la prescription écartant ainsi la principale objection qui était formulée à l’encontre de la solution de la deuxième chambre civile5.
3.3. Cette solution, reprise postérieurement à l’arrêt de chambre mixte par la Chambre commerciale6, laissait en suspend la question du champ d’application de ce principe comme le soulignait le rapport annuel de la Cour de cassation7.
2o La portée de la clause de conciliation préalable : distinction entre obligations légales et obligations contractuelles
4. L’intérêt de l’arrêt rapporté est justement de délimiter le champ d’application ou encore les limites du principe consacré par l’arrêt précité de Chambre mixte du 14 février 2003.
Seront successivement présentés le principe, son illustration et son application au cas d’espèce.
5. Le principe : la clause ne peut avoir d’efficacité que relativement aux obligations des parties au regard des dispositions de l’article 1134 du Code civil
La troisième chambre civile de la Cour de cassation, en application du principe dégagé par l’arrêt précité de l’arrêt de la chambre mixte du 14 février 2003, confirme le principe énoncé par la Cour de Pau qui, « à bon droit » a retenu que « la clause de saisine préalable à toute action judiciaire en cas de litige sur l’exécution du contrat de l’ordre des architectes ne pouvait porter que sur les obligations des parties au regard des dispositions de l’article 1134 du Code civil ».
Bien que la cour introduise cette partie de l’attendu de principe par les mots « ayant relevé », il ne s’agit pas d’une simple constatation factuelle mais de l’affirmation d’un principe selon lequel il convient de distinguer les obligations contractuelles et celles résultant de la loi, seules les premières peuvent et sont affectées par la clause par laquelle les parties subordonnent avant toute action judiciaire un préalable amiable.
Il en résulte :
– si, d’une part, les parties ont toute latitude pour s’imposer un préalable amiable s’agissant des obligations contractuelles, préalable amiable liant le juge et devant le conduire à dire irrecevable, par effet du contrat, toute action engagée sans conciliation préalable ;
– d’autre part, cette clause est sans effet sur les obligations qui résultent de la loi.
Telle est la portée de l’illustration faite par la Cour de cassation et la Cour de Pau concernant l’action fondée sur la responsabilité décennale des constructeurs.
6. Illustration du principe : absence d’efficience de la clause sur l’action engagée par le maître de l’ouvrage sur le fondement de la responsabilité décennale des constructeurs
Cette distinction opérée, la Cour de Pau, dont la décision est ici validée par la Haute juridiction – exerçant un véritable contrôle de légalité comme en attestent les termes « a exactement déduit » – retient que la clause n’a « pas vocation à s’appliquer lorsque la responsabilité de l’architecte était recherchée sur le fondement de l’article 1792 du même code ».
Il est incontestable que la responsabilité décennale résulte d’une obligation légale, au demeurant d’ordre public, et non d’un strict engagement contractuel alors même que la responsabilité/garantie décennale édictée par l’article 1792 du Code civil ne fait qu’aménager dans les conditions prévues par le législateur une responsabilité contractuelle.
Cette responsabilité contractuelle est aussi détachée en quelque sorte du contrat dans la mesure où la jurisprudence décide de son transfert et bénéfice au propriétaire de la chose, objet de dommages relevant de l’application de l’article 1792 du Code civil.
7. L’application du principe : dès lors que les dommages relevaient bien de la responsabilité décennale, l’architecte ne peut invoquer l’irrecevabilité de la demande à raison de l’existence de la clause par laquelle les parties s’obligeaient à un préalable de conciliation
En l’espèce, la cour d’appel a pu, en application des principes ci-dessus dégagés, juger recevable la demande de condamnation de l’architecte au paiement d’une provision à valoir sur l’indemnisation au titre de la responsabilité décennale des constructeurs.
En l’espèce, la demande portait sur l’allocation d’une provision à valoir sur l’indemnisation du préjudice qui a résulté de désordres apparus postérieurement à la réception et dont le caractère décennal n’était semble-t-il, à tout le moins au stade final de l’examen du litige par la Haute juridiction, pas contesté.
La cour d’appel ayant caractérisé le lien de causalité entre ces désordres et le comportement de l’architecte, lien de causalité résultant du fait que ce dernier s’était engagé au titre d’une mission complète et que les désordres résultaient d’une faute de conception, elle pouvait allouer, sans trancher une contestation sérieuse – estime la Cour rejetant l’argument invoqué dans la 5e branche du pourvoi -, une provision sur l’indemnisation du préjudice subi à raison des désordres de nature décennale.
8. Le présent arrêt présente donc un double intérêt :
– un intérêt général en apportant des précisions utiles au régime des clauses de conciliation préalable ;
– un intérêt plus ponctuel en précisant que ces clauses sont sans effet sur les actions engagées sur le fondement de la responsabilité décennale des constructeurs.
Au-delà de ces deux apports, on relèvera encore que la Cour de cassation a consacré l’argument invoqué par la 4e branche du pourvoi qui reprochait à la Cour de Pau d’avoir affirmé que la demande d’irrecevabilité n’était pas invocable dès lors qu’elle ne l’avait pas été in limine litis, le pourvoi reprochant à la Cour de Pau d’avoir violé l’article 123 du NCPC dès lors que « la fin de non-recevoir prise de la méconnaissance d’une stipulation imposant un préliminaire obligatoire de conciliation avant toute action en justice peut être invoquée en tout état de cause ».
En affirmant qu’il devait être fait abstraction de ce motif erroné mais surabondant relatif au moment où la fin de non-recevoir devait être soulevée, la Haute juridiction consacre donc cet argument, petite victoire juridique mais sans conséquence sur la solution finale, la Cour de cassation validant en définitive l’arrêt d’appel ayant condamné l’architecte in solidum au paiement d’une provision sur le fondement de l’article 1792 du Code civil.
J.-P. Karila
1. Cass. 1re civ., 23 janvier 2001, no 98-18679, Bull. civ. I, 2001, no 11, D., 2001, somm. p. 3088, obs. J. Penneau, RTD civ. 2001, p. 359, no 6.
2. Cass. 1re civ., 6 mars 2001, no 98-15502, Bull. civ. I, 2001, no 58.
3. Cass. 2e civ., 6 juillet 2000, no 98-17827.
4. Cass. Ch. Mixte, 14 février 2003, no 00-19423 et a., Bull. ch. mixte 2003, no 1, Cass. soc. D., 2003, jur. p. 1386, note P. Ancel et M. Cottin ; D., 2003, somm. p. 2480, obs. T. Clay ; JCP E 2003, p. 1816, chron. C. Seraglini ; Ibid. 2003, p. 810, note D. Gautier ; Ibid. 2004, p. 465, chron. S. Brena ; Bull. Joly, 2003, p. 938 § 196, note A. Couret ; RTD civ. 2003, p. 294, Chron. J. Mestre et B. Fagès ; RTD civ. 2003, p. 349, chron. R. Perrot ; Répertoire Defrénois, 2003, p. 1158, chron. R. Libchaber.
5. En ce sens, rapp. annuel de la Cour de cassation 2003, p. 422.
6. Cass. com., 17 juin 2003, no 99-16001, Bull. civ. IV, 2003, no 101 ; Cass. soc. D., 2003, somm. p. 2480, obs. T. Clay ; RTD civ. 2004, p. 136, note R. Perrot.
7. « Il restera à dire si la validité de principe de la clause de conciliation préalable ainsi reconnue s’applique à toute matière », Rapp. préc., p. 422.
RGDA 2007, p. 666