Direction de procédure. Présomption de renonciation aux exceptions. Notion d’exception. Exception de garantie. Civ. 3, 6 décembre 2006 (05-16826) — Karila

Direction de procédure. Présomption de renonciation aux exceptions. Notion d’exception. Exception de garantie. Civ. 3, 6 décembre 2006 (05-16826)

Ancien ID : 455

Direction de procédure. Présomption de renonciation aux exceptions. Notion d’exception. Exception de garantie.

Dès lors que l’assureur de responsabilité civile de droit commun a eu connaissance d’une exception de non-garantie alors qu’il était en direction de procédure et qu’il n’a pas opposé cette exception, il est censé, en application de l’article L. 113-17 du Code des assurances, y avoir renoncé.


1. L’arrêt commenté, à s’en tenir aux seules questions d’assurance objet du premier moyen du pourvoi principal, présente un intérêt manifeste – que n’indique pas de prime abord son statut d’arrêt inédit – quant à la conséquence d’une prise de direction d’un procès par l’assureur de responsabilité.

2. L’article L. 113-17 du Code des assurances prévoit en effet en son alinéa 1er que « L’assureur qui prend la direction d’un procès intenté à l’assuré est censé aussi renoncer à toutes les exceptions dont il avait connaissance lorsqu’il a pris la direction du procès. »

3. Il découle de ce texte que, si l’assureur prend la direction d’une procédure intentée à l’égard de son assuré, il n’est plus recevable à opposer à son assuré une exception dont il aurait eu connaissance au jour de la prise de direction. Il s’agit là d’une présomption légale de renonciation à se prévaloir d’une exception.

4. L’assuré n’est cependant recevable à opposer cette présomption que si plusieurs conditions sont réunies.

De la lettre de l’article L. 113-17 du Code des assurances, il découle que la présomption légale de renonciation ne vaut que si l’assureur :

– a effectivement pris la direction d’un procès intenté à son assuré (« fût-ce en référé » ajoute la jurisprudence : Cass. 1re civ., 16 janvier 2001, no 98-13457 ; Cass. 1re civ., 10 mai 2000, no 97-22495, Bull. civ. 2000, I, no 135 : « les dispositions de l’article L. 113-17 du Code des assurances ne sont pas limitées à la défense au fond de l’assuré mais concernent tout procès qui lui est intenté, fût-ce en référé, dès lors que l’assureur en prend la direction, sans réserve, en toute connaissance des exceptions qu’il peut invoquer ») ;

– avait, au moment où il a pris la direction, connaissance de l’existence d’une exception qu’il pouvait opposer à son assuré (rappelant l’importance de la connaissance au jour de la prise de direction : Cass. 1re civ., 21 octobre 2003, no 01-17950, Bull. civ. 2003, I, no 203).

Sur la base ce texte, la Cour de cassation a estimé, dans un arrêt de principe du 23 septembre 2003 (Cass. 1re civ., 23 septembre 2003, no 00-15201, Bull. civ. 2003, III, no 187) qu’il résultait de ce texte que « l’assureur n’est censé avoir renoncé à se prévaloir des exceptions qu’il pouvait invoquer qu’à la double condition qu’il ait dirigé le procès fait à son assuré en connaissance de ces exceptions et qu’il n’ait émis aucune réserve ».

Cet arrêt ajoute donc, au-delà de la lettre du texte, et des deux conditions qui en découlaient, une nouvelle condition savoir l’absence de réserve émise par l’assureur (pour une illustration de la notion de réserves : Cass. 2e civ., 16 novembre 2006, no 05-19664).

5. En l’espèce, l’assureur de responsabilité contractuelle d’un maître d’oeuvre avait manifestement pris la direction de la procédure intentée par un syndicat des copropriétaires à raison de la survenance de désordres consécutifs à des travaux de reprise dont le maître d’oeuvre avait assuré la conception et le suivi d’exécution dès lors :

– qu’il avait participé à la mesure d’expertise ;

– qu’il avait encore assisté son assuré devant les premiers juges au fond ;

– qu’il avait encore interjeté appel de la décision intervenue dans le cadre de la première instance.

Ce n’est que dans le cadre des premières conclusions d’appel que l’assureur avait opposé à son assuré une non garantie, au motif qu’il ne garantissait pas sa responsabilité décennale, fondement sur lequel les premiers juges avaient condamné son assuré.

6. L’assuré demandait aux juges d’appel d’écarter cet argument en se fondant sur l’article L. 113-17 du Code des assurances. La Cour d’appel de Paris, par arrêt du 10 mars 2005, rejetait la prétention de l’assuré aux motifs que :

– le fondement juridique de l’action de l’assuré n’a pas été discuté lors de l’expertise technique ;

– devant le juge du premier degré, le fondement de l’article 1792 du Code civil n’a été soulevé qu’en cours d’instruction de l’affaire comme l’un des multiples fondements invoqués par le syndicat des copropriétaires (assuré) au soutien de son action (1646-1, 1147, 1382, 1792 du Code civil), que cette circonstance mêlée au fait que les désordres s’étaient manifestés avant réception, ce qui induisait un régime de responsabilité contractuelle de droit commun dont l’assureur assurait la garantie, ne permettait pas de déterminer avec certitude avant le jugement du 29 mai 2002 que le fondement juridique qui serait retenu serait la garantie décennale de l’article 1792 exclue du champ de garantie de l’assureur ;

– qu’en relevant appel de cette décision, l’assureur n’avait pas renoncé de façon non équivoque à toute exception, mais seulement rempli son obligation de sauvegarder les intérêts de son assuré.

7. La Cour de cassation censure cette décision pour violation de l’article L. 113-17 du Code des assurances au motif que « l’assureur, qui avait assuré la direction du procès, avait connaissance dès la première instance d’une exception de non-garantie ».

8. L’intérêt de l’arrêt porte essentiellement sur la notion d’exception dès lors que la prise de direction du procès n’était pas contestable, de même que la connaissance qu’avait l’assureur du fondement décennal invoqué en première instance par le syndicat des copropriétaires.

9. La présomption de renonciation de l’article L. 113-17 du Code des assurances ne porte en effet que sur les exceptions que peut opposer l’assureur, notion définie par un arrêt du 3 mars 1998 (Cass. 1re civ., 3 mars 1998, no 96-13581) comme « tout moyen invoqué par l’assureur pour contester sa garantie ».

Ont ainsi été considérés comme constituant des exceptions de garantie :

– l’argument tiré du champ d’application de la police de responsabilité par rapport à l’activité déclarée par l’assuré (Cass. 3e civ., 16 mars 2004, no 01-17450) ;

– ou encore celui tiré de la survenance du dommage à un moment où la garantie était suspendue pour défaut de paiement des primes d’assurance (Cass. 2e civ., 8 septembre 2005, no 04-15889).

10. Cette définition extensive de la notion d’exception trouve deux limites jurisprudentielles constamment réitérées et initiées par un arrêt de principe du 8 juillet 1997 (Cass. 1re civ., 8 juillet 1997, no 95-12817, Bull. civ. 1997, I, no 233) qui a énoncé que

« les exceptions visées par ce texte, en ce qu’elles se rapportent aux garanties souscrites, ne concernent ni la nature des risques garantis ni le montant de cette garantie ».

10.1 À ce jour, la notion de « montant de la garantie » a conduit la Cour de cassation a écarté l’application de l’article L. 113-17 du Code des assurances :

– à propos des plafonds de garantie : principe dégagé par l’arrêt précité du 8 juillet 1997 et confirmé par deux arrêts du 18 juillet 2000 (Cass. 1re civ., 18 juillet 2000, no 98-23241 et no 98-16766) et par arrêt du 17 mars 2005 (Cass. 2e civ., 17 mars 2005, no 03-20822) ;

– à propos de l’argument tiré de la réduction proportionnelle de la garantie sur le fondement de l’article L. 113-9 du Code des assurances : principe dégagé par un arrêt du 21 octobre 2003 (Cass. 1re civ., 21 octobre 2003, no 02-12736) confirmé par un arrêt du 24 février 2004 (Cass. 1re civ., 24 février 2004, no 02-13494).

10.2 En revanche, la notion de « nature des risques garantis » n’a conduit qu’à une seule application.

Par arrêt du 29 février 2000 (Cass. 1re civ., 29 février 2000, no 97-19068, Bull. civ. 2000, I, no 66), la Haute juridiction a écarté l’application de l’article L. 113-17 du Code des assurances à propos d’un refus de garantie de l’assureur fondé sur le défaut de déclaration du chantier ayant conduit à la survenance du sinistre. La Cour de cassation énonce à ce propos que :

« les exceptions auxquelles l’assureur est censé renoncer, en application de l’article L. 113-17 du Code des assurances, lorsqu’il prend la direction du procès intenté à l’assuré, ne concernent pas la nature des risques garantis, de sorte que ce texte n’était pas applicable en la cause ».

11. L’intérêt de l’arrêt est ici de donner une illustration positive de la notion d’exception. Constitue, selon l’arrêt rapporté, une exception de garantie qui relève de l’article L. 113-17 du Code des assurances, l’argument tiré des limites contractuelles de la police à savoir, en l’espèce, l’absence de garantie pour les désordres relevant de la garantie décennale, la police étant cantonnée à la couverture de la responsabilité contractuelle de droit commun.

12. La solution peut paraître sévère en ce qu’elle conduit à l’application de la garantie bien au-delà de ce que les parties avaient envisagé. Elle est d’autant plus sévère que l’assuré en question était par ailleurs couvert, auprès d’un autre assureur, par une police de responsabilité décennale, de sorte que la solution consacrée conduit à imposer à un assureur de responsabilité de droit commun la garantie d’un désordre de nature décennale.

La sévérité découle cependant de l’attitude de l’assureur qui, saisi de conclusions dans le cadre de la première instance, fondée sur la garantie décennale, aurait dû soit prévenir son assuré de manière circonstancié qu’il ne garantissait pas cette responsabilité, soit encore, et de manière plus appropriée à mon sens, conseiller à son assuré de prendre un avocat distinct de celui de la compagnie, l’argumentation des parties étant, sur ce point, inconciliable.

J.-P. Karila

RGDA 2007, p. 411