Procédure – Procédure. Référé. Existence d’une contestation sérieuse. Contrôle (non).
L’existence d’une contestation sérieuse au sens de l’article 809, alinéa 2, du Nouveau Code de procédure civile, ne relève pas du contrôle de la Cour de cassation.
Cour de cassation (1ère Ch. civ.) 5 décembre 2000, n° 98-14778
Compagnie d’Assurances Albingia c/SCI Cambridge et a.
La Cour,
Sur les deux moyens réunis, le premier, pris en ses quatre branches, et le second, en ses deux branches, tels qu’énoncés au mémoire en demande et reproduits en annexe au présent arrêt :
Attendu qu’ayant fait édifier des constructions dont les menuiseries extérieures ont été affectées de désordres, la société civile immobilière Cambridge (la SCI), après avoir, le 23 décembre 1992, déclaré le sinistre à la compagnie Albingia, qui lui avait accordé la garantie de dommages obligatoire, a, le 2 mai 1995, assigné celle-ci en paiement d’une provision ; que le syndicat des copropriétaires de la résidence Cambridge, intervenu volontairement à l’instance, a demandé condamnation à son profit ; que l’arrêt confirmatif attaqué (Caen, 17 février 1998) a condamné et solidum la SCI et l’assureur au paiement d’une provision ;
Attendu, sur le premier moyen, que l’existence d’une contestation sérieuse au sens de l’article 809, alinéa 2, du Nouveau Code de procédure civile ne relève pas du contrôle de la Cour de cassation ; que la cour d’appel, qui a constaté que la SCI était propriétaire de l’ensemble immobilier au moment de la déclaration de sinistre, a exactement décidé que l’effet interruptif des demandes présentées en référé s’était poursuivi jusqu’à la date de l’ordonnance du 9 septembre 1993 et a, à bon droit, décidé que l’action introduite par assignation du 2 mai 1995 n’était pas prescrite ; que, sur le second moyen, la compagnie Albingia n’a pas critiqué, devant la cour d’appel, la disposition de l’ordonnance de référé la condamnant à paiement provisionnel envers le syndicat des copropriétaires de la résidence Cambridge in solidum avec la SCI ;
D’où il suit que le premier moyen, qui manque en fait en sa deuxième branche, est mal fondé en ses première et troisième branches et inopérant en sa quatrième branche, et que le second moyen, en ses deux branches, est irrecevable ;
Par ces motifs ;
Rejette le pourvoi.
NOTE
1 – L’arrêt rapporté, rendu à propos de la garantie d’un assureur dommages ouvrage, qui reprochait à une cour d’appel, statuant en référé, d’avoir tranché une contestation sérieuse au sens de l’article 809, alinéa 2 du Nouveau Code de procédure civile, dès lors que pour allouer une provision, elle avait apprécié qui, du maître de l’ouvrage ou du syndicat des copropriétaires avait la qualité de propriétaire au sens de l’article L. 242-1 du Code des assurances.
La 1re Chambre civile énonce, pour rejeter le pourvoi, que l’existence d’une contestation sérieuse, au sens de l’article 809, alinéa 2 du Nouveau Code de procédure civile, ne relève pas du contrôle de la Cour de cassation.
Cet arrêt, bien que non destiné à être publié au Bulletin des arrêts civils de la Cour suprême, constitue un revirement de Jurisprudence déjà mis en relief par deux arrêts rendus moins d’un mois auparavant, le 4 octobre 2000, par la même 1re Chambre civile (Cass. 1re civ. 4 octobre 2000, Bull. civ. 239, arrêt n° 1 et arrêt n° 2).
2 – Il s’agit bien d’un revirement de jurisprudence au regard de la jurisprudence résultant des arrêts rendus par l’ensemble des Chambres de la Cour suprême : à titre d’illustration, on citera un arrêt de la Chambre commerciale du 1er mars 1983 (Cass. com. 1er mars 1983, Bull. civ. IV, n° 91), qui casse un arrêt d’une cour d’appel statuant en matière de référé, qui avait refusé d’accorder une provision au crédit-bailleur, portant sur la clause pénale de résiliation du crédit-bail, au motif que la cour d’appel ne l’avait pas mis en mesure d’exercer son contrôle, en refusant d’accorder la provision sur le montant de la clause pénale, sans préciser quels étaient les éléments de la contestation qui rendaient celle-ci sérieuse.
Certes, par un arrêt de l’Assemblée plénière du 4 juillet 1986 (Bull. ass. pl. arrêt n° 11), la Cour suprême avait énoncé une solution contraire, du moins en ce qui concerne l’appréciation du trouble manifestement illicite, même en présence d’une contestation sérieuse, au sens, cette fois, des dispositions du 1er alinéa de l’article 809 du Nouveau Code de procédure civile.
Mais, par un arrêt rendu également par l’Assemblée plénière un peu moins de 10 ans après, cette dernière adoptait la solution contraire… (Cass. ass. pl., 28 juin 1996, Bull. ass. pl. arrêt n° 6).
Commentant ce dernier arrêt, la Cour de cassation, dans son rapport pour l’année 1996, après avoir rappelé le précédent arrêt précité de l’Assemblée plénière du 4 juillet 1986, indiquait que désormais, elle exercerait un contrôle relativement à l’appréciation de l’existence du trouble manifestement illicite.
La Cour suprême, dans son rapport précité, ajoutait :
« La Cour de cassation, dont le rôle est de censurer la non conformité des décisions aux règles de droit, et qui contrôle par ailleurs l’appréciation par le juge des référés du caractère sérieux ou non d’une contestation, a estimé qu’elle ne pouvait pas laisser à la juridiction des référés le soin de déterminer sans aucun contrôle ce qui est licite et ce qui ne l’est pas. » (Rapport de la Cour de cassation, 1996, p. 349).
3 – Toujours dans son rapport de l’année 1996, la Cour suprême, commentant cette fois un arrêt rendu par la 2e Chambre civile, en matière d’accident de la circulation, le 20 novembre 1996 (Cass. 2e civ., 20 novembre 1996, Bull. civ. 258), cassant un arrêt de référé d’une cour d’appel qui avait condamné un assureur à une provision, alors qu’était sérieusement contestable l’obligation de celui-ci, dès lors qu’il soutenait qu’une exclusion de garantie était opposable au souscripteur du contrat, lequel s’était en outre placé en connaissance de cause dans une situation exclusive de garantie, énonce ;
« Bien que la jurisprudence de la 2e Chambre sur la notion de contestation sérieuse en matière de référé instaure un contrôle léger (Cass. 2e civ., 8 juin 1995, Bull., civ. 181 et 182), cette juridiction a décidé qu’en dépit de la clarté des dispositions des textes applicables, la source de droit constituée par la jurisprudence devait être prise en considération, et qu’il y avait donc une contestation sérieuse soulevée devant les juges du fond ».
C’est dans ce contexte que la 1re Chambre civile a rendu, avant l’arrêt rapporté, les deux arrêts précités du 4 octobre 2000.
Commentant ces deux arrêts, H. Groutel (RCA 2000, ch. n° 27 « Le référé provision et la Cour de cassation : un revirement en trompe-l’oeil »), après avoir observé qu’ils énoncent tous deux que l’appréciation d’une contestation sérieuse au sens de l’article 809, alinéa 2 du Nouveau Code de procédure civile, ne relève pas du contrôle de la Cour de cassation, estime notamment en raison de la cassation prononcée par l’un des deux arrêts (arrêt n° 2), pour violation des articles 1792-6 du Code civil et 7 du Nouveau Code de procédure civile, qu’il serait hâtif de considérer que : « Les juges de référés pourront désormais faire ce qu’ils veulent ».
Pour fonder cette opinion, H. Groutel distingue selon que le juge des référés a ou non accordé la provision sollicitée.
Dans la première hypothèse, dans le souci de limiter le nombre de pourvois, la Cour suprême se refuse à exercer un contrôle, qui de toute façon, serait exercé par la juridiction de fond ; dans la seconde hypothèse, la Cour suprême continuerait à exercer son contrôle, à condition toutefois que la décision dans l’instance au fond – sur la même question tranchée par le juge des référés – eut été soumise à son contrôle.
H. Groutel conclut en conséquence :
« Désormais, la répartition des pouvoirs entre la juridiction des référés et la Cour de cassation sera empruntée à la réparation entre cette dernière et les juges du fond statuant sur le fond. En particulier, le fait pour l’assureur d’invoquer une contestation sur l’interprétation d’une clause de la police ne sera plus suffisant pour faire censurer la cour d’appel qui a accordé une provision. En revanche, le grief de dénaturation, fondé sur l’article 1134 du Code civil, pourrait être accueilli ».
5 – L’arrêt rapporté s’inscrit donc dans le cadre du revirement jurisprudentiel ci-dessus évoqué.
On ne peut manquer toutefois de le rapprocher d’un arrêt rendu quelques jours auparavant par la 3e Chambre civile, le 26 novembre 2000 (Cass. 3e civ., 26 novembre 2000, Sté Rémi Fantin Promotion c/M. Raymond Bibollet, pourvoi n° P. 99-13840, arrêt n° 1520 F-D), qui casse et annule dans toutes ses dispositions un arrêt de référé de la Cour de Chambéry, pour violation de l’article 809, alinéa 2 du Nouveau Code de procédure civile, qui avait accordé une provision sur les honoraires dus à un architecte qui avait notamment préparé le dossier de permis de construire, lequel permis de construire avait été, par la suite, annulé pour illégalité en raison de la constitution irrégulière du dossier ; la Cour de Chambéry avait, pour accueillir la demande de provision de l’architecte, retenu que cet architecte avait respecté les termes de son contrat, le permis de construire ayant été obtenu, qu’aucun recours n’avait été formé dans le délai de deux mois à compter de la délivrance dudit permis, et que le recours déposé par une association de protection du site n’était pas opposable à l’architecte, et ne pouvait motiver l’exception d’inexécution soutenue par le maître de l’ouvrage ; la Cour de cassation casse l’arrêt de la Cour d’appel de Chambéry, au prétexte qu’en statuant ainsi, elle avait tranché une contestation sérieuse, et violé par conséquent l’article 809, alinéa 2 du Nouveau Code de procédure civile.
La comparaison de l’arrêt rapporté avec celui ci-dessus évoqué du 26 novembre 2000, ne semble pas valider l’analyse de H. Groutel : plus précisément, si l’arrêt ci-dessus évoqué valide une telle analyse en ce que manifestement la décision sur l’instance au fond qui aurait été engagée par l’architecte aurait été soumise au contrôle de la Cour suprême, en revanche, l’arrêt rapporté ne la valide pas, en ce sens que l’appréciation de la qualité de propriétaire de la construction, au sens de l’article L. 242-1 du Code des assurances, eut été une question qui devait être tranchée par le juge du fond, et à propos de laquelle la Cour suprême aurait eu à exercer son contrôle…
6 – En définitive, s’il est vrai qu’il serait hâtif de considérer que « les juges des référés pourraient désormais faire ce qu’ils veulent », il est clair néanmoins que le revirement jurisprudentiel ci-dessus évoqué est de nature à permettre désormais au juge des référés de trancher, sans possibilité a priori de contrôle de la Cour suprême, toutes les questions relatives aux conditions de la garantie, ou encore aux exclusions de garantie qui pourraient être soulevées pertinemment par un assureur, comme ne l’a d’ailleurs pas écarté H. Groutel lui-même.
Si tel devait être le cas, on ne pourrait que regretter la situation résultant de l’arrêt précité, comme des arrêts de la 1re Chambre civile du 4 octobre 2000 et l’application littérale qui en serait faite par les juges des référés.
RGDA 2001-1 p.171