Ancien ID : 129
Assurance construction. Assurance de dommages obligatoire
Jean-Pierre Karila
Assurance construction. Assurance de dommages obligatoireResponsabilité du notaire. Mentions dans l’acte de vente des assurances obligatoires. Obligation d’efficacité juridique des actes reçus. Objet du conseil du notaire. Domaine d’application des assurances obligatoires : dommage aux existants (oui dans certaines conditions).
Dès lors que le notaire connaissait nécessairement l’ampleur de l’opération de rénovation, les juges du fond en déduisent exactement que ce notaire qui était tenu à la fois d’une obligation d’efficacité juridique des actes reçus et d’un devoir de conseil à l’égard des parties à ces actes, avait engagé sa responsabilité en s’abstenant de faire mention des assurances obligatoires prévues aux articles L. 241-1 et L. 242-1 du Code des assurances et d’en vérifier l’exactitude. Les assurances obligatoires visées aux articles L. 241-1 et L. 242-2 du Code des assurances, souscrites pour la réalisation de travaux de rénovation d’un immeuble ancien, auraient permis, dans les circonstances de l’espèce, l’indemnisation des dommages affectant les existants.
Cour de cassation (1re Ch. civ.) 27 mai 2003
Sté Albert Bonnave et autres c/ Sté Les Pénitentes et autres
La Cour,
Sur les deux moyens réunis, le second pris en ses deux branches :
Attendu que la SCI Les Pénitentes qui avait acquis un immeuble ancien à Lille a opéré la division de cet immeuble en plusieurs lots de copropriété, revendu chacun de ces lots à des acquéreurs et entrepris des travaux de rénovation des parties communes ; que le 20 décembre 1996 M. Frédéric Bonnave associé de la SCP notariale Albert Bonnave et Frédéric Bonnave a instrumenté l’acte authentique de vente par lequel la SCI a cédé un lot aux consorts Boutry, étant précisé dans cet acte que les travaux relatifs aux parties communes étaient réalisés par le vendeur l’acquéreur ne prenant en charge que les travaux d’aménagement de l’appartement ; qu’un arrêté municipal du 26 mars 1999 ayant interdit l’occupation de l’immeuble, les consorts Boutry ont demandé l’annulation de la vente au motif que les travaux effectués dans l’immeuble étaient des travaux de rénovation lourde entraînant l’obligation de souscrire une assurance construction ;
Attendu que M. Frédéric Bonnave et la SCP Albert et Frédéric Bonnave font grief à l’arrêt attaqué (Douai, 3 juillet 2000) de les avoir condamnés, in solidum avec la SCI Les Pénitentes, à payer diverses sommes aux consorts Boutry, alors, selon le moyen :
1o qu’en affirmant, sans justification, que le notaire connaissait nécessairement l’ampleur de l’opération et aurait dû tirer les conséquences juridiques de la nature des travaux de rénovation qu’avait effectués le vendeur, sans préciser ainsi qu’elle y avait été invitée par la SCP notariale, quels éléments auraient permis à l’officier ministériel de suspecter l’importance des travaux réalisés par le vendeur et leur caractère inachevé au jour de la vente, circonstances qui auraient justifié l’application de l’article 1601-1 du Code civil et l’obligation de souscrire une assurance responsabilité ou dommages-ouvrage, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard de l’article 1382 du Code civil ;
2o que les assurances visées aux articles L. 241-1 et L. 241-2 du Code des assurances ne sauraient couvrir les dommages affectant des bâtiments préexistant à la réalisation des travaux faisant l’objet des garanties obligatoires et possédant une cause identifiée et étrangère aux opérations de construction ou de rénovation et en affirmant que les assurances obligatoires visées aux articles L. 241-1 et L. 241-2 du Code des assurances, souscrites pour la réalisation de travaux de rénovation d’un immeuble ancien, auraient permis l’indemnisation des dommages affectant la charpente préexistante et résultant de causes étrangères et antérieures à la réalisation des travaux – l’attaque de vrillette et de pourriture molle – la cour d’appel a violé ces dispositions, ensemble les articles 1792 et suivants du Code civil, par fausse application, et que la garantie d’achèvement a pour seul objet l’achèvement des travaux et ne saurait garantir les vices ou désordres qui entachent l’immeuble livré et en affirmant que la situation de l’immeuble livré aux consorts Boutry et occupé par ces derniers, s’apparentait en raison des vices et désordres dont il était entaché à une non livraison couverte par la garantie d’achèvement, la cour d’appel a violé les articles R. 261-17 et suivants du Code de la construction et de l’habitation ;
Mais attendu, d’abord, que les juges du fond qui ont constaté que M. Bonnave qui avait reçu tous les actes en rapport avec l’immeuble connaissait nécessairement l’ampleur de l’opération envisagée par la SCI Les Pénitentes y compris son prix mentionné dans l’acte représentant quant aux seules parties communes, près de 80 % du prix d’achat de l’immeuble ainsi que la modification de la structure intérieure avec réalisation de divisions et de surfaces nouvelles, en ont exactement déduit que ce notaire, qui était tenu à la fois d’une obligation d’efficacité juridique des actes reçus et d’un devoir de conseil à l’égard des parties à ces actes, avait engagé sa responsabilité en s’abstenant de faire mention des assurances obligatoires prévues aux articles L. 241-1 et L. 242-1 du Code des assurances et d’en vérifier l’exactitude ;
Qu’ensuite les assurances obligatoires visées aux articles précités, souscrites pour la réalisation de travaux de rénovation d’un immeuble ancien, auraient permis l’indemnisation des dommages affectant les existants et résultant de causes antérieures à la réalisation des travaux dès lors que les désordres apparus provenaient d’une erreur de diagnostic relativement à l’état du support vermoulu et donc d’une rénovation opérée contrairement aux règles de l’art, de sorte que les désordres affectaient indivisiblement l’ensemble de l’ouvrage ; que le premier moyen et la première branche du second moyen ne sont pas fondés, la seconde branche de ce moyen étant inopérante pour critiquer un motif surabondant ;
Par ces motifs :
Rejette le pourvoi…
Note
1. Il résulte des dispositions de l’article L. 243-2, alinéa 2 du Code des assurances, qui énonce que : « lorsqu’un acte intervenant avant l’expiration du délai de dix ans prévu à l’article 2270 du Code civil a pour objet de transférer la propriété ou la jouissance du bien, quelque soit la nature du contrat destiné à conférer ces droits, à l’exception toutefois des baux à loyer, mention doit être faite dans le corps de l’acte ou en annexe de l’existence ou de l’absence d’assurance », l’obligation pour le notaire rédacteur notamment d’un acte de vente de mentionner expressément l’existence ou l’absence des assurances obligatoires qui ont été ou auraient dû être souscrites en vertu des articles L. 241-1 et L. 241-2 du Code des assurances.
Cette obligation a pour conséquence qu’il doit vérifier l’exactitude des déclarations du vendeur (Cass. 1re civ., 7 février 1989, RGAT 1989, p. 605, note J. Bigot ; P.-H. Dubois, Le Notaire et l’article L. 243-2 du Code des assurances, RDI 1998, p. 375) sans pouvoir se contenter de la déclaration du vendeur selon laquelle les responsables de la construction étant la Société X… (Cass. 1re civ., 8 juillet 1994, Bull. civ. I, no 237) ou encore de l’indication d’une assurance dont le numéro de police n’était pas précisé et sans s’assurer ainsi de la souscription réelle dudit contrat d’assurance (Cass. 1re civ., 7 mars 1995, D. 1995, IR, p. 94).
Mieux (ou pire…) encore, le notaire doit vérifier dans certaines circonstances l’efficacité du contrat d’assurance souscrit (Cass. 1re civ., 18 février 1997, RGDA 1997, p. 521, note H. Périnet-Marquet) sans toutefois être tenu en outre d’appeler spécialement l’attention des parties et en particulier de l’acheteur sur les conséquences résultant de cette absence d’assurance (Cass. 1re civ., 13 mars 2001, RGDA 2002, p. 717, note A. d’Hauteville).
Sur l’ensemble de la question, voir J.-P. Karila et J. Kullmann, Lamy assurances 2004, no 839.
2. L’arrêt rapporté s’inscrit dans le contexte jurisprudentiel ci-avant rappelé mais dans des circonstances d’espèce bien particulières, en ce sens que l’immeuble en copropriété dont l’acquéreur avait acquis un lot, faisait à l’époque de la vente l’objet d’une opération de rénovation lourde en ce qui concerne les parties communes.
De sorte que se posait au regard de l’éventuelle responsabilité du notaire, la question de la connaissance par ce dernier de l’ampleur et de la consistance des travaux de rénovation, lesquels n’entrent dans le champ d’application de l’assurance obligatoire que s’ils sont constitutifs de la construction d’un ouvrage au sens de l’article 1792 du Code civil.
3. L’arrêt frappé de pourvoi avait condamné in solidum le notaire et le vendeur à payer aux acquéreurs certaines sommes. Pour ce faire et en ce qui concerne plus particulièrement le notaire, la cour d’appel avait estimé notamment que ce dernier connaissait nécessairement l’ampleur de l’opération de rénovation y compris le coût approximatif des travaux représentant quant aux seules parties communes, près de 80 % du prix d’achat de l’immeuble, et que « tenu à la fois d’une obligation d’efficacité juridique des actes par lui reçus et d’un devoir de conseil et de protection à l’égard des parties à ces actes, quant aux buts qu’elles se sont fixés, avait en conséquence le devoir de conseiller la vente d’immeuble à construire et, en toute hypothèse, et pour respect de l’article L. 243-2, alinéa 2 du Code des assurances, faire apposer des mentions relatives aux assurances obligatoires prévues aux articles L. 241-1 et suivant du même Code qu’aurait dû souscrire » la venderesse et « en vérifier l’exactitude ».
4. Le demandeur au pourvoi avait articulé deux moyens de cassation, savoir :
– le premier au motif que le notaire ne saurait être tenu, au titre de ses obligations, d’assurer l’efficacité de l’acte, de prendre en compte des éléments de fait dont il ignorait l’existence et que les parties lui avaient dissimulé, et qu’ainsi en affirmant sans justification, que le notaire connaissait nécessairement l’ampleur de l’opération et aurait dû tirer les conséquences juridiques de la nature des travaux de rénovation qu’avait effectués le vendeur… la cour avait privé sa décision de base légale au regard de l’article 1382 du Code civil ;
– le deuxième comportant deux branches, dont la seconde, bien que la Cour Suprême en ait rappelé le contenu, n’a pas été, de facto, examinée par celle-ci, la première selon laquelle la cour avait violé les articles L. 241-1 et L. 1241-2 du Code des assurances ainsi que les articles 1792 et suivants du Code civil par fausse application, au prétexte que les assurances visées aux dispositions précitées du Code des assurances « ne sauraient concerner les dommages affectant des bâtiments préexistants à la réalisation des travaux faisant l’objet des garanties obligatoires et possédant une cause identifiée et étrangère aux opérations de construction et/ou de rénovation » ; qu’ainsi, « en affirmant que les assurances obligatoires visées aux articles L. 241-1 et L. 241-2 du Code des assurances souscrites pour la réalisation de travaux de rénovation d’un immeuble ancien, auraient permis l’indemnisation des dommages affectant la charpente pré-existante et résultant de causes étrangères et antérieures à la réalisation des travaux, la cour d’appel avait violé » les textes précités du Code des assurances et du Code civil.
5. La Cour Suprême rejette le pourvoi.
Pour ce faire et sur le premier moyen, elle relève que dès lors que les juges du fond avaient constaté que le notaire avait reçu tous les actes en rapport avec l’immeuble, il connaissait parfaitement l’ampleur de l’opération envisagée ainsi que la modification de la structure intérieure avec réalisation de divisions et de surfaces nouvelles, ils en avaient « exactement déduit que ce notaire qui était tenu à la fois d’une obligation d’efficacité juridique des actes reçus et d’un devoir de conseil à l’égard des parties à ces actes, avait engagé sa responsabilité en s’abstenant de faire mention des assurances obligatoires prévues aux articles L. 241-1 et L. 242-1 du Code des assurances et d’en vérifier l’exactitude ».
La validation de l’arrêt sur ce point est donc « forte » bien qu’elle ait trait aux conséquences d’une situation de fait appréciée souverainement par les juges du fond, pouvoir souverain auquel la Cour Suprême ne fait pas référence, validant et réitérant en quelque sorte à son propre compte la situation de fait telle que perçue par les juges du fond.
6. En ce qui concerne le second moyen pris en sa première branche, la Cour Suprême rappelle pertinemment que les assurances obligatoires liées aux articles L. 241-1 et L. 242-1 du Code des assurances, souscrites pour la réalisation des travaux de rénovation de l’immeuble ancien « auraient permis l’indemnisation des dommages affectant les existants résultant de causes antérieures à la réalisation des travaux dès lors que les désordres apparus provenaient d’une erreur de diagnostic relativement à l’état du support vermoulu et donc d’une rénovation opérée contrairement aux règles de l’art, de sorte que les désordres affectaient indivisiblement l’ouvrage », reprenant ainsi sinon le texte intégral, du moins l’esprit, de l’arrêt de principe rendu en la matière (arrêt Sogebor Cass. 3e civ., 30 mars 1974, Bull. civ. III, no 70). En ce sens, l’arrêt rapporté ne peut qu’être approuvé.
Sur l’ensemble de la question relative à l’assurance des dommages mettant en cause un existant, v. J.-P. Karila et J. Kullmann, Lamy assurances 2004, no 2825 à 2834.
RGDA 2003