Ancien ID : 122
Assurance de responsabilité décennale
Jean-Pierre Karila
Démolition de l’ouvrage et principe indemnitaire. Réparation intégrale du préjudice. Nécessité de caractériser les différents chefs de préjudice. Capitalisation des intérêts (conditions).Imputabilité des désordres et partage des responsabilités.La démolition de l’ouvrage avant que le juge ne statue, ne fait pas obstacle à la condamnation du vendeur d’immeuble à construire ni à celle des assureurs de responsabilité décennale, dès lors que leurs garanties ne sont pas subordonnées à la réparation effective de l’immeuble affecté de désordres décennaux.
Le principe de la réparation intégrale du préjudice conduit à retenir l’indemnisation des pertes de loyer alors même que le locataire avait fait l’objet d’une procédure collective, le lien de causalité entre les désordres et la perte de loyer étant établi par l’impossibilité de location de l’immeuble considéré pendant la période considérée.
L’article 1154 du Code Civil n’exige pas que, pour produire des intérêts, les intérêts échus des capitaux soient dus depuis au moins une année au moment de la demande.
Viole l’article 1147 du Code Civil, la Cour d’appel qui condamne les constructeurs et leurs assureurs à indemniser le propriétaire de l’immeuble du montant des impôts fonciers sans caractériser le lien de causalité entre les désordres et l’obligation de payer ledit impôt, auquel le propriétaire est tenu en toute hypothèse.
Viole l’article 1382 du Code Civil, une Cour d’appel qui après avoir estimé que le partage de responsabilité proposé par l’expert était globalement satisfaisant, le modifie en raison de l’état de liquidation judiciaire d’un des responsables, attribuant ainsi aux autres co-responsables la part de ce dernier.
Cour de Cassation (3èmeCh. Civ.)
21 janvier 2004
Ste SESMA et autres c/ Ste EUROBAIL SICOMI et autres.
Pourvoi n° 00-17882, Bull. n° 10
La Cour.
Attendu, selon l’arrêt attaqué (Versailles, 15 mai 2000), que La SCI Les Rochettes, succédant à la SCI Bourgogne, a fait édifier en 1981 un magasin de 1 456 mètres carrés ; que la Société d’études de promotion et de réalisations industrielles et commerciales (SEPRIC) est intervenue comme promoteur, assurée par la compagnie Winterthur, également assureur dommages-ouvrage, M. X… en qualité d’architecte chargé d’une mission complète, la société Ingénieurs conseils construction Rhône-Alpes (SICCRA) pour les études béton, le Bureau Véritas comme contrôleur technique, la Société nouvelle de travaux publics (SNTP), assurée par la compagnie Abeille assurances, pour le lot terrassement-remblais, la société Le Sol provençal pour les fondations spéciales, la société Sesma pour le gros oeuvre, ces deux dernières assurées par la compagnie mutuelle L’Auxiliaire ; que la SEPRIC a vendu le magasin à la société Eurobail Sicomi (Eurobail) qui l’a donné à bail è la société Dép»t-Vente 42 ; que des désordres étant apparus, la société Eurobail, apr»s d«signation d’un expert judiciaire, a assignà en réparation ; qu’une contre-expertise a été confiàe aux experts Z… et Y…, puis une consultation à M. A…, ingénieur chimiste ; que la société Eurobail ayant fait procédé à la démolition de l’immeuble et cette information ayant été portée à la connaissance de la cour d’appel en cours de délibéré, celle-ci a rouvert les débats pour permettre aux parties de s’expliquer sur ce point ;
Sur le premier moyen du pourvoi principal, pris en sa première branche, le deuxième moyen du pourvoi incident de M. X…, pris en sa première branche, et le premier moyen du pourvoi incident des compagnies Winterthur et Abeille et du Bureau Véritas (sans intérêt)
Sur le premier moyen du pourvoi incident de M. X. (sans intérêt)
Sur les deuxième, troisième et quatrième branches du premier moyen du pourvoi principal et du deuxième moyen du pourvoi incident de M. X… et les quatre branches du deuxième moyen du pourvoi incident des compagnies Winterthur et Abeille et du Bureau Véritas :
Attendu qu’il est fait grief à l’arrêt de condamner les constructeurs et assureurs à payer diverses sommes à la société Eurobail, alors, selon le moyen :
1 / que la responsabilité des constructeurs fondée sur les articles 1792 et suivants du Code civil, comme celle de droit commun, suppose l’existence d’un préjudice direct, certain et actuel qu’il appartient au juge d’évaluer en se plaçant à la date où il rend sa décision, en sorte que la destruction volontaire de l’immeuble prétendument atteint de désordres par son propriétaire, ou sa disparition par cas fortuit ou par la faute d’une personne autre que les constructeurs, entraîne nécessairement la disparition du préjudice causé par les désordres allégués ; qu’en l’espèce, dès lors qu’elle intervenait avant qu’il eût été définitivement statué sur la réparation de son préjudice, la démolition décidée par le propriétaire faisait disparaître son préjudice et, partant, son droit à réparation ; qu’en décidant le contraire, méconnaissant par là même le principe selon lequel toute action en responsabilitè suppose la démonstration d’un préjudice encore actuel au jour o» le juge statue, la cour d’appel a violé les articles 1792 et suivants du Code civil ;
2 / qu’après avoir retenu que le propriétaire faisait valoir que la démolition de l’immeuble avait été justifiée par sa volonté de ne pas exposer des frais de maintenance sans perception de loyers en contrepartie, le juge ne pouvait relever que c’était l’existence des vices qui l’avait obligé à démolir le bâtiment quand il résultait de sa première constatation que ce n’étaient pas les désordres qui avaient contraint l’intéressé à démolir son bien mais des considérations financières, étrangères à l’existence même desdits désordres, ce qui excluait son droit à réparation à raison des défauts dénoncés ; qu’en se prononçant comme elle l’a fait, la cour d’appel a violé les articles 1792 et suivants du Code civil ;
3 / que la société Sesma, la Mutuelle L’Auxiliaire et la société Le Sol provençal faisaient valoir que le fait pour le propriétaire d’avoir détruit le bâtiment qui n’était pas en état de ruine le 7 décembre 1999, quand les plaidoiries étaient fixées au 6 décembre, révélait une attitude frauduleuse de sa part ; qu’en délaissant ces conclusions fondées sur le principe fraus omnia corrumpit, la cour d’appel a privé sa décision de tout motif en méconnaissance des exigences de l’article 455 du nouveau Code de procédure civile ;
4 / que l’action n’est ouverte qu’à ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet d’une prétention ; qu’en toute hypothèse, en jugeant recevable l’action de la société Eurobail Sicomi, nonobstant la circonstance qu’elle avait détruit l’immeuble au titre duquel elle recherchait la responsabilité des constructeurs, quand cette circonstance, qui privait son action d’objet, lui ôtait par là même tout intérêt à agir, la cour d’appel a violé l’article 31 du nouveau Code de procédure civile ;
Mais attendu qu’ayant retenu exactement que la société Eurobail était en droit d’obtenir la délivrance d’un immeuble exempt de vices et qu’aucune disposition légale ne subordonnait la garantie du vendeur d’immeuble, des constructeurs et des assureurs de responsabilité à une réparation effective de l’immeuble affecté de désordres décennaux et relevé que les désordres affectant l’immeuble compromettaient sa solidité et le rendaient impropre à sa destination et que l’existence de vices avait obligé le propriétaire à démolir son immeuble, la cour d’appel a pu en déduire que s’il n’y avait pas eu de désordres, la société Eurobail aurait disposé dans son patrimoine d’une valeur au moins égale aux réparations nécessaires et que la destruction de l’immeuble ne modifiait pas le principe ou l’étendue des obligations des constructeurs ou assimilés ainsi que de leurs assureurs respectifs, et a, répondant aux conclusions, caract°risé l’intérêt à agir de la société Eurobail ;
D’où il suit que le moyen n’est pas fondé ;
Sur le troisième moyen du pourvoi principal, pris en ses deuxième et troisième branches, le quatrième moyen, pris en ses deuxième et troisième branches du pourvoi incident de M. X…, le moyen unique du pourvoi incident des sociétés SEPRIC et les Rochettes, le troisième moyen, pris en ses deuxième et troisième branches, du pourvoi incident des compagnies Winterthur et Abeille et du Bureau Véritas :
Attendu qu’il est fait grief à l’arrêt de condamner les constructeurs et assureurs à payer diverses sommes à la société Eurobail, alors, selon le moyen :
1 / que le débiteur contractuel n’est tenu que des dommages-intérêts qui ont été prévus et qu’on a pu prévoir lors du contrat ; qu’en condamnant les constructeurs et les assureurs à payer au propriétaire les loyers que lui aurait prétendument procuré la location de l’immeuble et à lui rembourser le montant des impôts fonciers payés de 1991 à 1998, sans donner aucune raison de nature à justifier qu’il s’agissait là de dommages-intérêts prévus ou prévisibles lors de la conclusion des contrats d’entreprise, la cour d’appel a priv« sa décision de toute base légale au regard de l’article 1150 du Code civil ;
2 / que les sociétés Sesma, Le Sol provençal et la Mutuelle L’Auxiliaire faisaient valoir dans leurs conclusions récapitulatives qu’il n’y avait aucun lien causal entre les désordres dont l’immeuble était atteint et le fait que son propriétaire n’avait pu le louer, qu’il était en effet apparu au cours des opérations d’expertise de MM. Y… et Z… que plusieurs entrepôts de même nature que celui en question étaient libres de toute occupation dans cette petite zone d’activité de la ville qui n’avait plus la même commercialité qu’initialement, et qu’ainsi c’était le défaut de clients à la location qui était à l’origine de la non-location et non les désordres allégués ; qu’en délaissant ces conclusions déterminantes, la cour d’appel a privé sa décision de tout motif en violation de l’article 455 du nouveau Code de procédure civile ;
3 / que les constructeurs ne sont tenus que de réparer les dommages qui sont la conséquence directe et certaine des désordres ;
qu’en toute hypothèse, en condamnant les constructeurs et leurs assureurs à payer à la société Eurobail les loyers qu’elle n’avait pu percevoir après la liquidation judiciaire et le départ de sa locataire, sans caractériser de lien de causalité entre les désordres et une quelconque impossibilité de relouer les locaux et ce d’autant qu’elle relevait que la faillite de la locataire de la société Eurobail était la conséquence de la conjoncture économique défavorable, la cour d’appel a violé les articles 1147 et 1792 du Code civil ;
4 / qu’en affirmant tout à la fois que le préjudice subi par la société Eurobail « peut être évalué au coût des reprises qu’il aurait fallu faire pour mettre fin aux désordres », tout en refusant d’inclure dans cette évaluation le montant des honoraires de maîtrise d’oeuvre relatifs à ces travaux au motif « qu’il n’en sera pas exposé » puisqu’il « est désormais acquis que l’indemnité accordée n’aura pas pour objet la remise en état de l’immeuble », la cour d’appel a entaché son arrêt d’une contradiction de motifs et violé l’article 455 du nouveau Code de procédure civile ;
5 / qu’à supposer même que la victime d’un dommage à l’ouvrage puisse employer « comme bon lui semble » l’indemnité versée par les constructeurs sur le fondement de la garantie décennale, celle-ci ne saurait en tout état de cause excéder le préjudice effectivement subi ;
qu’en l’espèce, la cour d’appel a alloué à la société Eurobail tout à la fois une indemnité pour perte de loyers et pour le montant des assurances versées, une somme au titre de la taxe foncière pour les années 1991 à 1998 et une autre pour les désordres matériels, tout en constatant qu’au jour où elle statuait, l’immeuble avait été démoli « par la volonté de son propriétaire », ce que la société Eurobail aurait décidé depuis le rapport de l’expert A… le 15 novembre 1998 ; qu’il s’ensuit que la cour d’appel a excédé la réparation intégrale du préjudice subi par la société Eurobail Sicomi et violé les articles 1792-1 2 , 1831-1, 1147 et 2270 du Code civil ;
Mais attendu qu’ayant relevé, d’une part, que s’il n’y avait pas eu de désordres, la société Eurobail disposerait dans son patrimoine d’une valeur au moins égale aux réparations nécessaires et, d’autre part, qu’après la liquidation de sa locataire « Dépôt-Vente 42 », la société Eurobail ne pouvait plus disposer d’un immeuble en état d’être loué puisqu’il se révèlait dangereux pour les utilisateurs, que l’acharnement des défendeurs à contester les conclusions du premier expert avait abouti à la désignation de trois autres experts, le dernier rapport ayant été déposé le 15 novembre 1998, que, jusqu’à cette date, il était absolument impossible pour la société Eurobail de louer le local et de solliciter une provision pour effectuer des travaux qui auraient été prématurés compte tenu des investigations en cours et de la contestation toujours vive sur les responsabilités, la cour d’appel, sans être tenue de répondre à de simples allégations, a caractérisé l’existence de chefs de préjudice distincts ainsi que le lien de causalité entre les désordres et la perte de loyers, et, sans excéder la réparation intégrale du préjudice, a souverainement évalué son montant en adoptant le mode de calcul qui lui est apparu le meilleur ;
D’où il suit que le moyen n’est pas fondé ;
Sur le troisième moyen du pourvoi principal, pris en sa quatrième branche, sur le quatrième moyen, pris en sa quatrième branche, du pourvoi incident de M. X… et sur le quatrième moyen du pourvoi incident, des compagnies Winterthur et Abeille et du Bureau Véritas, ci-après annexés :
Attendu, d’une part, que l’article 1154 du Code civil n’exige pas que pour produire des intérêts, les intérêts échus des capitaux soient dus depuis au moins une année au moment de la demande, d’autre part, qu’ayant décidé la capitalisation des intérêts dans les conditions de ce texte, la cour d’appel a nécessairement réservé cette capitalisation aux intérêts dus pour une année entière ;
D’où il suit que le moyen est sans portée ;
Mais sur le troisième moyen du pourvoi principal, pris en sa première branche, le quatrième moyen du pourvoi incident de M. X…, pris en sa première branche, et le troisième moyen, pris en sa première branche, du pourvoi incident des compagnies Winterthur et Abeille et du Bureau Véritas :
Vu l’article 1147 du Code civil ;
Attendu que pour condamner les constructeurs et leurs assureurs à indemniser la société Eurobail du chef des impôts fonciers, la cour d’appel retient que cette société a aussi dû payer cet impôt de 1991 à 1998, date à laquelle elle a passé commande de la démolition de l’immeuble ;
Qu’en statuant ainsi, sans caractériser le lien de causalité entre les désordres et l’obligation de payer l’impôt foncier auquel le propriétaire est tenu en toute hypothèse, la cour d’appel a violé le texte susvisé ;
Et sur le cinquième moyen du pourvoi incident des compagnie(s) Winterthur (et Abeille) et du Bureau Véritas :
Vu l’article 1382 du Code civil ;
Attendu qu’après avoir constaté que l’expert avait proposé de fixer la part de responsabilité entre coresponsables des désordres à raison de 45 % pour Le Sol provençal, 25 % pour M. X…, 20 % pour Sesma, 5 % pour SICCRA et 5 % pour le Bureau Véritas, la cour d’appel énonce que ce partage apparaît globalement satisfaisant, mais qu’en raison de la défaillance de SICCRA, placée en liquidation judiciaire, et Eurobail ne justifiant pas avoir déclaré sa créance, il sera finalement fixé de la façon suivante : Sol provençal 47 %, M. X… 27 %, Bureau Véritas 5 %, Sesma : 21 % ;
Qu’en statuant ainsi, par un motif inopérant en imputant à trois des co-responsables la part de responsabilité qu’elle avait reconnu incomber à la société SICCRA, la cour d’appel a violé le texte susvisé ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu’il a condamné in solidum (…)
Note. 1. L’arrêt rapporté est particulièrement intéressant par ses qualités rédactionnelles et les solutions qu’il énonce en réponse à des moyens de cassation, lesquels étaient également particulièrement bien rédigés et présentés.
L’idée selon laquelle la qualité des décisions de justice dépend aussi, dans une certaine mesure, de la qualité et des moyens soutenus par les avocats est en conséquence, dans l’espèce rapportée, vérifiée…
2. Certaines solutions énoncées sont suffisantes en elles-mêmes et l’on peut en conséquence faire l’économie d’un commentaire qui serait constitué de paraphrases. Il en est ainsi notamment :
– du rejet du 3ème moyen du pourvoi principal, pris en sa 4ème branche, du 4ème moyen pris en sa 4ème branche du pourvoi incident de l’architecte et des 4 branches du 2ème moyen du pourvoi incident des assureurs de responsabilité et du contrôleur technique qui reprochaient à la Cour de VERSAILLES une violation de l’article 1154 du Code Civil au prétexte que celle-ci avait accordé la capitalisation des intérêts non seulement à compter du jour de la demande, mais en outre à partir d’une date antérieure à sa décision, le rejet des moyens considérés pris en leurs branches ci-dessus rappelées s’imposant, la Cour Suprême ayant déjà énoncé que l’article 1154 du Code Civil n’exige pas que, pour produire des intérêts, les intérêts échus des capitaux soient dus pour une année entière au jour de la demande en justice, mais seulement que, dans cette demande il s’agisse d’intérêts dus pour une telle durée (solution constante depuis Cass. 3ème civ. 26 février 1974, bull. civ. III n°91 ; et commune à l’ensemble des chambres de la Cour de cassation, Cass. civ. 1ère 12 mars 1991, bull. civ. I n°89 ; encore, Cass. 1ère civ. 19 mars 2004, inédit, 02-14225 ; Cass. 2ème civ. 18 décembre 2003, inédit, 02-12496 ; Cass. 3ème civ. 18 février 1998, bull. civ. III n°42 ; Cass. soc. 29 juin 1995, Bull. n° 228) peu important donc que la capitalisation soit accordée à partir d’une date antérieure au jugement, les Juges, comme dans le cas d’espèce, ayant nécessairement admis que seuls les intérêts ayant plus d’un an d’ancienneté seront productifs d’intérêts (Cass. 1ère civ. 10 juin 1981, bull. civ. I n°196).
– de la Cassation prononcée en satisfaction de la 1ère branche du 3ème moyen principal, de la 4ème branche du 4ème moyen du pourvoi incident de l’architecte, et de la 1ère branche du 3ème moyen du pourvoi incident des assureurs de responsabilité et du contrôleur technique, pour violation de l’article 1147 du Code Civil, pour avoir accordé une indemnité représentative du montant des impôts fonciers acquittés par le propriétaire de l’immeuble considéré jusqu’au jour de sa démolition, alors qu’il n’existait à l’évidence aucun lien de causalité entre les désordres et l’obligation de payer l’impôt foncier, auquel le propriétaire est tenu en toute hypothèse, la Cour Suprême reprochant à juste titre à la Cour d’appel de n’avoir pas caractérisé le lien de causalité.
– de la cassation prononcée en satisfaction du 5ème moyen du pourvoi incident des assureurs de responsabilité et du contrôleur technique pour violation de l’article 1382 du Code Civil pour avoir mis à la charge de trois co-responsables l’intégralité des indemnités au prétexte de la liquidation judiciaire du 4ème co-responsable et de l’absence de production de la créance du bénéficiaire des indemnités, la Cour de VERSAILLES imputant ainsi, pour un motif inopérant, aux 3 co-responsables la part de responsabilité qu’elle reconnaissait pourtant incomber au 4ème, par l’entérinement de facto du partage de responsabilité proposé par l’expert à l’égard des 4 co-responsables.
3. La présente note s’attachera donc surtout à la question du sort de l’indemnité accordée au propriétaire de l’ouvrage en réparation des désordres matériels affectant l’immeuble d’une part, et celle de l’étendue / appréciation du principe de la réparation intégrale du préjudice d’autre part.
1) Sur le sort des indemnités allouées au préjudice des responsables et de leurs assureurs de responsabilité en vertu de l’article 1792 du Code Civil.
4. Il convient de préciser ici, qu’avant que le Juge d’appel n’ait statué sur l’action du propriétaire de l’ouvrage, ce dernier avait décidé de procéder à sa démolition, information révélée en cours de délibéré de sorte que la Cour d’appel n’avait en définitive statué qu’après réouverture des débats et discussion de la question de savoir si le titulaire du droit à la réparation / indemnisation des désordres affectant son immeuble était encore recevable à revendiquer l’existence dudit droit dès lors que l’immeuble avait été détruit.
5. Plus précisément, les constructeurs et leurs assureurs de responsabilité prétendaient que du fait de la démolition effectuée par « pure convenance » de la Société propriétaire de l’ouvrage, celle-ci était irrecevable à réclamer le paiement de frais de réparation de la construction, tant en application des dispositions de l’article 1792 du Code Civil que de celles de l’article L 121-7 du Code des Assurances ; le propriétaire de l’ouvrage soutenait quant à lui que son préjudice était constitué au cours du délai décennal et que la démolition du bâtiment, justifiée par sa volonté de ne pas exposer des frais de maintenance sans perception de loyers en contrepartie, n’était pas susceptible d’affecter ses demandes antérieures ; la Cour de VERSAILLES avait rejeté les prétentions des parties défenderesses au motif qu’il ne résultait d’aucune disposition légale que la garantie du vendeur et des constructeurs était subordonnée à une réparation effective du bâtiment affecté de désordres décennaux d’une part, tandis que, de même, aucune disposition légale au titre de l’assurance de responsabilité obligatoire en matière de construction, ne subordonnait le versement de l’indemnité d’assurance à une réparation de l’ouvrage, à l’inverse du principe énoncé par l’article L 121-7 du Code des Assurances en matière d’assurance de dommages, « principe repris par l’article L 242-1 du même Code prévoyant le paiement par l’assureur de la totalité des travaux de réparation des dommages » d’une part, que seul l’assureur dommages était en droit d’opposer au propriétaire de l’ouvrage l’irrecevabilité de la demande en paiement d’une indemnité, qui par hypothèse ne servirait pas au préfinancement des travaux de reprise d’autre part, et qu’enfin, s’il n’y avait pas eu de désordres, le propriétaire de l’ouvrage aurait disposé dans son patrimoine d’un local commercial d’une valeur égale au moins au coût des réfections, « là ou l’existence des vices l’avait obligé à démolir son bien ».
6. Pour tenter de contourner cette excellente et pertinente motivation de l’arrêt attaqué, les demandeurs au pourvoi principal et au pourvoi incident avaient, assez judicieusement il est vrai, imaginé de ne pas l’attaquer « frontalement », excipant essentiellement de la méconnaissance par le Juge d’appel, du principe selon lequel toute action en responsabilité suppose la démonstration d’un préjudice encore actuel au jour où le Juge statue, violant ainsi :
« les articles 1792 et suivants du Code Civil » au prétexte que ce n’était pas l’existence des vices qui avait obligé le propriétaire de l’ouvrage à le démolir, mais des considérations financières, étrangères à l’existence même des désordres (volonté de ne pas exposer des frais de maintenance sans perception de loyer en contrepartie) ce qui excluait son droit à réparation ;
« l’article 31 du Nouveau Code de Procédure Civile » au prétexte que la démolition de l’immeuble privait l’action de son propriétaire d’objet ;
Et, méconnaissant au surplus « les dispositions de l’article 465 dudit Nouveau Code de Procédure Civile » pour avoir délaissé les conclusions de certaines des parties défenderesses en cause d’appel qui avaient excipé de l’attitude frauduleuse du propriétaire de l’ouvrage qui avait fait procéder à la démolition de l’immeuble au lendemain même du jour où les plaidoiries – avant la réouverture des débats – avaient eu lieu.
La Cour Suprême valide l’arrêt de la Cour de VERSAILLES dans le cadre d’un véritable contrôle de fond, si l’on peut dire, lorsqu’elle énonce que la Cour d’appel de VERSAILLES avait « retenu exactement » que le propriétaire de l’ouvrage « était en droit d’obtenir la délivrance d’un immeuble exempt de vices et qu’aucune disposition légale ne subordonnait la garantie du vendeur d’immeuble, des constructeurs et des assureurs de responsabilité à une réparation effective de l’immeuble affecté de désordres décennaux », la Cour Suprême ne faisant pas référence ici à la solution retenue en matière d’assurance de chose plus particulièrement en matière d’assurance dommages ouvrage, mais cela va de soi, puisqu’aussi bien la référence expresse aux « assurances de responsabilité » étant à elle seule suffisante.
7. On rappellera que si le débat doctrinal semble toujours ouvert sur la question de savoir si le principe indemnitaire conduit à autoriser le bénéficiaire de l’indemnité à utiliser celle-ci comme il l’entend, ou si, s’agissant de l’assurance de chose qu’est l’assurance dommages ouvrage, il doit nécessairement l’affecter à la réparation de l’ouvrage (sur ce débat voir LAMY ASSURANCES 2004, ch. Assurance des dommages à l’ouvrage par JP.KARILA et J.KULLMANN n°2900), en revanche, la jurisprudence a déjà tranché depuis un arrêt de principe du 21 novembre 2001 (Cass. 3ème civ. 21 novembre 2001, bull. civ. III n°132, JP KARILA « L’affectation de l’indemnité d’assurance dommages ouvrage, tribune de l’assurance mars 2002 n°55, cahier de jurisprudence n°118 p.1), a réitéré de façon éclatante dans deux arrêts rendus le 17 décembre 2003 que nous avons commentés dans la présente revue (RGDA 2004 p.109 JP. KARILA), dans le sens de la nécessaire affectation de l’indemnité à la réparation de l’ouvrage affecté de désordres rentrant dans l’objet de la garantie de l’assureur.
2) Sur l’étendue du principe de la réparation intégrale du préjudice.
8. Il était reproché à la Cour de VERSAILLES dans le cadre du pourvoi incident formé par le maître de l’ouvrage d’une part, et le promoteur vendeur d’autre part, d’avoir alloué au propriétaire de l’ouvrage à la fois une indemnité notamment pour perte de loyers et une autre pour les désordres matériels, alors qu’elle avait constaté qu’au jour où elle statuait, l’immeuble avait été démoli par la volonté de son propriétaire, excédant ainsi la réparation intégrale du préjudice et violant les articles 1792-1 2°, 1831.1, 1147 et 2270 du Code Civil.
La Cour Suprême rejette à juste titre la 2ème branche du moyen unique du pourvoi incident ci-dessus évoqué, dans le cadre d’un contrôle dit « léger » ou purement formel consistant à contrôler la cohérence des motifs avec la solution retenue, en énonçant qu’ayant relevé que les désordres affectant l’immeuble compromettaient sa solidité et le rendaient impropre à sa destination, la Cour d’appel avait « pu en déduire que s’il n’y avait pas eu de désordre », le propriétaire de l’ouvrage « aurait disposé dans son patrimoine d’une valeur au moins égale aux réparations nécessaires et que la destruction de l’immeuble ne modifiait pas le principe ou l’étendue des obligations des constructeurs ou assimilés ainsi que de leurs assureurs respectifs », en répondant aux conclusions et en caractérisant ainsi l’intérêt à agir du propriétaire de l’ouvrage.
Sur ce point ici encore, l’arrêt rapporté ne peut être qu’approuvé. S’agissant en effet d’une assurance de responsabilité, il est normal, logique et cohérent que l’on raisonne en terme de dette de valeur, l’indemnité d’assurance comme les dommages et intérêts ayant pour finalité non la réparation effective du dommage mais d’offrir à la victime une équivalence pécuniaire de remplacement.
RGDA 2004-2 p. 462