Indemnisation du tiers voisin victime par l’assureur du maître de l’ouvrage. Subrogation. Action contre les intervenants à l’acte de construire. Fondement. Théorie des troubles anormaux de voisinage. Locateurs d’ouvrage coauteurs du trouble anormal de voisinage. Appel en garantie. Partage de la dette. Absence de faute des locateurs. Partage à parts viriles.
Jean-Pierre KARILA
1. C’est peu avant les vacations d’hiver que la troisième Chambre civile de la Cour de cassation a rendu un nouvel arrêt de principe qui contribue aux efforts récents de définition du régime juridique des actions subrogatoires et/ou des appels en garanties faisant suite à l’indemnisation d’un voisin victime d’un trouble anormal de voisinage.2. En l’espèce, il s’agissait de désordres ayant affecté, pendant le chantier, l’immeuble attenant au terrain nu sur lequel une SCI avait décidé de faire édifier un immeuble de six étages. Dans des circonstances sans incidence sur le présent litige, l’assureur de responsabilité de la SCI avait indemnisé le tiers voisin victime des troubles anormaux de voisinage par lui subis.
Après indemnisation, ledit assureur agissait contre les locateurs d’ouvrage, invoquant la subrogation dont il se disait bénéficiaire, pour demander leur condamnation in solidum sur le fondement de la théorie des troubles anormaux de voisinage, tandis que le maître d’oeuvre et son assureur formulaient alors un appel en garantie contre l’entrepreneur principal pour la totalité des condamnations qui pourraient être prononcées à son encontre.
3. En cause d’appel, il était fait droit à la demande de l’assureur du maître de l’ouvrage, la Cour de Versailles condamnant le maître d’oeuvre, son assureur et l’entrepreneur principal à rembourser l’intégralité des sommes payées à la victime du trouble anormal de voisinage.
Le maître d’oeuvre et son assureur étaient en revanche déboutés partiellement de leur action en garantie à l’encontre de l’entrepreneur principal, la cour n’y faisant droit que pour la moitié des sommes dues à l’assureur subrogé dans les droits du voisin.
4. Se posait donc devant la Cour de cassation deux questions distinctes qu’il convient d’examiner successivement :
– la question de la nature et de l’étendue du recours subrogatoire du maître de l’ouvrage ou de son assureur contre les locateurs d’ouvrage auteurs du trouble anormal de voisinage (I) ;
– la question de la nature et de l’étendue de l’appel en garantie formulé, avant toute subrogation, par un locateur d’ouvrage (et/ou son assureur) contre un autre locateur d’ouvrage (II).
I. L’assureur du maître de l’ouvrage subrogé dans les droits et actions du tiers voisin victime qu’il a préalablement indemnisé est fondé à invoquer la théorie des troubles anormaux de voisinage pour solliciter la condamnation des locateurs d’ouvrage co-auteurs du trouble à lui payer l’intégralité des sommes qu’il a dû payer au voisin
5. Le pourvoi contestait la solution de la Cour de Versailles qui avait fait droit à l’action subrogatoire de l’assureur du maître de l’ouvrage.
Il invoquait essentiellement le fait qu’aucune faute n’avait pu être établie à l’encontre de l’un quelconque des locateurs d’ouvrage et partant que :
– le constructeur non fautif ne pouvait supporter les conséquences des troubles de voisinage inhérents aux travaux de construction ;
– le promoteur, maître de l’ouvrage d’une opération de construction immobilière, devait, à défaut de faute des locateurs d’ouvrage, supporter seul la charge du risque, inhérent à la réalisation de tout chantier, de causer des dommages aux avoisinants.
6. La Cour de cassation rejette ce moyen en énonçant que :
– dès lors que la Cour de Versailles avait relevé que l’assureur du maître de l’ouvrage avait dédommagé les victimes des troubles anormaux du voisinage ;
– elle avait pu en déduire à bon droit que, du fait de la subrogation dont il était bénéficiaire dans les droits de ces victimes, l’assureur du maître de l’ouvrage était fondé à obtenir la garantie totale des locateurs d’ouvrage auteurs des troubles, dont la responsabilité n’exigeait pas la caractérisation d’une faute.
7. Cette solution :
– consacre une nouvelle fois le fondement de l’action subrogatoire du maître de l’ouvrage ou de son assureur, solution initiée par un arrêt du 21 juillet 1999 (Cass. 3e civ., 21 juill. 1999 : no 96-22735 ; Bull. no 182 ; RD imm. 1999, p. 656 note Ph. Malinvaud) puis réitérée constamment (Cass. 3e civ., 18 sept. 2002 : no 99-20297 ; Bull. no 200 ; RD imm. 2003, p. 96, obs. Ph. Malinvaud – Cass. 3e civ., 24 sept. 2003 : no 02-12873 ; Bull. no 160 ; RD imm. 2003, p. 582, obs. Ph. Malinvaud), solution rappelée à nouveau dans le premier arrêt Georges V du 22 juin 2005 (Cass. 3e civ., 22 juin 2005 : no 03-20068 ; Bull. no 136 ; RGDA 2005.968, note J.-P. Karila ; RD imm. 2005, p. 339, note Ph. Malinvaud ; D. 2006, p. 40, note J.-P. Karila ; Defrénois, 2006, p. 72, chron. H. Périnet-Marquet) : l’action du maître de l’ouvrage ou de son assureur ayant indemnisé le tiers voisin victime d’un trouble anormal de voisinage est fondée sur la théorie des troubles anormaux de voisinage de sorte que la responsabilité des coauteurs du dommages était engagée même en l’absence de toute faute ;
– retient que ce recours doit prospérer en totalité (l’assureur « était fondée à obtenir la garantie totale des locateurs d’ouvrage auteurs des troubles »).
On peut néanmoins se poser la question de la légitimité d’une telle solution au regard de l’équité à l’origine de laquelle préside justement le principe de la subrogation et ce dès lors que le maître de l’ouvrage était lui-même coobligé in solidum à l’égard du voisin victime du trouble.
II. En l’absence de toute faute de la part des locateurs d’ouvrage ayant participé à la survenance du trouble anormal de voisinage, la contribution à la dette se répartit à parts égales entre les coobligés
8. Le second moyen du pourvoi principal contestait l’arrêt de la Cour de Versailles qui n’avait admis l’appel en garantie formulé par l’architecte et son assureur à l’encontre de l’entrepreneur principal que pour moitié laissant l’autre moitié à sa charge, estimant que l’arrêt d’appel :
– avait violé l’article 1134 du Code civil en vertu duquel les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites dès lors, qu’en vertu du CCAP, l’entrepreneur principal avait la garde du chantier et devait prendre à sa charge tous les dommages causés à des tiers ;
– avait encore violé l’article 1382 du Code civil dès lors que l’architecte n’est pas l’auteur des travaux dont il a seulement assuré la conception et surveillé l’exécution et qui ont occasionné des troubles de voisinage.
9. Le pourvoi est rejeté au motif que « dans l’exercice du recours du maître de l’ouvrage ou de son assureur au titre d’un trouble excédant les inconvénients normaux du voisinage, la contribution à la dette, en l’absence de faute, se répartit à parts égales entre les co-obligés » ; de sorte « qu’ayant retenu que la responsabilité, tant de l’architecte que de l’entrepreneur, était engagée, vis-à-vis de la société Mutuelles du Mans subrogée dans les droits des victimes en raison des troubles anormaux de voisinage dont ils étaient les auteurs, sans qu’aucune faute de leur part ne leur soit imputée, la cour d’appel en a déduit, à bon droit, que, dans leurs recours entre co-obligés, chacun supporterait par parts égales la charge de la condamnation ».
10. Cette solution complète le régime juridique des actions intentées par les locateurs d’ouvrage auteurs du trouble anormal de voisinage.
10.1 Un premier arrêt du 26 avril 2006 (Cass. 3e civ., 26 avr. 2006 : no 05-10100 ; Bull. n° 100, RGDA 2006, p. 696, note J.-P. Karila ; D. 2006, p. 2504, note J.-P. Karila) avait déjà tranché la question du fondement et de l’étendue du recours d’un locateur subrogé dans les droits du tiers voisin victime en retenant :
– qu’il s’agissait d’une action de nature subrogatoire,
– mais que le partage de la charge définitive de la dette devait être fait à l’aune de la faute.
10.2. Le présent arrêt précise quant à lui le régime non pas de l’action subrogatoire (intervenant après désintéressement soit du voisin directement soit encore du maître de l’ouvrage ou de son assureur subrogé dans les droits dudit voisin) mais de l’appel en garantie ou encore l’action récursoire formulée en cours d’instance avant toute indemnisation.
L’arrêt retient qu’en l’absence de faute commise par l’un des locateurs d’ouvrage, le partage doit s’effectuer à parts viriles. Tel est l’apport de cet arrêt.
La lecture a contrario, plus incertaine dès lors que cette question ne se posait pas en l’espèce, conduirait à affirmer qu’en présence d’une ou de plusieurs fautes, le partage se ferait alors à l’aune de celle(s)-ci.
Nul doute que très prochainement, la Cour de cassation lèvera ce petit doute que suscite toujours l’interprétation a contrario.
J.-P. Karila
RGDA 2007, p. 129