L’inachèvement de l’ouvrage ne fait pas obstacle à la réception sauf démonstration d’une fraude à l’assurance (Cass. 3e civ. 17 novembre 2004) — Karila

L’inachèvement de l’ouvrage ne fait pas obstacle à la réception sauf démonstration d’une fraude à l’assurance (Cass. 3e civ. 17 novembre 2004)

Ancien ID : 73

Assurance de responsabilité décennale.

Réception. Conditions : achèvement de l’ouvrage (non). Efficacité procès verbal de réception : oui sauf démonstration d’une fraude à l’assurance.

Une Cour d’appel qui pour mettre hors de cause l’assureur de responsabilité décennale retient qu’il n’y a pas eu réception des ouvrages au motif que le procès verbal de réception à supposer qu’il ait été établi à la date qu’il comportait ne correspondait en rien à la réalité du moment à raison de l’inachèvement des travaux et des graves malfaçons dont l’ouvrage était affecté, tandis que si il avait été établi postérieurement il n’avait pu l’être que sous la pression de l’entrepreneur qui tentait ainsi par fraude de faire supporter par son assureur lesdites malfaçons, viole l’article 1792-6 du Code Civil dès lors que l’achèvement n’est pas une condition de la réception des ouvrages d’une part, et que la Cour d’appel n’a pas constaté l’intention du maître d’ouvrage d’obtenir frauduleusement par la rédaction du procès verbal les garanties de l’assurance de responsabilité obligatoire de l’entrepreneur d’autre part.

Cour de Cassation (3ème ch. civ), 17 novembre 2004 n° 03-10202

Mme Michel c/ Gan Incendie Accident et autres)

Sur le moyen unique :

Vu l’article 1792-6 du Code civil ;

Attendu que la réception est l’acte par lequel le maître de l’ouvrage déclare accepter l’ouvrage avec ou sans réserves. Elle intervient à la demande de la partie la plus diligente, soit à l’amiable, soit, à défaut, judiciairement. Elle est, en tout état de cause, prononcée contradictoirement ;

Attendu, selon l’arrêt attaqué (Grenoble, 23 septembre 2002), rendu sur renvoi après cassation (Civ. I – 18 juillet 2000 – n° C 98-11.756), que les époux X…, maîtres de l’ouvrage, ont confié à la société Z…, entrepreneur, assurée selon police responsabilité décennale par la société Groupe des assurances nationale incendie accidents (la société GAN), la construction d’une maison ; que des désordres ayant été constatés, les maîtres de l’ouvrage ont, après expertise, assigné la société Z… et son assureur en réparation ;

qu’à la suite du décès de M. X…, la procédure a été reprise par son ayant droit ;

Attendu que pour mettre hors de cause la société GAN et condamner Mme X… au remboursement des sommes versées, l’arrêt retient qu’à la date du 30 juillet 1988 portée sur le document intitulé « procès-verbal de réception », la société Z… ne pouvait ignorer qu’ayant éludé les règles de l’art, le gros oeuvre souhaité par les maîtres de l’ouvrage était affecté de graves malfaçons et que, s’il a vraiment été établi à cette date, ce document ne correspondait en rien à la réalité du moment ; que, s’il a été établi postérieurement, il n’avait pu l’être que sous la pression de la société Z…, seule partie non profane en la matière, qui tentait ainsi par fraude de faire supporter par son assureur ces malfaçons ; qu’à défaut d’écrit efficace, il n’y a pas eu réception des ouvrages ;

Qu’en statuant ainsi, alors que l’achèvement des travaux n’est pas une condition de la réception des ouvrages et sans constater l’intention des maîtres de l’ouvrage d’obtenir frauduleusement par la rédaction du procès-verbal la garantie de l’assurance de responsabilité obligatoire de l’entrepreneur, la cour d’appel a violé le texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE

Note. 1. L’arrêt rapporté est un arrêt d’espèce qui illustre la difficulté pour l’assureur de responsabilité décennale, convaincu dans certaines circonstances de l’existence d’une fraude consistant dans l’établissement d’un procès verbal de réception s’expliquant uniquement par la volonté d’obtenir une couverture d’assurance, de rapporter la preuve de la fraude ainsi réalisée.

2. Dans un premier temps, l’assureur obtient satisfaction dans le cadre de la cassation prononcée par la 1ère chambre civile le 18 juillet 2000, d’un arrêt de la Cour de Bastia qui, pour juger qu’il devait la garantie convenue, avait retenu que l’article 1792-6 du Code Civil n’exigeait pas que la construction de l’immeuble soit achevée pour que la réception puisse être prononcée, sans pour autant répondre aux prétentions de l’assureur qui avait fait valoir « en se fondant sur des éléments de faits circonstanciés, que le procès verbal de réception était un faux établi dans le but de faire jouer frauduleusement l’assurance », la cassation étant prononcée pour défaut de réponse aux conclusions dudit assureur (article 455 du NCPC).

La Cour de renvoi, en la circonstance la Cour d’appel de Grenoble, va voir à son tour son arrêt cassé mais cette fois-ci au détriment de l’assureur : la Cour de Grenoble avait en effet jugé qu’il n’y avait pas eu de réception des ouvrages « à défaut d’écrit efficace », le procès verbal de réception ne correspondant en rien à la réalité à la date qu’il portait d’une part, tandis que s’il avait été établi postérieurement à ladite date, il n’avait pu l’être que sous la pression de l’entrepreneur (seule partie non profane en la matière, qui tentait ainsi par fraude de faire supporter, par son assureur, les malfaçons).

La cassation est prononcée au double motif que la Cour de Grenoble avait implicitement estimé que l’achèvement des travaux était une condition de la réception d’une part, et qu’elle n’avait par ailleurs pas constaté l’intention des maîtres d’ouvrage d’obtenir frauduleusement par la rédaction du procès verbal de réception la garantie de l’assureur de responsabilité de l’entrepreneur.

La Cassation s’imposait à l’évidence pour le premier motif puisqu’il est jugé depuis un arrêt de principe du 12 juillet 1989, réitéré à de très nombreuses reprises, voir notamment (Cass. 3ème civ. 15 janvier 1997, bull. civ. III n°12 ; revue adm. juin 1997, comm. J.-P. KARILA ; Cass. 3ème civ. 11 février 1998, bull. civ. III n°28, RGDA 1998, p. 287, note J.-P. KARILA ; Cass. 3ème civ. 18 décembre 2001, inédit n°00-17.654).

En ce qui concerne le deuxième motif de cassation, il tend à corriger « l’erreur » de raisonnement de la Cour de Grenoble qui avait retenu la fraude de l’entrepreneur alors qu’il était évident qu’il fallait, pour voir dire inefficace le procès verbal de réception, établir celle des maîtres d’ouvrage puisqu’aussi bien ceux-ci étaient seuls habilités à prononcer implicitement, ou comme dans le cas d’espèce expressément, la réception, peu important en définitive qu’ils l’aient fait sous la pression ou la suggestion de l’entrepreneur, l’établissement de leur propre fraude étant indispensable pour écarter l’écrit dont s’agit.

RGDA 2005-1 p.162

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