La non conformité aux normes parasismiques peut constituer un désordre de nature décennale (Cas. 3e civ., 25 mai 2005) — Karila

La non conformité aux normes parasismiques peut constituer un désordre de nature décennale (Cas. 3e civ., 25 mai 2005)

Ancien ID : 80

Assurance de responsabilité décennale

Non conformités aux règlements parasismiques portant sur des éléments essentiels de la construction – Application de l’article 1792 du CC (oui).

La Cour d’appel qui relève que les défauts de conformité aux règlements parasismiques étaient multiples, qu’ils portaient sur des éléments essentiels de la construction et constituaient un facteur d’ores et déjà avéré et certain de perte de l’ouvrage par séisme, peut en déduire que la garantie décennale est applicable.

Cour de Cassation (3ème Ch. Civ.), 25 mai 2005, n° 03-20247, Bulletin 2005 III N° 113 p. 104

Sté CONTINENT IARD c/ Epoux Senrain

La Cour.

Sur le moyen unique:

Attendu, selon l’arrêt attaqué (Montpellier, 21 août 2003), que M. et Mme Senrain ont confié la construction d’une maison à usage d’habitation à la société Logistar, depuis lors en liquidation judiciaire, assurée auprès de la société Le Continent; qu’après réception de l’ouvrage, ils ont invoqué la survenance de désordres et malfaçons et ont obtenu en référé la désignation d’un expert qui a, notamment, constaté que les règles parasismiques contractuellement prévues n’avaient pas été respectées, sans pour autant qu’elles aient occasionné des dommages à l’ouvrage;

Attendu que la société Le Continent fait grief à l’arrêt de la condamner à payer à M. et Mme Senrain une somme au titre du coût de reprise de la non conformité aux normes parasismiques, alors, selon le moyen, que la garantie décennale ne couvre les conséquences futures de désordres résultant de vices dénoncés dans le délai décennal que lorsqu’il est certain que dans un avenir prévisible ils compromettront la solidité de l’ouvrage ou le rendront impropre à sa destination; que dès lors, retenant, pour condamner la compagnie Le Continent, en qualité d’assureur de la société Logistar, à payer aux époux Senrain le coût des travaux de reprise de la non conformité aux normes parasismiques, que leur villa étant située en zone de risque majeur de sismicité, ce risque impliquant en cas d’alerte la nécessité d’évacuer les habitations ne répondant pas aux normes et qui ne se seraient pas déjà effondrées, les multiples défauts de conformité aux règlements parasismiques sur des éléments essentiels constituaient un facteur d’ores et déjà avéré de perte de l’ouvrage par séisme le rendant impropre a sa destination, la cour d’appel qui n’a pas constaté que ce risque de perte se produirait de façon certaine dans un avenir prévisible, a violé l’article 1792 du Code civil;

Mais attendu qu’ayant relevé que les défauts de conformité aux règlements parasismiques étaient multiples, portaient sur des éléments essentiels de la construction et constituaient un facteur d’ores et déjà avéré et certain de perte de l’ouvrage par séisme, la cour d’appel a pu en déduire que la garantie décennale était applicable;

D’où il suit que le moyen n’est pas fondé;

PAR CES MOTIFS:

REJETTE le pourvoi.

Note. 1. L’arrêt rapporté valide un arrêt de la Cour de MONTPELLIER qui avait retenu l’application de la garantie décennale à propos de non conformités aux règlements parasismiques.

La validation est opérée dans le cadre d’un contrôle dit léger ou encore purement formel, la Cour Suprême estimant que le Juge du fond qui avait relevé l’existence de multiples défauts de conformité aux règlements parasismiques portant sur des éléments essentiels de la construction, constituaient « un facteur d’ores et déjà avéré et certain de perte de l’ouvrage par séisme… » et avait pu en déduire que la garantie décennale était applicable.

2. Pour critiquer la décision de la Cour de Montpellier, le demandeur au pourvoi avait très habilement motivé sa prétention de violation, selon lui, de l’article 1792 du Code Civil, sur l’absence de certitude de la réalisation du dommage de perte de l’ouvrage par séisme dans « un avenir prévisible ».

En d’autres termes, le demandeur au pourvoi prétendait que la condition essentielle pour admettre la réparation / indemnisation d’un désordre futur, donc non né ni actuel, manquait en fait en l’absence de la constatation par la Cour que le risque de perte de l’ouvrage par séisme se produirait de façon certaine dans « un avenir prévisible », c’est-à-dire comme il aurait été souhaitable que cela soit dit expressément, dans le délai de la garantie décennale.

Le pourvoi ne pouvait néanmoins à l’évidence prospérer puisque la Cour d’appel avait expressément relevé que les multiples défauts de conformités aux règlements parasismiques constituaient « un facteur d’ores et déjà avéré et certain de perte de l’ouvrage par séisme, le rendant impropre à sa destination ».

3. Si l’on fait abstraction des circonstances de droit et de fait de l’espèce ayant donné lieu à l’arrêt rapporté, on peut se poser la question d’une façon générale de savoir si en définitive les défauts de conformité à une réglementation quelconque qui induisent (et ne l’induisent nécessairement pas toujours) un risque pour la sécurité des usagers de l’ouvrage et/ou des passants, sont toujours du ressort du domaine d’application de la garantie décennale.

En d’autres termes, la question qui se pose est celle de savoir si le risque de sécurité ne transcende pas la question du désordre futur.

La jurisprudence, depuis des décennies, semble autoriser une telle interprétation puisqu’elle retient, en l’absence de désordre matériel, l’application de la garantie décennale, sans pour autant se référer à la notion de désordre futur, chaque fois qu’il existe un risque ou un danger avéré pour la sécurité des personnes.

Pour en rester à une décision relativement récente, on citera un arrêt inédit de la Cour Suprême du 30 juin 1998 (pourvoi n°96-20.789, Tanier et Touya c/ Socotec & autres) qui a validé un arrêt d’une Cour d’appel qui avait retenu au préjudice des architectes d’une opération de construction, l’application de l’article 1792 du Code Civil à propos du défaut de conformité d’un immeuble aux normes de sécurité incendie, la validation « forte », en l’occurrence ayant été effectuée en raison de ce que la Cour d’appel avait relevé « par des motifs propres et adoptés, que le défaut de conformité aux règlements de sécurité, facteur de risque de perte de l’ouvrage par incendie, rendait l’immeuble impropre à sa destination », de sorte que la Cour d’appel dont s’agit en avait « exactement déduit que ce désordre, entrant dans le champ d’application de la garantie décennale, devait être entièrement réparé… ».

Les Juges du fond retiennent également l’application de la garantie décennale chaque fois qu’il existe un risque pour la sécurité des usagers de l’ouvrage considéré et/ou des passants.

Pour en rester à la jurisprudence rendue sous l’empire de la Loi du 4 janvier 1978, on relèvera à cet égard :

– un arrêt de la Cour d’Aix en Provence du 14 novembre 2002 (CA Aix en Provence, 3ème ch. 14 novembre 2002, Cabinet d’Architectes A. Belhassen et JC Laborde & autres c/ SDCP le Hameau de la Palmeraie & autres) qui a retenu l’application de l’article 1792 du Code Civil justement à propos d’un défaut de conformité des immeubles aux règles de sécurité incendie ;

– un arrêt de la Cour d’appel de Montpellier du 25 juin 2002 (CA Montpellier 1ère ch. 25 juin 2002, Ste Construction Traditionnelle Rénovation – S.C.T.R. c/ SA Winterthur) qui a admis l’application de l’article 1792 du Code Civil à propos du mauvais positionnement d’un conduit de fumée ne respectant pas les distances réglementaires, conformité rendant l’ouvrage impropre à sa destination du fait du danger potentiel que présente le conduit dont s’agit pour la sécurité des occupants.

On ne peut qu’approuver ces décisions ; est également à approuver la décision des Juges du fond qui ont admis l’application de la garantie décennale à propos du non respect de la réglementation sur l’accessibilité aux handicapés puisqu’aussi bien, ce non respect était de nature à empêcher ls personnes handicapées, à mobilité réduite, d’accéder aux différentes parties de l’immeuble et rendait donc celui-ci impropre à sa destination (CA Aix en Provence, 3ème chambre 17 janvier 2002, SA Terre et Pierre c/ SDCP Résidence Nuit de Mai).

4. En revanche, l’application systématique de la garantie décennale à tous les défauts de conformité aux réglementations et en l’absence de tout danger pour la sécurité des personnes est, selon nous, éminemment critiquable.

Ainsi, c’est à tort, à notre avis, qu’a été retenue l’application de l’article 1792 du Code Civil :

– à propos d’une non-conformité de machines d’une laverie « automatique » à la réglementation sanitaire (CA Aix en Provence 3ème ch. civ. 18 avril 2002 Maaf & autres c/ SDCP Immeuble 4 rue Veillon & autres) étant observé ici que désormais ce type de décision est insusceptible d’être renouvelé eu égard aux termes de l’article 1792-7 inséré dans le Code Civil depuis la date d’effet d’une Ordonnance du 8 juin 2005 n°2005-658 (JO du 9 juin 2005) qui énonce que « ne sont pas considérés comme des éléments d’équipement d’un ouvrage au sens des articles 1792, 1792-2, 1792-3 et 1792-4 les éléments d’équipement, y compris leurs accessoires, dont la fonction exclusive est de permettre l’exercice d’une activité professionnelle dans l’ouvrage ;

– à propos d’une non-conformité de toilettes à un règlement sanitaire départemental (hauteur sous plafond) (CA Paris, 19ème ch. A, 3 juillet 2002 Ste Montana Pizza c/ Mr Chicoisne).

On rappellera à cet égard que l’application de l’article 1792 du Code Civil, suppose l’existence de dommages matériels affectant l’ouvrage (ou l’un de ses éléments constitutifs ou d’équipement) ; ce n’est donc que par exception aux strictes conditions d’application du texte précité, qu’il a été admis, l’absence même d’atteinte matérielle à l’ouvrage, que la garantie décennale était susceptible d’application.

S’agissant d’une exception, il n’y a pas eu lieu d’étendre son domaine d’application à d’autres situations.

On rappellera à cet égard que la gravité d’un désordre ou encore l’impropriété à destination d’un ouvrage, peuvent donner lieu dans certaines circonstances, à l’application de la responsabilité contractuelle de droit commun.

RGDA 2005-3 p.668

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