Ancien ID : 201
ASSURANCE DE RESPONSABILITE CIVILE
Responsabilité contractuelle de droit commun des constructeurs – Prescription. Absence de réception. Point de départ : manifestation du dommage.
Viole l’article 1147 du Code Civil la Cour d’appel qui pour accueillir une demande de réparation / indemnisation de désordres affectant un pavillon, retient que la réception n’est pas intervenue et que l’action en responsabilité contractuelle de droit commun résultant de l’article 1147 du Code Civil pour les désordres révélés en cours de chantier, est soumise à la prescription trentenaire.Cour de Cassation (3ème ch. civ)
24 mai 2006
Pourvoi n° 04-19716
Wojtyczkac c/ Tavoillot
La Cour,
Sur le moyen unique :
Vu l’article 1147 du Code civil ;
Attendu, selon l’arrêt attaqué (Metz, 8 septembre 2004), que M. X…, maître de l’ouvrage, a, par contrat du 22 octobre 1981, chargé M. Y…, architecte, assuré par la société Mutuelle des architectes français (la MAF), d’une mission complète de maîtrise d’oeuvre concernant la réalisation d’un pavillon ; que, se plaignant de désordres, M. X… a, le 13 août 1993, assigné le maître d’oeuvre et son assureur en réparation ;
Attendu que pour accueillir la demande, l’arrêt retient que la réception n’est pas intervenue et que l’action en responsabilité contractuelle de droit commun résultant de l’article 1147 du Code civil dont disposait M. X… à l’égard de M. Y… pour les désordres révélés en cours de chantier est soumise à la prescription trentenaire, à l’exclusion des règles relatives à la garantie décennale instituée par les articles 1792 et suivants du même Code ;
Qu’en statuant ainsi, alors que la responsabilité contractuelle de droit commun du constructeur quant aux désordres de construction révélés en l’absence de réception se prescrit par dix ans à compter de la manifestation du dommage, la cour d’appel a violé le texte susvisé ;
PAR CES MOTIFS : CASSE ET ANNULE
Note. 1. La Cour de cassation élabore patiemment un régime purement prétorien de la prescription des différentes actions qui peuvent être intentées à l’encontre des constructeurs.
On rappellera ici :
– qu’après avoir « inventé », pour les actions tendant à la réparation / indemnisation de désordres affectant la construction sur le fondement de la responsabilité contractuelle de droit commun, soit à raison du caractère mineur desdits désordres, soit à raison de l’existence de réserves les concernant lors de la réception, une prescription de dix ans et ce, tant sous l’empire des régimes antérieurs à la Loi du 4 janvier 1978 que sous l’empire de ladite Loi, les arrêts fondateurs en l’espèce étant sous l’ancien régime le célèbre arrêt Delcourt du 10 juillet 1978 et sous l’empire de la Loi du 4 janvier 1978, les arrêts du 16 octobre 2002 (Cass. 3ème civ. 16 octobre 2002, Bull. civ. III n°205, deux arrêts n°1 et 2, D. 2003, p. 300, note Ph. Malinvaud) dont l’un était d’ailleurs relatif à la responsabilité d’un maître d’?uvre au titre de son manquement au regard de son obligation de Conseil, manquement en relation directe avec des dommages affectant l’ouvrage (sur l’évolution de la jurisprudence à cet égard et la portée des arrêts précités du 16 octobre 2004, voir étude JP Karila et publiée au JCPN 2004 page 1 sous le titre « Vers l’uniformisation de tous les délais d’action des différentes responsabilités des constructeurs d’ouvrage immobilier »),
– la Cour de cassation a étendu ce régime de prescription abrégée aux actions ne tendant pas directement ou indirectement à la stricte réparation / indemnisation des désordres affectant l’ouvrage par un arrêt du 16 mars 2005 (Cass. 3ème civ. 16 mars 2005, Bull. civ. III n° 65, D. 2005, juris. p. 2198, note J.-P. Karila), s’agissant de la sanction de l’obligation de Conseil d’un architecte investi d’une mission de maîtrise d’?uvre complète qui n’avait pas vérifié que toutes les entreprises intervenantes disposaient d’une couverture d’assurance de responsabilité décennale,
– puis, dans cet élan si l’on peut dire, la Cour Suprême a, dans un arrêt du 26 octobre 2005 (Cass. 3ème Civ, 26 octobre 2005, Bull. n°202, RGDA 2006, p. 144, note J.-P. Karila), rappelé à nouveau cette solution mais de façon inopportune puisque factuellement, la réception n’avait pas été prononcée.
L’arrêt précité du 26 octobre 2005 conduisait à se poser la question suivante : dès lors qu’aucune réception n’est intervenue, quel est le délai de prescription de l’action d’une part et surtout à compter de quel évènement ce délai court-il d’autre part.
C’est à ces deux questions que répond l’arrêt rapporté rendu par la troisième chambre civile le 24 mai 2006.
2. Il convient de préciser les faits de l’espèce : un contrat d’entreprise avait été conclu entre le maître de l’ouvrage et un architecte, le 22 octobre 1981, contrat par lequel ce dernier s’était engagé à assumer une mission complète de maîtrise d’?uvre concernant la réalisation d’un pavillon.
Suite à la survenance de désordres, le maître de l’ouvrage assignait le 13 août 1993 l’architecte et son assureur en réparation des désordres constatés.
La Cour de Metz, dans un arrêt du 8 septembre 2004, après avoir retenu que la réception n’était pas intervenue, avait jugé que l’action en responsabilité contractuelle de droit commun résultant de l’article 1147 du Code Civil dont disposait le maître d’ouvrage à l’encontre de l’architecte « pour les désordres révélés en cous de chantier est soumise à la prescription trentenaire, à l’exclusion des règles relatives à la garantie décennale instituées par les articles 1792 et suivants du même Code ».
3. Aux termes du moyen unique du pourvoi formé à l’encontre de l’arrêt précité de la Cour de METZ, il était prétendu à la violation de l’article 1147 du Code Civil par ladite Cour au motif que dès « l’action en responsabilité contre les constructeurs est soumise à la prescription de 10 ans » et non « à la prescription trentenaire » de l’article 2262 du Code Civil.
La Haute juridiction admet cette critique et casse donc l’arrêt de la Cour de Metz pour violation de l’article 1147 du Code Civil, au motif que « la responsabilité contractuelle de droit commun des constructeurs quant aux désordres de construction révélés en l’absence de réception, se prescrit par dix ans à compter de la manifestation du dommage ».
4. Ce faisant, la Cour de Cassation évite le vice qui affectait l’arrêt précité du 26 octobre 2005. En l’absence de réception, le délai de dix ans ne saurait en effet courir de la réception. C’est donc à compter de la manifestation du dommage que le délai de dix ans court.
La responsabilité des constructeurs avant la réception est donc susceptible d’être engagée pendant un délai indéterminé puisque la manifestation des désordres peut se révéler plusieurs années voire plus de dix ans après la fin de la prestation du constructeur dont l’inefficience a conduit à la survenance des désordres.
On ajoutera pour être complet, dans un souci d’exhaustivité, que conformément à la jurisprudence traditionnelle de la Cour de cassation, les actions en responsabilité contre les constructeurs, s’agissant de désordres et/ou dommages avant réception, est nécessairement une action en responsabilité contractuelle (et non délictuelle : Civ. 3, 3 juillet 1996, inédit, n° 95-10808 et 95-11037, RDI 1996.581 ; Civ 3, 2 février 1999, n° 97-14957) de droit commun, action dont la mise en ?uvre est simplifiée dès lors qu’il est traditionnellement admis que l’entrepreneur est soumis à une obligation de résultat (par ex. Civ 3, 21 juillet 1999, n° 98-10664), le juge ne pouvant distinguer selon l’importance du préjudice dès lors « qu’avant réception de l’ouvrage, tout désordre doit donner lieu à réparation » (Civ. 3, 19 juin 1996, inédit, n° 94-19947, RDI 1996.581).
5. Par l’effet de l’arrêt rapporté, la Cour Suprême achève son oeuvre d’unification des délais de prescription des actions intentées à l’encontre des locateurs d’ouvrages immobiliers / constructeurs ou assimilés, en la circonstance un délai de 10 ans dont le point de départ est différent selon que la réception aura été ou non prononcée, 10 ans à compter de ladite réception dans la première hypothèse et 10 ans à compter de la manifestation du dommage dans la première hypothèse ci-dessus évoquée.
Jean-Pierre Karila
RGDA 2006 – 3 – p.694