Ancien ID : 212
Obligation de conseil du sous-traitant spécialiste à l’égard de l’entrepreneur principal. Contrat d’assurance. Franchise. Opposabilité (oui).Le sous-traitant spécialiste de la fabrication et de la pose de charpente est tenu, en cette qualité, d’une obligation de conseil envers l’entrepreneur principal et ne peut donc faire valoir à l’égard de ce dernier, qu’il n’a fait que suivre ses instructions.
L’assurance du sous-traitant étant facultative, viole l’article L. 242-1 du Code des Assurances et l’article A. 243-1 dudit Code et son annexe I, la Cour d’appel qui retient que l’assureur de responsabilité n’est pas fondé à opposer au tiers lésé la franchise prévue au contrat conclu avec son assuré, au prétexte qu’il s’agit d’une assurance de responsabilité.
Cour de cassation (3ème Ch. civ.), 12 mars 1997
SMABTP c/ Talvast et autres
La Cour,
Sur le premier moyen :
Attendu, selon l’arrêt attaqué (Rouen, 15 février 1995) qu’en 1988 les époux Talvast ont chargé la Société Constructions Annevillaises, depuis lors en redressement judiciaire, assurée par la Compagnie Mutuelle des Constructeurs, de l’édification d’un pavillon ; que cet entrepreneur a sous-traité le lot charpente à M. Mériel, assuré par la Société Mutuelle d’Assurance du Bâtiment et des Travaux Publics (SMABTP) ; que des désordres ayant été constatés dans les planchers des combles, les maîtres de l’ouvrage ont sollicité la réparation de leur préjudice ;
Attendu que la SMABTP fait grief à l’arrêt de la condamner à garantir intégralement l’entrepreneur principal et son assureur des sommes à leur charge au profit des époux Talvast, alors selon le moyen « que si le sous-traitant, lié à l’entrepreneur principal par un contrat d’entreprise est tenu à une obligation de résultat envers celui-ci, la responsabilité qu’il encourt cède devant la cause étrangère, laquelle peut résulter de la faute de l’entrepreneur principal qui n’informe pas ou informe mal son sous-traitant, que dès lors en ne recherchant pas, comme elle y était pourtant invitée, si l’entrepreneur principal, spécialiste dans la construction des maisons individuelles n’avait pas insuffisamment éclairé l’entreprise Mériel sur la nécessité de définir des sections de bois suffisantes, la Cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision au regard de l’article 1147 du Code Civil » ;
Mais attendu qu’ayant relevé que M. Mériel était un spécialiste de la fabrication et de la pose de charpentes et que tenu en cette qualité d’une obligation de conseil envers l’entrepreneur principal, il ne pouvait faire valoir qu’il n’avait fait que suivre les indications données par la Société Constructions Annevillaises, la Cour d’appel a légalement justifié sa décision de ce chef ;
Mais sur le second moyen :
Vu l’article L. 241-1 du Code des Assurances, ensemble l’article A. 243-1 de ce code et son annexe I ;
Attendu que toute personne, dont la responsabilité peut être engagée sur le fondement de la présomption établie par les articles 1792 et suivants du Code Civil à propos des travaux de bâtiment, doit être couverte par une assurance ;
Attendu que, pour condamner la SMABTP à payer aux Epoux Talvast la somme de 119.000 francs au titre des désordres affectant le plancher, l’arrêt retient que la SMABTP n’est pas fondée à opposer au tiers lésé la franchise prévue au contrat conclu avec son assuré, s’agissant d’une assurance de responsabilité ;
Qu’en statuant ainsi, alors que l’inopposabilité de la franchise, prévue au contrat d’assurance, au tiers lésé bénéficiaire de l’indemnité ne joue que pour l’assurance obligatoire que le constructeur doit souscrire lorsque sa responsabilité peut être retenue sur le fondement des articles 1792 et suivants du Code Civil et que le sous-traitant n’est pas engagé vis-à-vis du maître de l’ouvrage sur le fondement de ces dispositions, la Cour d’appel a violé les textes susvisés ;
Par ces motifs ;
Casse et annule…
Note. 1. L’arrêt rapporté est intéressant à un double titre : d’abord en ce qu’il a trait aux obligations réciproques des locateurs d’ouvrage et plus précisément lorsqu’ils sont liés contractuellement, comme c’était le cas de l’espèce, s’agissant des rapports entre l’entrepreneur principal et son sous-traitant ; ensuite, en ce qu’il porte également sur la question de l’opposabilité au tiers lésé de la franchise d’assurance stipulée dans un contrat d’assurance couvrant la responsabilité civile du sous-traitant.
2. On sait que le sous-traitant est tenu de livrer à l’entrepreneur principal, un ouvrage exempt de vice et de malfaçon, et que cette obligation est une obligation de résultat.
On sait également que conformément à l’article 1147 du Code Civil, le sous-traitant peut être exonéré de cette responsabilité équipollente à une responsabilité de plein droit par la démonstration d’une cause étrangère ; mais aussi par la démonstration du fait fautif de l’entrepreneur principal.
En la circonstance, l’assureur de responsabilité du sous-traitant faisait grief à la Cour de Rouen de l’avoir condamné à garantir intégralement l’entrepreneur principal et son assureur, des sommes mises à sa charge au profit du maître de l’ouvrage, alors que, selon le moyen, la cause étrangère peut résulter de la faute de l’entrepreneur qui n’informe pas ou informe mal son sous-traitant.
Il était en conséquence reproché à la Cour de Rouen de n’avoir pas recherché, comme elle y était pourtant invitée, si l’entrepreneur principal, spécialiste de la construction de maisons individuelles, n’avait pas insuffisamment éclairé le sous-traitant sur la nécessité de définir des sections de bois suffisantes, pour la mise en ?uvre de la charpente.
En d’autres termes, il était invoqué à l’encontre de l’entrepreneur principal une carence au regard de son obligation de conseil et/ou de mise en garde à l’égard du sous-traitant.
La Cour de cassation rejette le moyen et valide l’arrêt de la Cour de Rouen au motif que celle-ci, ayant relevé que le sous-traitant était lui-même un spécialiste de la fabrication et de la pose de charpente et que tenu en cette qualité d’une obligation de conseil envers l’entrepreneur principal, il ne pouvait faire valoir qu’il n’avait fait que suivre les indications données par ce dernier, elle avait légalement justifié sa décision de ce chef.
La solution ne peut qu’être approuvée.
On rappellera que deux obligations essentielles pèsent sur les locateurs d’ouvrage ; celle du respect des règles de l’art et celle d’informer d’une part et de conseiller et/ou de mettre en garde d’autre part.
Partant du principe de cette double obligation et de l’existence d’un lien organique créé par leur participation à une ?uvre commune, la jurisprudence a institué entre les locateurs d’ouvrage un véritable contrôle réciproque de leurs fautes respectives (voir JP Karila « Les Responsabilités des Constructeurs » Encyclopédie Delmas pour la Vie des Affaires, 2ème éd. 1991, ch. B p.29 à 38 et la jurisprudence citée).
A fortiori, l’obligation de conseil, traditionnellement analysée comme étant accessoire au contrat, s’impose-t-elle aux locateurs d’ouvrage liés par un contrat de sous-traitance.
Si tant l’entrepreneur principal que le sous-traitant sont tenus l’un à l’égard de l’autre d’une obligation d’information d’une part, et d’une obligation de conseil et/ou de mise en garde d’autre part, c’est bien évidemment dans la limite de leurs compétences et spécialités respectives, la Cour Suprême soulignant – comme ici dans l’arrêt rapporté – la spécialité du constructeur incriminé à ce titre.
Il est clair en tous cas que le sous-traitant est tenu d’une obligation de conseil et/ou de mise en garde à l’égard de l’entrepreneur principal, dans la mesure bien évidemment de sa compétence et/ou de sa spécialité réelle ou affirmée, obligation qu’il doit accomplir tant avant l’exécution de ses travaux, qu’en fonction de ceux déjà réalisés par l’entrepreneur principal ou résultant de l’état existant avant son intervention (Cass. 3ème civ. 20 juillet 1976, bull. civ. III n°322) mais également après, quand ceux de l’entrepreneur principal sont susceptibles de causer des dommages à ses propres travaux (Cass. 3ème civ. 16 octobre 1985, bull. civ. III n°125).
Le sous-traitant peut cependant être, comme déjà dit ci-dessus, totalement ou partiellement exonéré de sa responsabilité par la démonstration du fait fautif de l’entrepreneur principal (Cass. 3ème civ. 4 décembre 1985, RDI 1986, p.206, obs. Ph. Malinvaud et B. Boubli), justement lorsque ce dernier s’abstient de lui fournir les renseignements suffisants pour accomplir complètement sa mission (Cass. 3ème civ. 21 janvier 1997, arrêt 127 S Mon. De Trx. Publ. 27 février 1987, p.54) ou encore lorsqu’il lui impose un matériau défectueux (Cass. 3ème civ. 11 février 1987, arrêt 287 S Mon. De Trx. Publ. 10 avril 1987, p.60) ou lui ordonne, nonobstant les conditions climatiques, d’exécuter les travaux en lui laissant croire au surplus que c’est en accord avec le maître de l’ouvrage (CA Lyon, 1er juin 1995, SA Sacer c/ SARL Alex Monard, juris-data n°045762).
Enfin, le sous-traitant peut également être exonéré de toute responsabilité en l’absence même de tout fait fautif de l’entrepreneur principal dès lors que les désordres proviennent d’une cause étrangère à laquelle a participé ce dernier (CA Agen 1er février 1995, Martinez c/ SMABTP Jurisdata n°041744) qui exonère totalement le sous-traitant qui a exécuté des fondations d’une maison individuelle inadaptées à un sol argileux dès lors que l’entrepreneur principal lui avait donné une mission précise sur la base d’une étude de sol malheureusement erronée).
(Sur l’ensemble de la question, voir JP Karila « Sous traitance » Jurisclasseur Construction Fas. 207 n°109 à 115).
3. L’annexe I à l’article A. 243-1 du Code des Assurances instituant les clauses types applicables aux contrats d’assurance de responsabilité décennale, énonce sous le titre « Franchise » que celle-ci « n’est pas opposable au bénéficiaire des indemnités ».
On sait que le sous-traitant n’est pas un constructeur au sens de l’article 1792-1 du Code Civil, et que par conséquent sa responsabilité ne peut être engagée sur le fondement de la garantie décennale édictée par l’article 1792 dudit Code, mais seulement soit sur le fondement de la responsabilité contractuelle de droit commun, s’agissant de ses rapports avec l’entrepreneur principal, soit sur le fondement de la responsabilité extra-contractuelle ou quasi délictuelle, lorsqu’il est recherché par le maître de l’ouvrage (Cass. Ass. Plé. 12 juillet 1991, arrêt Besse).
Mais on sait aussi que les contrats d’assurance du marché couvrent la responsabilité des entrepreneurs, tant lorsqu’ils sont liés contractuellement au maître de l’ouvrage, et donc tenus à ce titre, à la responsabilité décennale, que lorsqu’ils interviennent sur un chantier en qualité de sous-traitant, étant précisé que dans ce cas, l’assureur habituellement, ne couvre la responsabilité du sous-traitant que dans les conditions et limites de la responsabilité décennale, c’est-à-dire seulement lorsqu’il s’agit de dommages graves, de la nature physique de ceux qui relèvent de la garantie décennale, et ce pendant une période de 10 ans à compter de la réception de l’ouvrage.
Cette dernière particularité n’a pas pour effet de rendre applicable à cette assurance facultative les clauses types applicables dans le cadre des assurances dites obligatoires, c’est-à-dire des assurances édictées par les articles L. 241-1 et L. 242-1 du Code des Assurances.
C’est ce que rappelle la Cour Suprême en énonçant que l’inopposabilité de la franchise prévue au contrat d’assurance, au tiers lésé bénéficiant de l’indemnité, « ne joue que pour l’assurance obligatoire que le constructeur doit souscrire lorsque sa responsabilité peut être retenue sur le fondement des articles 1792 et suivants du Code Civil… » pour casser sur ce point l’arrêt de la Cour de Rouen, qui avait estimé à tort le contraire, au prétexte qu’il s’agissait d’une assurance de responsabilité ! …
Si la jurisprudence est constante sur ce point, elle n’émanait jusqu’ici à notre connaissance, que des Juges du fond, et c’est semble-t-il la première fois que la Cour Suprême a eu à statuer sur la question de l’inopposabilité de la franchise stipulée dans un contrat de responsabilité civile d’un sous-traitant.
On rappellera enfin que d’une manière générale, la Cour Suprême valide toutes les clauses restrictives d’assurance, dès lors qu’elles portent sur les garanties dites facultatives et non obligatoires, comme notamment celles relatives à la couverture ou à l’absence de couverture des dommages immatériels (plafond de garantie ou exclusion) (voir à cet égard, JP. Karila et J. Kullmann, Lamy Assurances 1997, chap. Assurance de responsabilité décennale n°2741 et 2742 et la jurisprudence citée).
RGDA 1997-02, p. 511