Dommages matériels. Absence de définition dans le contrat d’assurance. Conséquences. Garantie des dommages dits « immatériels ».
Revue générale du droit des assurances – 01/07/1996 – n° 1996-3 – Jean-Pierre Karila
Cour de cassation (1re Ch. civ.), 6 mars 1996, no 94-14403
La Cour,
Sur le moyen unique :
Vu l’article 1134 du Code civil ;
Attendu que le 13 juin 1983 une poutre maîtresse de l’immeuble situé 10, place Morel, à Lyon, s’est effondrée, et a occasionné des dégâts dans l’appartement de Mme Christiaen ;
Attendu que pour rejeter la demande du syndicat des copropriétaires de l’immeuble tendant à ce que son assureur, la compagnie
La Lutèce, le garantisse des condamnations prononcées contre lui au profit de Mme Christiaen en réparation des troubles de jouissance qu’elle avait subi et condamner le syndic, la régie Guillon à payer à Mme Christiaen la somme de 15 000 francs à titre de dommages et intérêts en raison de sa faute pour ne pas avoir souscrit une assurance garantissant les dommages immatériels, la Cour d’appel a énoncé que la garantie au titre de la responsabilité civile ne couvrant que les dommages corporels et les dommages matériels, les dommages constitués par des troubles de jouissance ne sont pas couverts ;
Attendu qu’en statuant ainsi, alors que la présentation et le contenu des clauses 20 à 22 de la police ne faisaient pas apparaître de distinction entre les dommages matériels et immatériels, la Cour d’appel en a dénaturé les termes clairs et précis et violé le texte susvisé ;
Par ces motifs,
Casse et annule, mais seulement en ce qu’il a débouté le syndicat des corpropriétaires de sa demande tendant à ce que la compagnie La Lutèce le garantisse des condamnations prononcées à son encontre en réparation des troubles de jouissance subis par Mme Christiaen la somme de 15 000 francs à titre de dommages et intérêts, l’arrêt rendu le 9 décembre 1992, entre les parties, par la Cour d’appel de Lyon ; remet, en conséquence, quant à ce, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la Cour d’appel de Lyon, autrement composée…
Note :
1. Les assureurs distinguent habituellement entre les dommages matériels, lesquels sont généralement définis dans les polices de responsabilité civile, comme « tout préjudice pécuniaire résultant de toute détérioration ou destruction d’une chose ou substance, toute atteinte physique à des animaux » et les dommages immatériels, lesquels sont généralement définis comme « tout préjudice pécuniaire résultant de la privation de jouissance d’un droit, de l’interruption d’un service rendu par une personne ou par un bien ou la perte d’un bénéfice ».
Cette distinction entre dommages matériels et dommages immatériels ne correspondant pas une catégorie existante en droit positif.
Si l’on se reporte aux traités de responsabilité civile ou encore à la jurisprudence sur la question, on constate une multitude de qualifications ou appellations juridiques, telles que dommage économique, dommage corporel, dommage esthétique, préjudice d’agrément, préjudice sexuel, préjudice juvénile, dommage moral, etc.
La « catégorisation » de ces divers dommages est impossible, sauf que l’on peut considérer qu’il existe deux grandes catégories de dommages ou préjudices : ceux purement et exclusivement d’ordre économique ou d’ordre patrimonial d’une part, et ceux qui ne sont pas exclusivement d’ordre économique ou patrimonial d’autre part, alors$ATT$ même que la réparation de ces derniers se traduira toujours par une réparation d’ordre pécuniaire.
Préjudice économique ou préjudice matériel, y-a-t-il une différence, tandis que l’impossibilité de jouir d’un droit ayant une valeur économique (Cass. civ. 3e 29 octobre 1979, J.C.P. 1980.IV.15), ne constitue-t-il pas à l’évidence un préjudice d’ordre patrimonial ?
2. Si un contrat d’assurance – comme celui objet du litige ayant donné lieu à un arrêt de la Cour de Lyon cassé par l’arrêt rapporté de la Cour suprême – ne contient pas les définitions ci-avant évoquées et généralement stipulées, le Juge aura à dire ce qu’il faut entendre par dommages matériels.
En la circonstance, le contrat garantissant la responsabilité civile d’une copropriété, couvrait les dommages matériels d’une part, et les dommages corporels d’autre part.
La lecture de l’arrêt rendu par la Cour de Lyon, comme celle du mémoire ampliatif à l’appui du pourvoi formé à l’encontre dudit arrêt, révèle qu’il n’existait pas de définition des dommages matériels, au sens du contrat d’assurance, sauf qu’il était indiqué seulement que la garantie couvrait les dommages matériels « y compris les blessures aux animaux »…
Le contrat d’assurance opposait donc les dommages corporels aux dommages matériels, sans définir ces derniers.
Un copropriétaire avait subi un trouble de jouissance, à la suite de dégâts matériels (au sens strict et factuel du terme) survenus dans son appartement, par suite de l’effondrement d’une poutre maîtresse de l’immeuble.
Pour écarter la garantie de l’assureur au titre du trouble de jouissance dont s’agit, la Cour de Lyon s’était contentée d’affirmer de façon laconique que « la garantie au titre de la responsabilité civile ne couvrant que les dommages corporels et les dommages matériels, les dommages constitués par des troubles de jouissance ne sont pas couverts ».
La Cour de Lyon condamnait en conséquence logiquement le Syndic de la Copropriété au titre de sa responsabilité personnelle, pour n’avoir pas souscrit une assurance couvrant la copropriété en cas de dommages immatériels.
Le moyen unique de la cassation soulignait l’opposition existant entre la notion de « dommages matériels » et celle de « dommages corporels » pour en tirer la conséquence « qu’il s’ensuivait nécessairement que la Compagnie La Lutece devait garantir son assuré des condamnations prononcées à son encontre, en réparation des préjudices de joissance subis par… »
La cassation est prononcée au visa de l’article 1134 du Code civil, au prétexte que le contrat d’assurance ne faisait pas « apparaître de distinction entre les dommages matériels et immatériels ».
Ainsi, en l’absence de distinction de ces deux catégories de dommages, la première inclurait indubitablement l’autre !…
La solution est néanmoins justifiée et opportune ; en effet, la notion de dommages immatériels ne correspond pas à proprement parler – comme déjà dit ci-dessus – à une catégorie du droit positif, mais plutôt à celle retenue dans les contrats d’assurance ; il appartenait, en conséquence, à l’assureur de définir la notion de dommages matériels et au besoin d’exclure les dommages immatériels ; en l’absence d’une telle définition, ou encore d’une exclusion formelle et précise concernant les dommages immatériels. On peut comprendre que la Cour suprême ait censuré la décision qui lui était déférée.
Les assureurs sont donc invités – et très généralement ils le font – à définir de façon précise les dommages qu’ils entendent couvrir.