Désordres évolutifs et impact d’un revirement jurisprudentiel sur un procès engagé antérieurement : sécurité juridique et droit à un procès équitable
La cour d’appel qui relève que la notion de désordre évolutif était définie, aux termes de l’arrêt de la Cour de cassation du 18 janvier 2006, opérant un revirement de jurisprudence, comme de nouveaux désordres constatés au-delà de l’expiration du délai décennal, qui trouvent leur siège dans l’ouvrage où un désordre de même nature a été constaté et dont la réparation a été demandée en justice avant l’expiration de ce délai d’épreuve, que l’ouvrage ou la partie d’ouvrage qui avait satisfait à sa fonction pendant dix ans, avait rempli l’objectif recherché par le législateur et constaté que la réception était intervenue depuis plus de 10 ans à la date du premier acte introductif d’instance, en déduit exactement, sans méconnaître les exigences de sécurité juridique et le droit à un procès équitable, que la demande en garantie formée contre l’assureur dommages ouvrage était irrecevable.
Note :
1. L’arrêt rapporté, bien que non destiné à être publié au Bulletin d’une part et qu’il soit un arrêt de rejet d’autre part, est particulièrement intéressant dans la mesure où il permet :
– de rappeler les conditions d’admissibilité de la notion de désordre évolutif ;
– de préciser dans quelles conditions le juge du fond peut appliquer, à l’occasion d’une instance introduite avant un revirement jurisprudentiel affirmé par un arrêt du 18 janvier 2006, la définition de la notion de désordre évolutif retenue par ledit arrêt.
2. Les faits de l’espèce sont parfaitement résumés dans l’arrêt rapporté sauf à rappeler que la mobilisation des garanties d’un assureur dommages ouvrage avait été demandée une première fois dans le délai de la garantie décennale, quelques mois avant l’expiration de celle-ci (septembre 2003 alors que la réception avait été prononcée le 23 novembre 1993), après l’apparition de fissures importantes en façade d’un pavillon, l’assureur n’ayant pas dénié son obligation de préfinancement de dommages qui furent réparés avec l’indemnité réglée, tandis que deux ans après (octobre 2005), ensuite de la réapparition de fissures traitées – mais aussi, à lire l’arrêt de la cour d’appel de Versailles choqué de pourvoi, la Cour de cassation ne le rappelant néanmoins pas, l’apparition de nouvelles fissures de même nature, mais en d’autres endroits de l’ouvrage – la garantie de l’assureur dommages ouvrage était à nouveau sollicitée. Mais ce dernier refuse cette fois la mobilisation de ses garanties à raison de l’expiration de la garantie décennale depuis le 24 novembre 2003.
Les acquéreurs du pavillon considéré, les époux X., introduisent alors une instance en référé expertise, ainsi qu’une action au fond à l’encontre notamment de l’assureur dommages ouvrage.
C’est dans ces circonstances que le tribunal de grande instance de Versailles, par jugement du 15 mai 2014, condamne notamment l’assureur dommages ouvrage à payer aux époux X. diverses sommes, tandis que par arrêt du 15 mai 2017, attaqué de pourvoi, la cour de Versailles a notamment infirmé le jugement en ce qu’il avait condamné l’assureur à payer diverses sommes aux époux X., et, y ajoutant, a déclaré sur le fondement des dispositions de l’article 1792 du Code civil et de l’article L. 114-1 du Code des assurances irrecevables les époux X. en leurs demandes à l’encontre de l’assureur dommages ouvrage.
La notion de désordre évolutif avant et depuis l’arrêt du 18 janvier 2006
3. Liminairement, nous rappellerons qu’un désordre évolutif – notion qu’il convient de ne pas confondre avec celle de désordre futur (sur cette nécessaire et importante distinction, voir Karila J.-P., commentaire sous Cass. 3e civ., 16 mai 2001, n° 08-12191 : Dalloz 2002, juris. p. 833) – est un désordre dont le droit positif admet la réparation/indemnisation alors qu’il est apparu postérieurement à l’expiration du délai d’action au titre de la garantie décennale. Les conditions de la réparation/indemnisation des désordres dits évolutifs sont cependant différentes, selon que l’on se situe avant l’arrêt du 18 janvier 2006 dont il sera parlé ci-après, ou postérieurement audit arrêt, dont la solution a été réitérée mais à l’occasion nuancée.
Avant l’arrêt du 18 janvier 2006 (Cass. 3e civ., 18 janv. 2006, n° 04-17400 : Bull. civ. III, n° 17), la réparation/indemnisation de désordres dits évolutifs était subordonnée à trois conditions, à savoir :
1°/ les désordres initiaux doivent avoir été dénoncés dans le délai de la garantie décennale (Cass. 3e civ., 18 nov. 1992, n° 91-12797 : Bull. civ. III, n° 297 ; RDI 1993, p. 85, obs. Malinvaud Ph.) ;
2°/ les désordres initiaux doivent avoir déjà revêtu la caractéristique/condition de gravité requise par l’article 1792 du Code civil (Cass. 3e civ., 10 déc. 1986, n° 85-12696 : Bull. civ. III, n° 178 – Cass. 3e civ., 13 févr. 1991, n° 89-12535 : Bull. civ. III, n° 52 – Cass. 3e civ., 29 mai 2002, n° 00-18559 et n° 00-19024 : RDI 2002, p. 223, obs. Malinvaud Ph.) ;
3°/ les désordres nouveaux doivent constituer, la suite, la conséquence ou l’aggravation des désordres initiaux et affecter les mêmes ouvrages (Cass. 3e civ., 11 mai 2000, n° 98-17179 : Bull. civ. III, n° 103 : RDI 2000, p. 344, obs. Malinvaud Ph. – Cass. 3e civ., 11 juill. 2001, n° 00-10586 : RDI 2002, p. 85, obs. Malinvaud Ph. – Cass. 3e civ., 8 oct. 2003, n° 01-17868 : Bull. civ. III, n° 170 ; RGDA 2004, p. 137, note Karila J.-P., arrêt qui statue par référence aux articles 1792 et 2270 dans leur rédaction issue de la loi du 3 janvier 1967 à propos d’une police maître de l’ouvrage – Cass. 3e civ., 4 nov. 2004, n° 03-13414 : Bull. civ. III, n° 187 ; RGDA 2005, p. 165, note Karila J.-P.).
4. Ces trois conditions cumulatives sont mises en relief par la doctrine notamment par le professeur Philippe Malinvaud (voir à cet égard, obs. Malinvaud Ph. sous Cass. 3e civ., 27 févr. 2000, n° 98-23005 : RDI 2001, p. 171 – Cass. 3e civ., 11 mai 2000, n° 98-17179 : RDI 2000, p. 344 – note préc. Karila J.-P. sous Cass. 3e civ., 16 mai 2001 : Dalloz 2002, p. 833).
Étant souligné que la troisième condition ci-avant précisée est, en quelque sorte, « mixte » puisqu’elle renvoie à la notion d’aggravation d’une part, et à celle d’identité des ouvrages d’autre part, ce qui rend difficile son appréciation. La doctrine s’est posée, en effet, la question de savoir si au rapport, sinon de causalité du moins de continuité devant nécessairement exister entre les désordres d’origine et les désordres qui constituent l’aggravation de ceux-ci, doit s’ajouter l’exigence qu’il s’agisse d’ouvrages de même nature d’une part, situés au même endroit que ceux d’origine, d’autre part.
5. Ce sont des circonstances particulières qui ont conduit à l’arrêt précité du 18 janvier 2006, espèce d’une succession de désordres ayant affecté en 1981 des corbeaux (éléments de structure d’un bâtiment servant de support à des niveaux de planchers) d’un immeuble objet d’une réception sans réserve en décembre 1974, réparés sur le fondement de la garantie décennale et ayant donné lieu à un procès clos en 1988, tandis que plus de vingt ans après la réception, et près de dix ans après le procès précité, des désordres affectaient d’autres corbeaux de l’immeuble, ce qui donna lieu à une procédure classique de référé expertise puis, après dépôt du rapport de l’expert désigné, saisine du juge du fond par une assignation du 17 juillet 2000, soit près de vingt-six ans après la réception de décembre 1974 !!!
On comprend dès lors que la Cour de cassation ait rejeté le 18 janvier 2006 le pourvoi qui avait été formé à l’encontre d’un arrêt de la cour d’Aix-en-Provence qui avait refusé aux désordres survenus plus de vingt-six ans après la réception, la qualification de désordres évolutifs, en posant la règle selon laquelle de nouveaux désordres constatés au-delà de l’expiration du délai décennal qui est un délai d’épreuve, ne peuvent être réparés au titre de l’article 1792 du Code civil que s’ils trouvent leur siège dans l’ouvrage où un désordre de même nature a été constaté et dont la réparation a été demandée en justice avant l’expiration de ce délai.
6. L’importance de l’arrêt du 18 janvier 2006 n’a pas échappé à la doctrine, mais aucun des commentateurs de l’arrêt n’a estimé à l’époque qu’il opérait un revirement de jurisprudence, alors même qu’ils relevaient l’exigence de l’identité des ouvrages affectés successivement de désordres de même nature d’une part, et le fait que le délai décennal était un délai d’épreuve, d’autre part (obs. Malinvaud Ph., RDI 2006, p. 113 ; note Karila J.-P., RGDA 2006, p. 464 ; Perinet-Marquet H., Defrénois 2006, n° 19, p. 1503).
Ce n’est qu’à la lecture du rapport annuel d’activités de la Cour de cassation que l’arrêt du 18 janvier 2006 a été compris comme constituant un véritable revirement de jurisprudence, terme que la Cour de cassation n’a d’ailleurs pas utilisé, lui préférant celui de modification de sa jurisprudence sur les désordres « apparus tardivement », modification consistant à abandonner la condition d’aggravation des désordres nouveaux par rapport aux désordres initiaux.
Plus précisément, l’arrêt a été commenté au rapport annuel dans les termes ci-après reproduits.
« Par cet arrêt, la troisième chambre civile modifie (mis en gras par le rédacteur de la présente note) la jurisprudence antérieure relative aux désordres apparus tardivement.
Jusqu’à présent, les désordres évolutifs étaient des désordres présentant le caractère de gravité requis par l’article 1792 du Code civil, réalisés et dénoncés dans le délai décennal et qui se poursuivaient pour provoquer de nouveaux désordres postérieurement à l’expiration de ce délai soit à un moment où la forclusion était normalement acquise.
Aux termes d’un arrêt de la troisième chambre civile du 3 décembre 1985 (Bull. n° 159), il avait été admis que la garantie décennale couvrait non seulement les dommages actuels mais aussi les conséquences futures des vices dont la réparation avait été demandée au cours de la période de garantie.
Cette prise en charge des désordres évolutifs supposait la réunion de trois conditions :
– les désordres initiaux devaient avoir été dénoncés dans le délai de la garantie (Cass. 3e civ., 18 nov. 1992 : Bull. civ. III, n° 297) ;
– la condition de gravité de l’article 1792 du Code civil devait avoir été satisfaite avant l’expiration du délai de garantie pour les désordres initiaux (Cass. 3e civ., 13 févr. 1991 : Bull. civ. III, n° 52) ;
– les nouveaux désordres devaient être la conséquence, l’aggravation ou la suite des désordres initiaux et non pas des désordres nouveaux sans lien de causalité avec les précédents (Cass. 3e civ., 11 mai 2000 : Bull. civ. III, n° 103).
C’est cette dernière condition d’aggravation que la Cour de cassation abandonne par le présent arrêt (mis en gras par le rédacteur de la présente note).
Cette notion d’aggravation était délicate à appréhender et aboutissait à garantir des désordres nés bien après l’expiration du délai décennal. Or, comme le rappelle la Cour, ce délai décennal est un délai d’épreuve et un ouvrage ou une partie d’ouvrage qui a satisfait à sa fonction pendant dix ans, a rempli l’objectif recherché par le législateur. Il semble excessif de réparer dix ou quinze ans après l’expiration du délai décennal, des ouvrages sur le fondement de la responsabilité décennale.
Dans l’espèce, des désordres affectant des corbeaux (pièces en saillie sur l’aplomb d’un parement destinées à supporter un linteau ou une poutre), et qui présentaient le caractère de gravité requis par l’article 1792 du Code civil, avaient été dénoncés et réparés dans le délai décennal. En 1997 soit près de vingt-trois ans après la réception, des désordres de même nature avaient été dénoncés portant sur neuf corbeaux distincts de ceux déjà réparés au cours de la période décennale. La Cour de cassation considère que les neuf corbeaux affectés de désordres ont satisfait le délai d’épreuve décennal et que les désordres constatés ne trouvent pas leur siège dans l’ouvrage où les premiers désordres avaient été constatés et réparés et doivent donc s’analyser comme des désordres nouveaux.
Désormais le désordre évolutif est celui qui, né après l’expiration du délai décennal trouve son siège dans l’ouvrage où un désordre de même nature a été constaté présentant le caractère de gravité requis par l’article 1792 du Code civil et ayant fait l’objet d’une demande en réparation en justice pendant le délai décennal.
Il est certain que cette jurisprudence devrait limiter les hypothèses où des désordres évolutifs pourront être retenus mais elle répond mieux à l’idée que le délai décennal est un délai d’épreuve (mis en gras par le rédacteur de la présente note). » Rapport annuel d’activités Cour de cassation 2006, p. 324.
7. En cet état, on peut se poser la question de savoir si l’abandon de la condition d’aggravation devant caractériser les nouveaux désordres, emporte ou non l’abandon de l’exigence d’un lien de causalité entre ceux-ci et les désordres initiaux.
Si la question se pose, c’est qu’à la faveur d’un arrêt publié du 20 mai 1998 (Cass. 3e civ., 20 mai 1998, n° 96-14080 : Bull. civ. III, n° 105 ; RDI 1998, p. 374, note Malinvaud Ph.) dont la solution a été réitérée à de nombreuses reprises, la Cour de cassation a énoncé que « la détermination de la cause des désordres est sans incidence sur le droit à réparation des victimes invoquant l’article 1792 du Code civil ».
Dans le cadre de l’espèce considérée, des désordres avaient affecté des terrasses, des façades et des balcons.
C’est à l’occasion notamment du second moyen de cassation que la Haute Juridiction a énoncé la règle ci-dessus concernant l’indifférence des causes et origines des désordres quant à la qualification/caractérisation de la notion de désordre évolutif, tandis que c’est à l’occasion du premier moyen – non reproduit dans le texte disponible sur Legifrance – à des désordres ayant affecté des terrasses, que la Cour de cassation s’est référée, comme on le verra ci-après, à la nécessité d’une identité des ouvrages ayant subi les désordres initiaux, puis les nouveaux désordres.
On précisera ici encore :
– que la publication de l’arrêt n’a pas été justifiée en raison de ce que la Cour de cassation a jugé, concernant les conditions de la caractérisation/qualification du désordre évolutif, les titrages et résumés de l’arrêt portant seulement sur la question des conséquences de l’action d’un Syndicat des copropriétaires sur l’interruption de la « prescription » décennale à l’égard des copropriétaires agissant à titre personnel ;
– que si l’arrêt de la Cour de cassation indique, concernant le premier moyen, « sans intérêt », une telle mention n’a de portée qu’au regard de l’intérêt à sa publication et ne signifie nullement que la Cour n’a pas examiné ni statué sur le moyen en question, étant souligné qu’à l’époque considérée, il n’était nullement d’usage que soit annexée aux arrêts rendus par la Cour de cassation l’intégralité des moyens, seulement ceux jugés dignes d’intérêt l’étant ;
– que dans l’espèce considérée, des désordres avaient affecté des terrasses, des façades et des dalles balcons de l’ouvrage ou des ouvrages considérés, la Cour de cassation, dans son exposé préalable concernant l’arrêt choqué de pourvoi visant à cet égard l’édification d’un « groupe d’immeubles ».
S’agissant des désordres d’infiltrations ayant affecté les terrasses, il convient de préciser que celles-ci servaient de toiture aux bâtiments/immeubles considérés et que, dans un premier temps, elles avaient d’abord été affectées de désordres dénoncés dans le délai de la garantie décennale et réparés à ce titre, tandis que postérieurement, soit 15 ans après la réception, 17 autres terrasses d’un ouvrage/bâtiment différent semble-t-il, étaient alors affectées des mêmes désordres.
Le moyen relatif à ces désordres n’est pas, comme déjà dit ci-dessus, reproduit, mais selon le professeur Malinvaud et notre souvenir, la Haute Juridiction a approuvé les juges du fond d’avoir déclaré irrecevable l’action d’un syndicat des copropriétaires et de copropriétaires agissant à titre personnel relativement à la réparation/indemnisation des désordres ayant affecté les 17 terrasses ci-avant évoquées, dès lors qu’il s’agissait d’ouvrages autres que ceux où des vices avaient été antérieurement dénoncés (14 premières terrasses).
S’agissant des infiltrations en façade, la Cour de cassation censure l’arrêt de la cour d’appel au visa de l’article 2270 pour avoir rejeté les demandes du syndicat des copropriétaires en retenant qu’après réparation efficace des désordres initiaux, « de nouvelles infiltrations concernant les mêmes ouvrages sont apparues, mais sont dues, selon l’expert, à d’autres origines, et que les demandes sont nouvelles et irrecevables comme prescrites. »
La cassation de l’arrêt de la cour d’appel, pour manque de base légale au regard de l’article 2270 (ancien) du Code civil, étant prononcée au considérant ci-après reproduit :
« Qu’en statuant ainsi, alors que la détermination de la cause des désordres est sans incidence sur le droit à réparation des victimes invoquant l’article 1792 du Code civil, sans rechercher, alors qu’elle avait constaté que des infiltrations sur les mêmes façades avaient été dénoncées dans le délai de garantie décennale, si les nouveaux désordres ne constituaient pas l’aggravation de celles-ci, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision de ce chef ».
Il faut donc en déduire, comme l’avait fait le professeur Malinvaud, et la doctrine d’une manière générale, que l’identité des causes et origines des désordres initiaux et nouveaux ne constituait pas une condition d’admissibilité de la caractérisation d’un désordre évolutif, qui doit être admise dès lors que l’on est en présence de désordres de même nature (infiltrations) survenus sur les mêmes ouvrages (terrasses).
Mais par arrêt du 11 mai 2000, également publié au Bulletin et commenté également par le professeur Malinvaud et dont la publication n’a été justifiée ici encore qu’au regard des questions portant sur la copropriété et non pas sur la qualification du désordre évolutif (Cass. 3e civ., 11 mai 2000, n° 98-17179 : Bull. civ. III, n° 103 ; RDI 2000, p. 344, obs. Malinvaud Ph.), la Cour de cassation a validé un arrêt de la cour d’Angers à laquelle il était reproché la violation de l’article 1792 du Code civil pour avoir jugé que les dommages affectant les mêmes éléments (il faut lire ouvrages) mais procédant d’une cause différente, ne sauraient être considérés comme une aggravation du dommage précédent (il faut lire initial), ce qui avait conduit le professeur Malinvaud :
– à dire – après avoir rappelé qu’il avait estimé dans son commentaire de l’arrêt précité du 20 mai 1998 que la condition d’aggravation était satisfaite « dès l’instant que les nouveaux désordres sont de la même nature que les précédents, même s’ils procèdent de causes différentes (mis en gras par le rédacteur de la présente note) » – ;
– que l’on peut se demander « si cette conclusion ne doit pas être remise en cause » ;
– pour conclure en définitive dans les termes ci-après rapportés : « À la vérité, l’affirmation de l’arrêt du 20 mai 1998 (que « la détermination de la cause des désordres est sans incidence sur le droit à réparation des victimes invoquant l’article 1792 du Code civil ») est bien exacte, car l’article 1792 du Code civil ne s’attache qu’aux dommages, indépendamment de leurs causes. Mais elle est sans application dans le cas présent où il s’agit de savoir si la garantie décennale doit s’étendre à des dommages apparaissant postérieurement à l’expiration de la garantie. En effet, pareille extension suppose l’existence d’un lien de causalité entre les dommages nouveaux et ceux précédents, ce qui oblige nécessairement à en rechercher la cause (mis en gras par le rédacteur de la présente note) ».
Nous partageons cette opinion tant il est évident qu’alors même que désormais, la condition d’aggravation ne constitue plus, depuis l’arrêt précité du 18 janvier 2006, l’une de celles concourant à la caractérisation du désordre évolutif, les désordres nouveaux ne peuvent recevoir une telle qualification en l’absence de toute rétrospective sur les causes des premiers désordres, voire même en l’absence d’une causalité identique, comme vient d’ailleurs de le proclamer un arrêt du 4 octobre 2018 (Cass. 3e civ., 4 oct. 2018, n° 17-23190) destiné à une très large publicité puisqu’il sera l’objet d’une publication au Bulletin Civil et au Bulletin d’Information de la Cour de Cassation, ledit arrêt étant commenté par le rédacteur de la présente note dans cette Revue, commentaire auquel le lecteur voudra bien se reporter (RGDA nov. 2016, n° 116a3).
Étant précisé que par suite d’une transposition parfois nuancée, voire divergente de la notion de désordre évolutif adoptée par l’arrêt de principe du 18 janvier 2006, la jurisprudence a été amenée à relever implicitement ou expressément suivant notamment deux arrêts des 11 mars 2015 et 24 mars 2016 dont il sera parlé ci-après, que concourt à la caractérisation de la notion de désordre évolutif l’identité des causes et origines des désordres initiaux et nouveaux.
Transposition parfois nuancée de la définition du désordre évolutif adoptée par l’arrêt du 18 janvier 2006
8. L’examen de la jurisprudence postérieure à l’arrêt de principe du 18 janvier 2006 me conduit à dire que jusqu’à l’arrêt rapporté du 6 septembre 2018, le droit positif transposait de façon nuancée la solution de l’arrêt de principe du 18 janvier 2006.
En effet, si certains arrêts s’inspirent nettement de la définition adoptée par ledit arrêt, comme par exemple :
– un arrêt du 20 octobre 2009 (Cass. 1re civ., 20 oct. 2009, n° 08-1291), qui valide un arrêt de la cour d’appel de Colmar qui avait déclaré irrecevable pour cause de forclusion un syndicat des copropriétaires relativement à sa demande de condamnation de désordres survenus postérieurement à l’expiration de la garantie décennale au motif que lesdits désordres étaient de nature différente de ceux initialement dénoncés ;
– un arrêt du 19 octobre 2011 (Cass. 3e civ., 19 oct. 2011, n° 17-21323, 17-24231), qui retient, pour refuser la qualification de désordres évolutifs à de nouveaux décollements de briquettes constituant le revêtement d’une façade, que ceux-ci étaient intervenus, selon l’appréciation souveraine des juges du fond, sur d’autres ouvrages que ceux d’origine.
En revanche, certains arrêts s’en éloignent quelque peu, comme par exemple :
– un arrêt ambigu du 11 mars 2015 (Cass. 3e civ., 11 mars 2015, n° 14-14275, 13-28351 : Bull. civ. III, n° 28) qui casse, pour violation de l’article 1792 du Code civil, un arrêt d’une cour d’appel qui avait déclaré prescrite l’action des maîtres d’ouvrages, propriétaires d’une piscine dont la réception avait été prononcée nécessairement avant le 19 décembre 1995, relativement à des désordres survenus courant 2007, après résurgence/réapparition, de précédents désordres objet de réparations effectuées en 1999, l’assureur de responsabilité décennale du constructeur concerné ayant réglé l’indemnité nécessaire à cet effet.
De facto, pour déclarer prescrite l’action des maîtres d’ouvrages, la cour d’appel avait retenu que l’assureur de responsabilité décennale avait payé les travaux réparatoires des premiers désordres le 16 juin 2009, que ce fait avait « initié un nouveau délai décennal », mais que l’assureur n’avait été assigné relativement aux désordres apparus en 2007, que le 17 novembre 2009 (soit postérieurement au délai de 10 ans computé à compter du 16 juin 2009).
La Cassation est prononcée au considérant ci-après reproduit :
« Qu’en statuant ainsi, tout en constatant que les désordres étaient apparus deux ans après la réception de l’ouvrage, s’étaient aggravés et avaient perduré malgré les travaux de renforcement exécutés en 1999 conformément aux préconisations de Monsieur Z. […] et que ces désordres étaient évolutifs et pouvaient compromettre la stabilité du bassin, la cour d’appel, qui n’a pas tiré les conséquences légales de ces constatations, a violé le texte sus-visé (C. civ., art. 1792). »
Ce faisant, la Haute juridiction a donc admis implicitement mais nécessairement que concourait à la caractérisation de la notion de désordre évolutif l’identité des causes et origines des désordres initiaux et nouveaux, ces derniers constituant l’aggravation des premiers qui avaient perduré nonobstant les travaux de reprises qui avaient été effectués.
Étant observé que ce même arrêt du 11 mars 2015 a, en outre, admis la possibilité de la réparation/indemnisation de désordres nouveaux sans même relever que les désordres considérés étaient de même nature et affectaient le même ouvrage ou partie d’ouvrage que ceux qui avaient fait l’objet d’une réparation en 1999.
– un arrêt du 24 mars 2016 (Cass. 3e civ., 24 mars 2016, n° 14-13462, 14-24920 : RGDA 2016, p. 258, note Karila J.-P.), qui, statuant relativement à des désordres survenus postérieurement à l’expiration de la garantie décennale, a admis que la demande de réparation des désordres initiaux qui avaient été constatés dans le délai décennal, n’ait pas fait l’objet d’une demande de réparation en justice, ladite demande de réparation ayant été effectuée, sans procès, auprès de l’assureur dommages ouvrage qui y avait donné satisfaction.
Cette solution de l’arrêt du 24 mars 206 est contraire :
- à l’arrêt précité du 18 novembre 1992 (supra n° 3), qui avait exigé que la dénonciation des désordres initiaux dans le délai décennal soit nécessairement effectuée dans le cadre d’une action en justice, ledit arrêt ayant énoncé qu’il fallait que le désordre d’origine « ait été judiciairement dénoncé » ;
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à l’arrêt précité du 18 janvier 2006 qui avait réitéré cette exigence en énonçant que le désordre initial, constaté dans la garantie décennale, et « dont la réparation a été demandée en justice. » ;
encore peut-être à l’arrêt précité du 18 janvier 2006 en ce sens qu’alors même qu’il applique la définition dudit arrêt retenant que les nouveaux désordres devaient trouver leur siège dans un même ouvrage où un désordre de nature identique avait été constaté avant l’expiration du délai de la garantie décennale, y ajoute cependant que les nouveaux désordres avaient « la même origine » que le désordre initial, ce qui renvoie à la problématique ci-avant exposée (supra n° 7), nous ayant conduit en définitive à estimer que l’abandon, par l’arrêt de principe du 18 janvier 2006 de la condition d’aggravation, n’emportait pas celui de l’exigence de l’identité des causes et origines des désordres.
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Analyse succincte du moyen unique de cassation
9. Par un moyen unique de cassation divisé en deux branches, les époux X. ont soutenu :
– qu’en faisant application, pour les dire irrecevables en leur demande en garantie contre l’assureur dommages ouvrage, d’une nouvelle définition jurisprudentielle de la notion de désordre évolutif à des désordres déclarés avant le 18 janvier 2006, la cour d’appel a méconnu les exigences de sécurité juridique et de droit à un procès équitable et violé l’article 6 de la Convention de Sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés Fondamentales (1re branche) ;
– que dès lors qu’il ressortait de ses constatations que les désordres, objet de la seconde déclaration de sinistre, avaient la même cause, la même nature et la même origine que ceux antérieurement réparés et étaient de nature à compromettre la solidité de l’ouvrage, la cour d’appel ne pouvait, sans violer l’article 1792 du Code civil, ensemble l’article L. 114-1 du Code des assurances, retenir, pour les déclarer irrecevables en leur demande en garantie à l’égard de l’assureur dommages ouvrage, qu’ils avaient déclaré ce second sinistre après l’expiration du délai décennal (deuxième branche).
Les motifs du rejet du pourvoi
10. La Cour de cassation écarte liminairement la seconde branche du moyen unique en énonçant que les motifs critiqués par celle-ci sont sans lien avec le chef du dispositif relatif à l’irrecevabilité de la demande en garantie formée contre l’assureur dommages ouvrage ; et statuant en conséquence au regard seulement de la première branche du moyen :
– énonce « qu’ayant relevé que la notion de désordres évolutifs était définie, aux termes de l’arrêt de la Cour de cassation du 18 janvier 2006 opérant un revirement de jurisprudence, comme de nouveaux désordres constatés au-delà de l’expiration du délai décennal, qui trouvent leur siège dans l’ouvrage où un désordre de même nature a été constaté, et dont la réparation a été demandée en justice avant l’expiration de ce délai, que cette nouvelle définition rappelait que le délai était un délai d’épreuve (mis en gras par le rédacteur des présentes) et qu’un ouvrage qui a satisfait à sa fonction pendant dix ans, avait rempli l’objectif recherché par le législateur » ;
– puis se référant aux constatations de la cour d’appel relativement à la date de réception de l’ouvrage (23 novembre 1993) et celle du premier acte introductif d’instance (24 mai 2006), juge que : « la cour d’appel en a exactement déduit […] que la demande en garantie formée contre l’assureur dommages ouvrage était irrecevable. »
Notre avis
11. L’arrêt rapporté du 6 septembre 2018 ne peut qu’être approuvé : la garantie décennale est un délai d’action et d’épreuve comme jugé depuis des décennies ; c’est un délai de forclusion et non de prescription, comme déjà jugé il y a plus d’une décennie environ et comme cela a été à nouveau admis/jugé récemment à l’occasion de l’inapplicabilité des dispositions de l’article 2239 du Code civil, créé par la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008 portant réforme de la prescription en matière civile, (Cass. 3e civ., 3 juin 2015, n° 14-15596 – Cass. 3e civ., 10 nov. 2016, n° 15-24289).
12. On peut cependant regretter que l’arrêt rapporté soit revenu à la stricte orthodoxie de l’arrêt du 18 janvier 2006 concernant l’exigence que la demande de réparation soit dénoncée ou encore effectuée par voie de justice.
Cette exigence présente, selon nous, l’inconvénient majeur, si elle était réitérée et appliquée strictement, d’augmenter de façon inopportune, voire artificielle, le contentieux, puisqu’aussi bien le bénéficiaire d’une assurance dommages ouvrage serait alors dans l’obligation désormais, pour des désordres qui surviendraient deux ou trois ans avant l’expiration de la garantie décennale, de « doubler » sa déclaration de sinistre d’une assignation aux seuls fins d’interrompre le délai décennal à l’effet de préserver ainsi l’indemnisation éventuelle des nouveaux désordres qui pourraient survenir postérieurement à la forclusion décennale, et revêtir la qualification de désordres évolutifs.
13. On pourrait, certes, opposer à cet avis que l’assuré serait, en tout état de cause, protégé par l’obligation qui pèse sur l’assureur dommages ouvrage de préfinancer des travaux de réparation efficaces et pérennes, conduisant celui-ci à financer à nouveau – sans limite de temps apparemment – la réparation des nouveaux désordres qui ne seraient que la résurgence des premiers insuffisamment repris par l’indemnité de l’assureur.
Cette légitime objection à l’opinion exprimée ci-avant a néanmoins ses limites car l’assuré peut aussi vouloir préserver ses recours éventuels à l’encontre des constructeurs responsables et de leurs assureurs de responsabilité, préservation qui pourrait être assurée sans le recours au juge et résulter, sous certaines conditions, notamment de la procédure contractuelle et d’ordre public prévue par les clauses types aux fins de constatation des désordres déclarés par l’assuré à l’assureur dommages ouvrage et de leur éventuelle indemnisation par ledit assureur.
Application à un procès en cours d’une nouvelle définition opérée par un revirement jurisprudentiel et sécurité juridique/droit à un procès équitable
14. La Cour de cassation valide aussi l’arrêt de la cour de Versailles en rejetant la prétention des demandeurs au pourvoi, les époux X., qui soutenaient que celle-ci avait « méconnu les exigences de sécurité juridique et le droit à un procès équitable et violé l’article 6 de la Convention de Sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés Fondamentales. »
De facto, la validation est opérée sans motif précis, la Haute juridiction s’étant contentée, après le rappel de ce que la cour d’appel de Versailles avait relevé et constaté, relativement aux conditions de la notion de désordres évolutifs d’une part, comme aux conséquences attachées au caractère de délai d’épreuve du délai décennal d’autre part, pour déclarer les époux X. irrecevables à demander la garantie de l’assureur dommages ouvrage, de juger de façon incidente, que ce faisant ladite Cour de Versailles n’avait pas méconnu les exigences de sécurité juridique et le droit à un procès équitable.
Ici encore, l’arrêt rapporté ne peut qu’être approuvé.
Le droit positif en la matière
15. Il nous paraît opportun de rappeler l’état du droit positif en la matière, alors même que la validation incidente du reproche qui était fait à la cour de Versailles d’avoir méconnu les exigences de sécurité juridique et le principe du droit à un procès équitable au sens de l’article 6 de la Convention de Sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés Fondamentales, a été opérée sans motif précis.
Rappelons donc à toutes fins que l’état du droit positif en la matière a posé la règle selon laquelle les conséquences d’un revirement jurisprudentiel s’appliquent au procès en cours si cela n’entraîne pas dans le même temps la violation d’un droit garanti, ou encore prive une partie au procès du droit d’accès au juge.
C’est ainsi que par arrêt de l’Assemblée Plénière du 21 décembre 2006 (Cass. Ass. Plé,. 21 déc. 2006, n° 00-20493 : Bull. Ass. Plé., n° 15), la Haute juridiction a rejeté un pourvoi formé à l’encontre d’un arrêt de la cour d’Aix-en-Provence qui avait écarté un moyen tiré de la prescription édictée par l’article 65-1 de la loi du 29 juillet 1881 (loi sur la presse), prescription relative aux actions fondées sur une atteinte à la présomption d’innocence au motif que l’article 65 de ladite loi édictait une prescription différente et qu’en conséquence, il n’y avait pas lieu d’examiner si les conditions de la prescription prévue à l’article 65-1 précité avaient été ou non respectées, la validation de l’arrêt étant faite par un motif substitué de pur droit reproduit ci-après :
« […] ; si c’est à tort qu’une cour d’appel a écarté le moyen de prescription, alors qu’elle constatait que le demandeur en justice n’avait accompli aucun acte interruptif de prescription dans les trois mois suivant la déclaration d’appel faite par les parties condamnées, la censure de sa décision n’est pas encourue de ce chef, dès lors que l’application immédiate de cette règle de prescription dans l’instance en cours aboutirait à priver la victime d’un procès équitable, au sens de l’article 6, § 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, en lui interdisant l’accès au juge (mis en gras par le rédacteur de la présente) ».
Dans le même esprit, on citera :
– deux arrêts de la première chambre civile rendue le même jour le 11 juin 2009 (Cass. 1re civ., 11 juin 2009, n° 07-14932 (arrêt n° 1) et Cass. 1re civ. n° 08-16914 (arrêt n° 2) : Bull. civ. n°124) qui énoncent :
« Mais attendu que la sécurité juridique, invoquée sur le fondement du droit à un procès équitable, pour contester l’application immédiate d’une solution nouvelle résultant d’une évolution de la jurisprudence, ne saurait consacrer un droit acquis à une jurisprudence figée, dès lors que la partie qui s’en prévaut n’est pas privée du droit à l’accès au juge (mis en gras par le rédacteur de la présente) ; que le moyen n’est pas fondé en sa première branche. »
– un arrêt de la chambre commerciale du 26 octobre 2010 (Cass. com., 26 oct. 2010, n° 09-68928 : Bull. civ. IV, n° 159) dont la solution a contrario confirme le principe ci-dessus évoqué en rejetant le pourvoi à l’encontre d’un arrêt de la cour de Versailles qui avait retenu « à bon droit » qu’un revirement de jurisprudence opéré par la chambre mixte par un arrêt du 18 mars 2007 (rendu en matière de procédure de liquidation judiciaire) « ne peut recevoir application à l’instance en cours au moment de son prononcé (mis en gras par le rédacteur de la présente) ».
Et ce, dès lors que si par l’arrêt précité du 18 mai 2007, la chambre mixte de la Cour de cassation a retenu que la simple déclaration de créance à la liquidation d’une société civile constitue la preuve de vaines poursuites par le créancier de cette société, ce principe ne s’applique pas à une instance en cours dans laquelle le créancier se trouvait, compte tenu de la jurisprudence antérieure, dans l’impossibilité d’éviter de laisser prescrire sa créance.
– un arrêt de la chambre commerciale du 21 mars 2018 (Cass. com., 21 mars 2018, n° 16-28412, PB), qui, statuant notamment sur une question de compétence rationae loci des cours d’appel à propos de décisions rendues en application de l’article L. 442-6 du Code de commerce (liberté des prix et de la concurrence), valide un arrêt de la cour d’appel de Paris du 28 septembre 2016, alors même qu’elle relève qu’un revirement de jurisprudence avait été opéré par plusieurs arrêts rendus le 29 mars 2017, mais dont l’application aurait privé l’appelant d’un procès équitable.
Le rejet du pourvoi est opéré aux considérants ci-après reproduits :
« Que l’arrêt attaqué, rendu le 28 septembre 2016, se conformant à la jurisprudence ancienne, retient la recevabilité de l’appel, formé le 16 septembre 2015 par la société Best ;
Que l’application, à la présente instance, de la règle issue du revirement de jurisprudence, qui conduirait à retenir l’irrecevabilité de l’appel formé devant la cour d’appel de Paris, aboutirait à priver la société Best, qui ne pouvait ni connaître, ni prévoir, à la date à laquelle elle a exercé son recours, la nouvelle règle jurisprudentielle limitant le pouvoir juridictionnel de la cour d’appel de Paris, d’un procès équitable, au sens de l’article 6, paragraphe 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ; que la censure de l’arrêt n’est, dès lors, pas encourue ; que le moyen ne peut être accueilli ».
Ici encore, l’application de la solution nouvelle résultant d’un revirement de jurisprudence est écartée dès lors qu’elle aurait entraîné l’irrecevabilité de l’appel d’une partie au procès au mépris du droit de celle-ci à un procès équitable, puisqu’aussi bien ladite partie ne pouvait, au moment de son appel, anticiper l’intervention de la règle nouvelle.
Notre avis
16. On peut affirmer que l’application immédiate d’une solution nouvelle résultant d’une jurisprudence postérieure à l’introduction d’un procès alors en cours, n’entraîne pas en soi, que la partie au détriment de laquelle l’application critiquée aurait été appliquée, n’ait plus eu accès au juge, puisqu’aussi bien ladite partie peut contester cette application pour prétendre par exemple qu’elle ne peut, dans les conditions de son espèce, être utilement opérée.
Pour pouvoir émettre un avis éclairé sur la question de savoir si la cour d’appel de Versailles a ou non méconnu les exigences de la sécurité juridique et du droit à un procès équitable, il est impératif de déterminer l’objet du litige tranché par celle-ci d’une part, et si les motifs décisoires de la cour d’appel se fondent ou non sur le revirement jurisprudentiel d’autre part, lequel avait été invoqué par l’assureur dommages ouvrage, et dont la cour d’appel de Versailles a rappelé l’économie générale et précisé la portée en soulignant en particulier que le délai décennal était un délai d’épreuve.
La lecture attentive de l’arrêt de la cour de Versailles, notamment quant au rappel que celle-ci fait des prétentions des parties, que le litige – dont l’objet a été ainsi déterminé, conformément à l’article 4 du Code de procédure civile (CPC) – nous conduit à dire, sans l’ombre d’une hésitation quelconque, que l’objet du litige portait seulement sur les conséquences de l’absence de saisine du juge du fond par les époux X., avant l’expiration du délai d’épreuve de la garantie décennale.
La cour d’appel statuant dans le strict cadre de l’objet du litige, a dit et jugé que les époux X. étaient irrecevables par suite de la forclusion du délai d’épreuve de la garantie décennale.
Si on a bien à l’esprit que le revirement de jurisprudence opéré par l’arrêt précité du 18 janvier 2006, réside seulement dans l’abandon de l’exigence que les nouveaux désordres soient l’aggravation des désordres initiaux, il est clair que la cour de Versailles, en rappelant – par référence à l’arrêt précité du 18 janvier 2006 – que le délai décennal est un délai d’épreuve, n’a nullement appliqué un principe nouveau ou une solution nouvelle qui aurait été consacré par ledit arrêt.
Et ce d’autant plus que la lecture de l’arrêt de la cour de Versailles permet de constater que les parties n’ont pas débattu de la question de savoir si les désordres nouveaux constituaient ou non l’aggravation des désordres initiaux, la cour ayant tranché le litige entre les parties – qui portait seulement, comme déjà dit ci-dessus, sur la question de la recevabilité de l’action en garantie des époux X. à l’encontre de l’assureur dommages ouvrage – en déclarant lesdits époux irrecevables à raison de la forclusion de la garantie décennale, la nature du délai de celle-ci, c’est-à-dire un délai d’action et d’épreuve, l’ayant conduite à cette décision.
Étant en outre observé qu’il résulte tant de la lecture de l’exposé des prétentions des parties que de celle de la discussion qu’en fait la cour d’appel de Versailles dans son arrêt du 15 mai 2017 choqué de pourvoi, que les époux X. n’ont pas soutenu – comme ils l’ont fait devant la Cour de Cassation – que l’application de la nouvelle définition du désordre évolutif aux faits de l’espèce méconnaîtrait en conséquence les exigences de la sécurité juridique et du droit à un procès équitable.
17. Pour terminer, nous dirons que peut-être « ceci explique cela »…
En d’autres termes, c’est peut-être à raison de ce que l’objet du litige tranché par la cour de Versailles était limité à la question de la forclusion du délai d’épreuve de la garantie décennale et que dans ce cadre, la cour d’appel n’avait pas appliqué, au litige en cours la solution nouvelle concernant la définition des désordres évolutifs, que la Haute Juridiction ne s’est pas plus expliquée sur sa validation de l’arrêt choqué de pourvoi quant au reproche qui lui était fait d’avoir méconnu les exigences de sécurité juridique et le droit à un procès équitable.
On peut d’ailleurs se demander si la Cour de Cassation n’aurait pas pu déclarer le moyen inopérant car mélangé de fait et de droit et au surplus nouveau au regard de ce que les époux X. avaient soutenu devant le juge du fond.