Désordres non expressément visés par l’assignation en référé ni par l’assignation au fond, celle-ci faisant seulement référence à une liste dressée par l’expert. Interruption de l’action en garantie décennale (non). (Cass. 3e civ., 20 mai 1998) — Karila

Désordres non expressément visés par l’assignation en référé ni par l’assignation au fond, celle-ci faisant seulement référence à une liste dressée par l’expert. Interruption de l’action en garantie décennale (non). (Cass. 3e civ., 20 mai 1998)

RGDA 01 octobre 1998 n° 1998-4, P. 735 


Assurance construction
Assurance de responsabilité décennale

Désordres non expressément visés par l’assignation en référé ni par l’assignation au fond, celle-ci faisant seulement référence à une liste dressée par l’expert. Interruption de l’action en garantie décennale (non).

C’est à bon droit qu’une Cour d’appel déclare prescrite l’action en garantie décennale relative à des désordres, objet d’une assignation en référé expertise qui ne les visait pas expressément, puis poursuivie par une action au fond qui ne les visait pas plus, bien que ce référant à une liste établie au cours des opérations d’expertise par l’expert, et ce dès lors que l’assignation en justice ne peut interrompre les délais de garantie décennale qu’en ce qui concerne les désordres qui y sont expressément mentionnés.

Cour de cassation (3e Ch. civ.) – 20 janvier 1998, 20-95870, Bull. 104

Baert c/Sté SEDAF Constructions et autres

La Cour,

Sur le moyen unique :

Attendu, selon l’arrêt attaqué (Douai, 4 septembre 1995) que Mme Castera ayant acquis un pavillon construit par la société SEDAF Constructions, assurée en sa qualité de maître de l’ouvrage auprès de la compagnie Groupe Drouot, a, après réception du 18 septembre 1979, assigné en réparation de désordres le constructeur et son assureur, par acte du 24 janvier 1989, devant le juge des référés et par acte du 18 septembre 1989, devant le juge du fond ;

Attendu que Mme Castera fait grief à l’arrêt de déclarer prescrite son action en garantie décennale, alors, selon le moyen, « 1° que l’assignation en référé aux fins de désignation d’un expert chargé de décrire les désordres, dans le cadre d’une expertise contradictoire qui a précisément pour objet de déterminer la liste limitative des désordres, interrompt la prescription de l’action en garantie décennale ; alors, d’autres part, que l’assignation au fond, qui fait référence à une liste de désordres établie par l’expert dans le cadre de l’expertise contradictoire ordonnée en référé et qui est en possession de toutes les parties, désigne suffisamment les désordres invoqués ».

Mais attendu qu’ayant constaté que ni l’assignation en référé, ni l’assignation au fond, qui renvoyait à la note rédigée en cours d’expertise par l’expert mais ne lui était pas annexée, ne visaient les désordres concernés par la demande, alors que l’assignation en justice ne peut interrompre le délai de garantie décennale, qu’en ce qui concerne les désordres qui y sont expressément mentionnés, la Cour d’appel en a exactement déduit que la demande était prescrite ;

D’où il suit que le moyen n’est pas fondé ;

Par ces motifs,

Rejette…

NOTE

1. L’arrêt rapporté est classique. Il rappelle la règle, quelquefois ignorée par certains praticiens, que l’assignation en justice ne peut interrompre le délai de la garantie décennale qu’en ce qui concerne les désordres qui y sont expressément mentionnés (Cass. civ. 3e, 31 mai 1989, J.C.P. éd. G 1989, IV, p. 283 ; Cass. civ. 3e, 17 décembre 1986, Mon. T.P., 2 janvier 1987.38 ; Cass. civ. 3e, 4 juillet 1990, Bull. civ. III, n° 164, R.D. imm. 1990.498, obs. Ph. Malinvaud et B. Boubli ; C.E., 8 janvier 1992, Département de Seine-Saint-Denis, R.D. imm. 1992.209, obs. F. Llorens et Ph. Terneyre ; Cass. civ. 3e, 19 juillet 1995, Bull. civ. III, n° 189 ; Cass. civ. 3e, 4 janvier 1996, n° 93-20.520, n° 10, Liogier et autres c/Sté Nouvelle d’H.L.M. et autres ; CE, 26 octobre 1994, n° 64.020, R.D. imm. 1995.100, obs. Llorens et Terneyre).

2. On rappellera que la prescription permet, par l’écoulement d’un certain délai, soit d’éteindre un droit et en conséquence de libérer le débiteur de sa dette : elle est alors dite « extinctive », soit d’acquérir un droit : elle est alors dite « acquisitive » (voir Lamy assurances 1997, chapitre La Prescription par J. Kullmann n° 896).

Sous ces deux formes, elle se distingue du délai préfixe, lequel est impératif et ne peut être interrompu, ni suspendu.

3. La nature juridique du délai de l’action en garantie décennale est complexe.

Envisagée au regard de la responsabilité ou de la garantie des constructeurs, c’est un délai de prescription.

Envisagée au regard de l’action de la victime, c’est un délai de forclusion de celle-ci.

En réalité, le délai décennal recouvre deux délais distincts :

_ un délai d’épreuve de la solidité de l’immeuble et de la bonne exécution des travaux, délai au-delà duquel les désordres pouvant être constatés ne seront plus couverts par la responsabilité décennale des constructeurs qui sera alors prescrite ; en conséquence, l’expiration du délai constitue un mode de libération pour les constructeurs ;

_ un délai d’action, à l’expiration duquel l’action en responsabilité décennale n’est plus recevable et, en ce sens, l’expiration du délai entraîne, pour le titulaire du droit enfermé dans ce délai, la forclusion de son droit.

Le délai de la garantie décennale s’applique à la fois à la durée de la garantie et à celle de l’action en responsabilité aux garanties.

Le délai décennal est un délai préfixe, délai de rigueur, la computation du délai se faisant de date à date, de minuit à minuit, du jour de la réception à minuit et expire dix ans après à minuit. Toutefois, il s’agit d’un délai préfixe occupant une place à part parmi ces délais, la Cour de Paris, dans un arrêt du 10 février 1998, l’ayant qualifié de « mixte » et, tout en soulignant que son caractère préfixe impliquait qu’il n’était pas susceptible de suspension et d’interruption par les causes ordinaires applicables aux délais de prescription, a estimé qu’il s’agissait néanmoins d’un délai de procédure susceptible de bénéficier des dispositions de l’article 642, alinéa 2 du Nouveau code de procédure civile, qui énonce que le délai qui expirerait normalement un samedi, un dimanche ou un jour férié ou chômé, est prorogé jusqu’au premier jour ouvrable suivant, et a donc admis la recevabilité d’une action introduite un lundi alors que le délai avait normalement expiré le samedi.

La Cour suprême a validé l’arrêt de la Cour de Paris (Cass. civ. 3e, 17 juillet 1992, Bull. civ. III, n° 249).

Le délai préfixe occupe en outre une place à part parmi ces délais, car les juges du fond ne peuvent d’office soulever l’expiration du délai de l’action, s’agissant d’un mode de libération des constructeurs, auxquels il appartient ou à leurs assureurs d’invoquer cette expiration (Cass. civ. 1re, 28 juin 1998, Bull. civ. I, n° 206) et d’en rapporter la preuve (Cass. civ. 3e, 26 mai 1988, J.C.P. 1988.IV.267 à propos du délai de l’action de la garantie biennale) mais la solution est transposable.

Etant néanmoins précisé que le moyen peut être soulevé en tout état de cause, c’est-à-dire pour la première fois en cause d’appel (Cour d’appel, Aix-en-Provence, 26 juin 1980, Gaz. Pal. 1981, Somm. I, p. 149).

4. On rappellera qu’il existe trois causes d’interruption du délai, à savoir la reconnaissance de responsabilité, la saisine du juge du fond, et, depuis le 1er janvier 1986, date d’entrée en vigueur de la loi Badinter du 5 juillet 1985, l’assignation en référé expertise, étant rappelé que l’effet interruptif de l’assignation au fond se prolonge pendant toute la durée de l’instance (Cass. civ. 3e, 8 juin 1994, R.G.A.T. 1994.1186, note J.P. Karila), tant que le litige n’a pas trouvé sa solution définitive par un jugement ayant acquis l’autorité de la chose jugée (Cass. civ. 2e, 29 juin 1992, Bull. civ. II, n° 40 ; Cass. civ. 1re, 12 décembre 1995, Bull. civ. I, n° 46), tandis que l’instance en référé s’épuise, quant à elle, par le prononcé de l’ordonnance de référé qui fait courir (après suspension ou interruption du délai, la jurisprudence n’étant pas claire à cet égard) un délai égal à celui interrompu à compter du jour du prononcé de l’ordonnance de référé (Cass. civ. 3e, 11 mai 1994, Bull. civ. III, n° 90 ; Cass. civ. 3e, 17 mai 1995, Bull. civ. III, n° 120 ; Cass. civ. 2e, 6 mars 1991, Bull. civ. II, n° 77).

Sur l’ensemble de la question, voir J.P. Karila, les responsabilités des constructeurs, Encyclopédie Delmas 2e éd. 1991, p. 254 à 263 ; voir également Lamy assurances 1997, chapitre « Assurances de responsabilité décennale » par J.P. Karila et J. Kullmann, nos 2783 et 2785).

5. Dans les circonstances de l’espèce, ayant donné lieu à l’arrêt rapporté, la victime des désordres n’avait expressément dénoncé aucun désordre dans le cadre de son assignation en référé tandis que l’assignation au fond renvoyait à une note rédigée en cours d’expertise par l’expert, mais n’était pas annexée à ladite assignation, en sorte que celle-ci ne mentionnait pas expressément les désordres concernés par la demande en justice.

A l’appui de son moyen unique de cassation, le maître d’ouvrage reprochait à la Cour d’appel d’avoir déclarer son action prescrite alors que l’assignation en référé expertise, ayant pour objet de déterminer la liste limitative des désordres, avait interrompu la prescription, et que l’assignation au fond désignait suffisamment ceux-ci en faisant référence à ladite liste établie dans le cadre d’une expertise contradictoire, et qui était en possession de toutes les parties.

La Cour de cassation rejette le moyen en rappelant la règle selon laquelle l’assignation en justice ne peut interrompre le délai de garantie décennale qu’en ce qui concerne les désordres qui y sont expressément mentionnés.

La cassation était inévitable ; on peut certes, regretter sur le plan de l’équité, la solution, qui laisse sans réparation des dommages qui relevaient sans doute de l’application de la garantie décennale, mais la victime n’est sans doute pas sans possibilité d’obtenir néanmoins par d’autres moyens et à l’encontre d’un autre assureur que celui du constructeur, la réparation sinon desdits dommages, du moins l’indemnisation de la perte d’une chance, compromise par la méconnaissance, lors de l’introduction tant de l’instance en référé que de l’instance au fond des principes ci-dessus rappelés, concernant la portée de l’effet interruptif qui se referme sur son objet à savoir les désordres expressément mentionnés dans la citation en justice.

Jean-Pierre Karila,

Avocat, Professeur à l’Institut d’Etudes Economiques et Juridiques Appliquées à la Construction et à l’Habitation.







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