Une sommation d’avoir à continuer le chantier restée sans effet vaut « mise en demeure restée infructueuse » au vu de l’article L. 242-1 du Code des assurances.
Cass. 3e civ., 10 déc. 2015, no 14-17351
Par Laurent Karila (Revue générale du droit des assurances, 01 janvier 2016 n° 1, P. 36)
Avocat à la cour, barreau de Paris, chargé d’enseignement à l’école de droit de la Sorbonne (Paris 1)
Par exception à l’alinéa 8 de l’article L. 242-1 du Code des assurances qui énonce que l’assurance dommages ouvrage prend effet après l’expiration du délai de garantie de parfait achèvement visé à l’article 1792-6 du Code civil, l’alinéa suivant prévoit que cette même assurance garantit le paiement des réparations nécessaires lorsqu’avant la réception, après mise en demeure restée infructueuse, le contrat de louage d’ouvrage conclu avec l’entrepreneur est résilié pour inexécution, par celui-ci, de ses obligations.
Saisie par un maître d’ouvrage d’un immeuble d’habitation d’une demande de condamnation de l’assureur dommages ouvrage à hauteur du montant utile à la réparation de dommages de la gravité requise par l’article susvisé, survenus avant réception, la cour d’appel d’Aix-en-Provence a rendu l’arrêt objet du pourvoi, rejetant
ladite demande au motif « qu’il est acquis que l’assureur dommages ouvrage peut intervenir en présence de désordres de nature décennale avant réception, si le maître de l’ouvrage a délivré à l’entrepreneur une mise en demeure de reprendre les désordres constatés, suivie d’une résiliation du marché et qu’en l’espèce la simple sommation d’avoir à continuer le chantier suivi d’une résiliation… n’était pas une mise en demeure valable ».
Le maître d’ouvrage forma un pourvoi contre ledit arrêt d’appel pour violation de loi notamment au motif qu’une sommation par acte d’huissier d’avoir à continuer le chantier vaut mise en demeure dès lors qu’il en résulte une interpellation suffisante du débiteur sur le contenu de son obligation d’une part, et qu’exiger qu’en sus de ladite sommation et de la résiliation, soit adressée une mise en demeure consisterait à ajouter à la loi une condition qu’elle ne comporte pas d’autre part.Fort à propos selon nous, la troisième chambre civile a cassé l’arrêt d’appel en retenant qu’en relevant que le maître de l’ouvrage avait adressé une sommation d’avoir à continuer le chantier, la Cour n’avait pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et avait ainsi violé l’article L. 242-1 du Code des assurances.
S’il est vrai qu’une « sommation d’avoir à continuer le chantier » n’est pas strictement équivalent à une « mise à demeure » au sens implicite dudit article, à savoir une mise en demeure d’avoir à exécuter son obligation d’exécution conforme ou de réparation de la partie d’ouvrage affectée des dommages de nature décennale, il est sans doute apparu aux hauts magistrats que demander à l’entreprise de « continuer le chantier » devait nécessairement s’entendre comme une demande d’exécuter pleinement son obligation de résultat en réalisant un ouvrage exempt de vices ; empruntant ainsi implicitement à l’adage commun (légèrement transformé pour l’occasion du présent commentaire) selon lequel « qui doit le plus [continuer le chantier], doit le moins [exécuter le chantier conformément à son obligation notamment réparation de la partie d’ouvrage affectée des dommages de nature décennale]. »
On rappellera que la Cour de cassation a même été amenée à exonérer le maître d’ouvrage de mettre formellement en demeure l’entrepreneur défaillant lorsque cette mise en demeure est impossible ou inutile (Cass. 1re civ., 23 juin 1998, n° 95-19340 : Bull. civ. I, n° 222 – Cass., 3e civ., 10 mai 1989, n° 87-20286) et à préciser que ladite mise en demeure n’avait pas à être adressée en lettre recommandée avec accusé de réception, une interpellation suffisante valant mise en demeure d’achever les travaux (Cass., 1re civ., 27 nov. 1994,n° 92-13276).
On se souviendra que la Cour suprême considère également que l’assignation en référé constitue une mise en demeure suffisante de l’entrepreneur (Cass., 1re civ, 14 oct. 1997, n° 95-19390) et que l’assignation en résolution du contrat de louage d’ouvrage vaut mise en demeure (Cass., 1re civ., 23 mai 2000, n° 97-22547 : Bull. civ. I, n° 150).