RGDA – 01/04/1996 – n° 1996-2 – page 362 – Jean-Pierre Karila
La Cour,
Sur le moyen unique, ci-après annexé :
Attendu qu’ayant constaté que les désordres affectaient les faces internes des doubles vitrages posés sur les ouvrants des fenêtres et portes fenêtres, la Cour d’appel, qui en a exactement déduit que ces désordres, affectant exclusivement les parties mobiles, portaient atteinte à de menus ouvrages, a légalement justifié sa décision en retenant que ces désordres relevaient de la garantie biennale qui était expirée au jour où l’assignation avait été délivrée ;
Par ces motifs,
Rejette le pourvoi,
I. NOTE
Trente pour cent environ, selon nos renseignements, des pourvois portés actuellement devant la Cour suprême, sont relatifs à desarrêts rendus sous l’empire des textes régissant la responsabilité des constructeurs avant la réforme du 4 janvier 1978.
L’arrêt rapporté concerne une espèce régie par la loi du 3 janvier 1967.
On sait que sous l’empire des anciens articles 1792 et 2270, en leur rédaction issue de cette loi, la garantie décennale était cantonnée aux désordres, ayant leur siège dans de gros ouvrages et qui avaient pour conséquence, soit de compromettre la solidité de l’immeuble, soit de le rendre impropre à se destination, tandis que la garantie biennale des menus ouvrages impliquait seulement que les désordres aient leur siège dans un menu ouvrage, aucune condition de gravité desdits désordres n’étant requise pour son application (Cass. civ. 3e, 23 janvier 1991, J.C.P. 1992. IV.132 ; Cass. civ. 9 novembre 1994, D. 1994.IR.264).
On sait également que les gros et menus ouvrages de l’ancien article 2270 du Code civil n’avaient pas été définis par la loi, tandis que – mais seulement pour les bâtiments à usage d’habitation ou à caractéristiques similaires – un décret du 22 décembre 1967, pris pour l’application de la loi du 3 janvier 1967, avait, en ses articles 11 et 12, dressé une liste non limitative des gros ouvrages (article 11) d’une part, ainsi qu’une liste, également non limitative, des menus ouvrages (article 12) d’autre part, ces derniers étant d’abord définis par opposition aux gros ouvrages, l’article 12 du décret énonçant, immédiatement avant d’en donner des exemples, que « les menus ouvrages sont les éléments du bâtiment autres que les gros ouvrages », pour ensuite préciser que ces « éléments comportent notamment » suit l’indication desdits éléments dont « les éléments mobiles nécessaires au clos et couvert, tels que les portes, fenêtres, persiennes et volets ».
II. 1/2
Pour résumer, on dira que le domaine de la garantie biennale est défini par référence au caractère d’extériorité et de mobilité des ouvrages considérés, abstraction faite de toute appréciation de la gravité des désordres les affectant.
Si à l’évidence un dommage affectant un menu ouvrage n’entraîne pas des conséquences graves, il est tout aussi clair que la généralisation des dommages affectant des menus ouvrages, peut avoir pour conséquences de rendre l’immeuble, dans son ensemble, impropre à sa destination.
C’est en considération de la situation ci-dessus évoquée, que dans le cadre du régime issu de la loi du 4 janvier 1978, le dysfonctionnement d’un élément d’équipement dissociable du bâtiment relevant normalement de la garantie biennale de bon fonctionnement régie par l’article 1792-3 du Code civil, sera néanmoins réparable au titre de la garantie décennale régie notamment par l’article 1792 dudit Code, s’il a pour conséquence de rendre l’ouvrage, dans son ensemble, impropre à sa destination, ledit article 1792 visant à cet égard les éléments d’équipement, sans référence à leur dissociabilité ou leur indissociabilité.
Mais sous l’empire de la loi du 3 janvier 1967, la généralisation des désordres affectant des menus ouvrages, rendant l’immeuble impropre à sa destination, n’a pas pour conséquence d’entraîner l’application de la garantie décennale (C.A. de Versailles 16 avril 1986, G.T.E.-Bati 28 c/Bordier et autres, inédit, pourvoi rejeté par cassation civile 3e, 9 décembre 1987 inédit).
La solution contraire avait cependant eu, à l’occasion, la faveur des juges du fond, mais la Cour de cassation – quoiqu’on en ait dit s’y est toujours refusée, du moins quand il résultait clairement des faits de l’espèce considérée que les désordres affectaient exclusivement des menus ouvrages.
C’est dans cet esprit, et pour être à même de pouvoir exercer son contrôle, que la Cour suprême casse les décisions des juges du fond qui retiennent l’application de la garantie décennale, sans rechercher si les éléments considérés sont fixes ou mobiles (à propos de vitrages : Cass. civ. 3e, 13 décembre 1989, Bull civ. III, n° 231) ; s’ils sont mobiles ils ne peuvent être assimilés à des gros ouvrages (à propos justement de doubles-vitrages – comme dans l’espèce objet de l’arrêt rapporté – voir Cass. civ. 3e, 17 décembre 1986, D. 1987. IR. 10 ; voir cependant au sens opposé pour des vitrages, au prétexte qu’il sont des éléments assurant le clos, le couvert et I’étanchéité, sans s’attarder à distinguer entre les parties fixes soumises à la garantie décennale et les parties mobiles relevant de la garantie biennale : Cass. civ. 3e, 2 juillet 1985, R.D.I. mm 1986. 75).
En revanche quand les désordres affectent à la fois les parties fixes et mobiles, la jurisprudence admet la qualification de gros ouvrages ou encore l’application de la garantie décennale (pour des doubles-vitrages, C.A. Angers 1re Ch. 10 janvier 1989 inédit ; pour des baies fixes et coulissantes, C.A. Bordeaux, 1re Ch. 26 janvier 1987, J.C.P. 1987.IV.307 ; pour des désordres affectant l’ensemble des menuiseries extérieures affectant indistinctement les bâtis et huisseries des fenêtres et leurs éléments mobiles, Cass. civ. 3e, 10 mars 1982, Bull civ. III, n° 68 ; pour l’ensemble du système de fermeture de menuiseries extérieures relevant de la conception générale des murs de façade eux-mêmes, Cass. civ. 3e, 19 juillet 1983, G.P. 1983.II.20).
L’unique moyen de pourvoi reprochait à l’arrêt attaqué (C.A. Rouen 5 janvier 1994) de n’avoir pas recherché si la généralisation des désordres et l’embuage permanent des vitres n’étaient pas de nature à compromettre l’habitabilité de l’immeuble par l’obstacle ainsi apporté à la vue et ne devaient pas être assimilés à une atteinte ou gros ouvrage, ce reproche étant formulé après l’affirmation péremptoire selon laquelle « la garantie décennale peut s’appliquer aux éléments entrant dans la catégorie des menus ouvrages, en cas de désordre généralisé essentiel ».
La Cour suprême rejette, à juste titre, le pourvoi après avoir relevé que les désordres dont s’agit, affectaient exclusivement les parties mobiles des doubles-vitrages et portaient atteinte à des menus ouvrages, relevant de la seule garantie biennale, expirée au jour où l’assignation avait été délivrée.