Ancien ID : 134
Assurance dommages ouvrage
Expertise contractuelle. Opposabilité au sous-traitant (non).Viole les articles A. 243-1 du Code des assurances en son annexe II d’une part, et l’article 1792 du Code civil d’autre part, la cour d’appel, qui, pour accueillir dans son action en garantie, l’assureur dommages ouvrage, subrogé dans les droits du maître d’ouvrage, à l’encontre des sous-traitants de l’entrepreneur principal, se fonde sur le rapport d’expertise dommages ouvrage, alors qu’un tel rapport n’est opposable qu’aux constructeurs mentionnés au 1o de l’article 1792-1 du Code civil.
Cour de cassation (3e Ch. civ.) 14 novembre 2001, n° 00-11037
Société d’Étanchéité Couverture Bardage (SECB) c/ CDC Constructions et autres
La Cour,
Sur le moyen unique du pourvoi principal et le moyen unique du pourvoi provoqué, réunis, qui sont recevables :
Vu l’article A. 243-1 du Code des assurances et son annexe II, ensemble l’article 1792-1 du Code civil ;
Attendu que les opérations de l’expert chargé du constat des dommages à la demande de l’assureur de dommages sont opposables à l’ensemble des constructeurs mentionnés au 1o de l’article 1792-1 du Code civil et liés, à ce titre, au maître de l’ouvrage par un contrat de louage d’ouvrage, aux fabricants, au contrôleur technique et aux autres assureurs dès lors que l’expert les a consultés pour avis chaque fois qu’il l’estimait nécessaire et les a systématiquement informés du déroulement des différentes phases du constat des dommages et du règlement des indemnités ;
Attendu, selon l’arrêt attaqué (Nîmes, 10 août 1999), qu’un maître de l’ouvrage, assuré par la Société mutuelle d’assurance du bâtiment et des travaux publics (SMABTP), a chargé de la construction de maisons la société CDC Constructions ayant pour nom commercial Tiffany constructions (société Tiffany), qui a sous-traité l’étanchéité à la Société d’étanchéité couverture bardage (société SECB) et le terrassement à la société Locat ; que des désordres étant apparus, la SMABTP, qui a confié à l’expertise des dommages à M. Sanchez et indemnisé le maître de l’ouvrage, a assigné en réparation la société Tiffany, qui a appelé en garantie les sociétés SECB et Locat ;
Attendu que, pour accueillir ces appels en garantie, l’arrêt retient que les entreprises chargées de la sous-traitance du lot étanchéité SECP et du lot terrassement Locat ont été régulièrement convoquées par l’expert Sanchez à ses opérations d’expertise et que celui-ci a, également, satisfait à l’obligation d’information, qui lui incombait, en adressant copie de ses notes aux entreprises sous-traitantes et copie du rapport à leurs assureurs et que, par conséquent, le rapport Sanchez est opposable aux sous-traitants ;
Qu’en statuant ainsi, alors que les sous-traitants ne sont pas liés au maître de l’ouvrage par un contrat de louage d’ouvrage, la cour d’appel a violé les textes susvisés ;
Par ces motifs :
Casse.
NOTE
1. L’arrêt rapporté casse, pour violation de l’annexe II de l’article A. 243-1 du Code des assurances et de l’article 1792-1 du Code civil, une décision d’une cour d’appel, qui avait accueilli le recours en garantie formé par un assureur dommages ouvrage, subrogé dans les droits et actions du maître de l’ouvrage, à l’encontre des sous-traitants, sur le fondement du rapport d’expertise de l’expert désigné par lui, alors, dit la Cour suprême, qu’un tel rapport est inopposable aux sous-traitants, nonobstant le fait qu’ils ont été régulièrement convoqués aux opérations d’expertise et que l’expert a satisfait à l’obligation d’information qui lui incombait, en adressant copie de ses notes auxdits sous-traitants et a communiqué son rapport à leur assureur.
Si la solution, ainsi retenue, est incontestablement justifiée en droit, elle ne s’imposait néanmoins pas et est, en revanche, inopportune, pour les raisons qui seront exposées ci-après.
2. Elle est justifiée en droit. Il convient de rappeler à cet égard que :
– l’annexe II à l’article A. 243-1 du Code des assurances édicte des clauses types applicables au contrat d’assurance dommages ouvrage, clauses types au nombre desquelles figure la clause figurant sous le B « Obligations de l’assureur en cas de sinistre », stipulant sous le 1o « Constat des dommages – expertise » b) énonce l’obligation pour l’assureur de « donner à l’Expert les instructions nécessaires pour que les réalisateurs, les fabricants au sens de l’article 1792-4 du Code civil et le contrôleur technique, ainsi que les assureurs couvrant leur responsabilité professionnelle et celle de l’assuré, soient, d’une façon générale, consultés pour avis par ledit expert, chaque fois que celui-ci l’estime nécessaire et, en tout cas, obligatoirement avant le dépôt entre les mains de l’assureur de chacun des deux documents définis en c), et soient, en outre, systématiquement informés par lui du déroulement des différentes phases du constat des dommages et du règlement des indemnités » ;
– les personnes mentionnées au 1o de l’article 1792-1 du Code civil, et qui sont réputées constructeurs au sens de la loi, sont « tout architecte, entrepreneur, technicien ou autre personne liée au maître de l’ouvrage par un contrat de louage d’ouvrage ».
Certes, le terme « réalisateurs » utilisé dans la clause type est en soi équivoque et aurait pu concerner tout réalisateur de tout ou partie de l’ouvrage construit, qu’il soit ou non lié au maître de l’ouvrage par un contrat de louage d’ouvrage.
Mais aucune équivoque n’est possible en la circonstance, puisqu’au titre des définitions figurant avant la clause type précitée, le terme « réalisateurs » est défini comme suit : « L’ensemble des constructeurs désignés aux conditions particulières ou dont l’identité est portée ultérieurement à la connaissance de l’assureur, qui sont mentionnés au 1o de l’article 1792-1 du Code civil et sont liés, à ce titre, au maître de l’ouvrage par un contrat de louage d’ouvrage en qualité de concepteur ou de conseil (architecte, technicien ou autre) ou en qualité d’entrepreneur, et qui participent à la réalisation de l’opération de construction ».
L’expertise réglementaire, d’ordre public, et contractuelle, mise en oeuvre à l’initiative de l’assureur dommages ouvrage ne peut en conséquence concerner que les personnes mentionnées à l’article 1792-1 1o du Code civil, ainsi que le fabricant visé à l’article 1792-4 dudit code, et le contrôleur technique, et en aucun cas les sous-traitants.
On rappellera ici que l’opposabilité des opérations de l’expert dommages ouvrage à l’égard des précités, ne résulte pas strictement de la clause type, mais de la jurisprudence – dans un premier temps réticente – depuis un arrêt de principe du 17 juin 1990 (Cass. 1re civ., 17 juin 1990, Bull. civ. I, no 15, RGAT 1990, p. 120, note J. Bigot), cassant justement une décision d’une cour d’appel qui avait énoncé qu’il importait peu que l’expert se soit conformé aux dispositions de l’article A. 243-1 du Code des assurances, dès lors que lesdites dispositions n’étaient applicables qu’aux rapports entre le maître de l’ouvrage et l’assureur dommages ouvrage d’une part, et ne régissaient par conséquent pas les rapports de ces derniers avec les assureurs de responsabilité d’autre part, la cassation étant prononcée pour violation de l’article A. 243-1 du Code des assurances et de son annexe II, alors que les dispositions de ce texte, de facto, imposaient seulement à l’assureur dommages ouvrage de donner à l’expert désigné par lui les instructions nécessaires pour que les réalisateurs et autres personnes visées soient informés et consultés.
Cette jurisprudence issue de l’arrêt précité du 17 juin 1990, a été, par la suite, confirmée à de nombreuses reprises tant par les juges du fond que par la Cour suprême, qui s’est alors essentiellement attachée à vérifier le caractère contradictoire des opérations d’expertise à l’égard des différents intervenants à l’acte de construire, sans jamais d’ailleurs qu’il ait été mis en relief la situation particulière du sous-traitant (Cass. 1re civ., 3 octobre 1991, Bull. civ. III, no 221 ; Cass. 1re civ., 7 avril 1992, RGAT 1992, p. 558, note J. Bigot ; Cass. 1re civ., 9 juin 1993, Bull. civ. I, no 207, p. 821,, note H. Périnet-Marquet ; Cass. 1re civ., 3 mai 1995, Bull. civ. I, no 185 ; CA Paris, 19e Ch. B, 27 mars 1996, RGDA 1996, p. 340, note J. Bigot).
La solution de l’arrêt rapporté est néanmoins, comme déjà dit ci-dessus, parfaitement justifiée en droit.
3. Elle ne s’imposait cependant pas de façon inéluctable, et est en tout état de cause, inopportune.
Elle ne s’imposait pas, car la jurisprudence a déjà admis que le juge peut retenir un rapport d’expertise contre une partie auquel il est inopposable, à condition toutefois que ledit rapport d’expertise n’ait pas été retenu en tant que tel, mais comme simple renseignement d’une part, et que son contenu ait pu être discuté contradictoirement par la partie concernée, dans le cadre de la procédure statuant sur sa responsabilité d’autre part, le juge ne pouvant se fonder uniquement sur le rapport d’expertise considéré (Cass. 2e civ., 18 juin 1997, Bull. civ. II, no 197 ; Cass. 2e civ., 1er juin 1994, Bull. civ. II, no 146 ; Cass. 3e civ., 23 avril 1992, Bull. civ. III, no 140 ; Cass. 3e civ., 9 juin 1993, Bull. civ. III, no 84).
La solution est surtout inopportune, car elle peut conduire à une judiciarisation de l’expertise dommages ouvrage, ou encore à son extrême complication, dans la mesure où l’assureur dommages ouvrage, qui n’intervient en principe qu’à titre de préfinancement, a intérêt à préserver ses recours, non seulement à l’encontre des responsables de plein droit et de leurs assureurs de responsabilité, mais aussi, s’il y a lieu, des sous-traitants et de leurs assureurs de responsabilité ; or, il ne pourrait le faire utilement, à l’égard de ces derniers que si désormais il décidait d’initier à leur encontre une procédure de référé expertise, dont l’objet serait de constater judiciairement les dommages et d’en rechercher les causes et origines !…
C’est dire qu’il y aurait désormais en marge de l’expertise réglementaire d’ordre public et contractuelle, des opérations d’expertise judiciaire dont l’objet serait identique !…
Certes l’assureur dommages ouvrage pourrait décider de cantonner ses recours contre les responsables de plein droit et leurs assureurs de responsabilité, mais alors ces derniers seraient eux-mêmes, pour assurer leurs propres recours à l’encontre des sous-traitants, contraints d’introduire, en marge des opérations de l’expertise contractuelle, une procédure judiciaire de référé expertise…
On voit, de quelque manière que l’on envisage la question, que la solution retenue, si elle n’est pas critiquable en droit, est inopportune.
Jean-Pierre Karila – RGDA 2002-1, p. 118