Revue générale du droit des assurances – 01/07/1996 – n° 1996-3 – page 668 – Jean-Pierre Karila
Cour de cassation (3e Ch. civ.), 28 févr. 1996, 94-17154 (Bull. Civ. III n° 57)
La Cour,
Joint les pourvois nos N 94-17.154 et C 94-18.203 ;
Sur le premier moyen de chacun des deux pourvois, principaux, réunis :
Attendu, selon l’arrêt attaqué (Riom, 26 mai 1994), qu’agissant pour le compte de la commune de Néris-les-Bains, propriétaire d’un hôtel, et assurée en police dommages-ouvrage auprès de la société SIS Assurances et du groupe Spinks, la Société d’équipement du Bourbonnais (SEB) a fait exécuter, en 1980, des travaux de rénovation de cet immeuble, sous la maîtrise d’oeuvre de M. Kergrohenn, architecte, assuré auprès de la Mutuelle des architectes français (MAF) et avec le concours, pour l’installation de chauffage et d’eau chaude sanitaire, de la société Thivrier, assurée auprès de la compagnie AGP, aux droits de laquelle vient la société Axa Assurances ; que cette installation devant être alimentée par des sources d’eau chaude naturelle, la conception de la géothermie a été confiée à M. et Mme Jacob et à la société Produits techniques modernes ACE (PTM), remplacée à partir du 30 octobre 1981 par la société Skatherm, assurée auprès de la Mutuelle du Mans ; que les études de l’installation de chauffage ont été confiées par la société Thivrier à M. Guedon, ingénieur-conseil, depuis décédé, aux droits duquel se trouvent les consorts Guedon ; que la Société de gestion et d’investissement immobilier (Sogitel), assurée auprès de la compagnie Allianz-Via, initialement locataire exploitante de l’hôtel en 1985, devenue propriétaire en 1988, ayant constaté le mauvais fonctionnement de l’installation de chauffage, a obtenu, la désignation d’un expert, et, après dépôt du rapport de ce dernier, a assigné en réparation les divers constructeurs, maîtres d’oeuvre, locateurs d’ouvrage et leurs assureurs respectifs ; que, par un jugement postérieur, une nouvelle mesure d’expertise a été confiée à M. Thin, et rendue commune ultérieurement à l’assureur de la société Skatherm ;
Sur le premier moyen de chacun des deux pourvois principaux réunis (sans intérêt) ;
Sur les deuxième et troisième moyens du pourvoi n° 97-17.154 (sans intérêt) ; Sur le second pourvoi n° 94-18.203 (sans intérêt) ;
Mais, sur le moyen unique du pourvoi incident de la société Thivrier et de la compagnie Axa assurances ;
Vu l’article 1792 du Code civil, dans sa rédaction de la loi du 4 janvier 1978 ;
Attendu que, pour déclarer la société Thivrier responsable des fautes de conception de l’installation de chauffage et de production d’eau chaude sanitaire et la condamner à réparer les désordres en résultant, l’arrêt retient, par motifs adoptés, que cette installation n’est pas conforme à sa destination ;
qu’en statuant ainsi, alors qu’elle avait relevé que cette installation constituait un élément d’équipement, sans rechercher si les désordres portaient atteinte à la destination de l’ouvrage, la Cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision de ce chef
NOTE :
1. L’arrêt rapporté a été rendu à la suite de quatre pourvois formés à l’encontre d’un arrêt de la Cour de Riom du 26 mai 1994.
Son examen ne présente d’intérêt qu’en ce qui concerne le pouvoir incident d’un constructeur et de son assureur de responsabilité décennale, relativement à la motivation de leur condamnation, sur le fondement de la responsabilité décennale et de la garantie d’assurance subséquente.
Il s’agissait en la circonstance du dysfonctionnement d’une installation de chauffage et de production d’eau chaude sanitaire d’un hôtel, alimentées par des sources d’eau chaude naturelles, la conception de la géothermie étant confiée à une équipe de maîtrise d’oeuvre d’une part, celle de l’installation de chauffage et de production d’eau chaude naturelle, étant confiées à un maître d’oeuvre, d’autre part.
2. La Cour de Riom avait retenu notamment la responsabilité du maître d’oeuvre et la garantie de son assureur, à concurrence du coût des réparations des « désordres » affectant l’installation de chauffage, au motif que celle-ci « est au sens de l’article 1792-2 du Code civil, un élément d’équipement, dès lors que sa dépose, son démontage ou son remplacement, ne peut s’effectuer sans détérioration ou enlèvement de matière de l’ouvrage, que l’expert commis prescrit non seulement le désembouage de l’installation, mais également la mise en place d’un échangeur et d’un système de traitement des eaux, le remplacement du compresseur, de différents radiateurs, la remise en état de la pompe à chaleur… ; que ces travaux ne sauraient être assimilés à de simples travaux d’entretien et constituent bien des travaux de remise en état ; que le second expert prévoit également la mise en place d’un échangeur, un filtrage des eaux, une protection cathodique des réservoirs… ; que dès lors, il est parfaitement établi à la lecture des deux expertises ordonnées que l’installation de chauffage et de production d’eau chaude sanitaire n’est plus conforme à sa destination, et que l’étendue des désordres est telle qu’une dépose, un démontage et un remplacement partiel de ces éléments d’équipement est nécessaire ».
3. On observera liminairement que tant la motivation de la Cour de Riom que celle (en partie) du pourvoi étaient juridiquement infondées ou pour les moins présentaient un défaut de qualification juridique.
La Cour de Riom visait l’article 1792-2 C. civ., en ce qu’il définit l’élément d’équipement du bâtiment indissociable, comme celui dont la dépose, le démontage ou le remplacement ne peut s’effectuer sans détérioration ou enlèvement de matière de l’ouvrage, plus précisément de la fraction d’ouvrage visée dans ledit article (ouvrages de viabilité, de fondation ou de clos et couvert), pour ensuite, après description des travaux prescrits par l’expert, en tirer la conséquence de l’impropriété à la destination dudit élément d’équipement, et partant l’application de la garantie décennale ; sur ce dernier point, la décision était implicite et à la vérité la motivation de la Cour était une simple reprise de celle du Premier Juge, la Cour de Riom s’étant contentée de dire « … mais qu’en sa page 20e, le jugement querellé répond avec sagacité à la question de la garantie décennale » !…
Or il n’était pas nécessaire comme l’a fait la Cour de Riom de s’attarder sur la qualification de l’élément d’équipement considéré (indissociable au sens de l’article 1792-2 du Code civil ou dissociable par application de l’article 1792-3 dudit Code), si l’on entend retenir la garantie décennale au titre de l’impropriété à la destination (Cass. civ. 3e, 23 janvier 1991, Bull. Civ. III n° 30), à condition bien sûr que celle-ci soit appréciée par référence à l’ouvrage dans son ensemble (Cass. civ. 3e, 7 décembre 1988, Bull. civ. III, n° 174).
Quant au pourvoi, il reprochait à la Cour de Riom d’avoir privé sa décision de base légale au regard des articles 1792, 1792-2 et 17923 du Code civil pour n’avoir pas recherché « si les éléments d’équipement visés faisaient indissociablement corps avec le gros oeuvre de l’immeuble, et sans rechercher si les désordres portaient atteinte à la destination de l’hôtel lui-même ».
Si sur ce dernier point, le demandeur au pourvoi raisonnait justement, en revanche, il n’était pas nécessaire d’effectuer une recherche relativement à la qualification de l’élément d’équipement considéré, au surplus en faisant référence à la notion de « gros oeuvre », laquelle n’est visée dans aucune disposition des articles 1792, 1792-2 et 1792-3 du Code civil, cités dans ledit pourvoi.
La cassation était néanmoins inévitable, et c’est à dessein que la Cour suprême casse l’arrêt de la Cour de Riom au seul visa de l’article 1792 du Code civil.
Seule l’atteinte à la solidité d’un élément d’équipement indissociable (article 1792-2 du C. civ.) et en aucun cas l’atteinte à la destination dudit élément d’équipement, entraîne l’application de la garantie décennale ; l’atteinte à la destination d’un élément d’équipement dissociable (article 1792-3 du C. civ.) n’est également pas susceptible d’entraîner l’application de la garantie décennale.
L’impropriété à la destination doit être appréciée – comme déjà dit ci-dessus – par rapport à l’ouvrage dans son ensemble, et non pas par rapport à une partie d’ouvrage ou un élément d’équipement quelconque.
On rappellera à cet égard que par l’arrêt précité du 7 décembre 1988 rendu à propos d’un faux-plafond assurant notamment une isolation thermique ; la Cour suprême a validé un arrêt de la Cour de Paris, qui avait retenu « souverainement que si le plafond ne répondait pas à sa fonction d’isolation thermique, l’ouvrage « dans son ensemble » n’en était pour autant rendu impropre à sa destination ».
C’est également au regard de l’ensemble de l’ouvrage constitué par une résidence hôtelière, que la Cour suprême, dans l’arrêt précité du 23 janvier 1991, a validé un arrêt de la Cour de Bordeaux qui avait appliqué la garantie décennale, sans rechercher au préalable la nature de l’élément d’équipement considéré (supports et vasques dans les salles de bains),
La Cour de cassation invite néanmoins le Juge du Fond à rechercher si le dysfonctionnement ou le désordre affectant un élément d’équipement dissociable (article 1792-3 du C. civ.) ne rend pas l’ouvrage impropre à sa destination et par conséquent, s’il n’y a pas lieu d’appliquer la garantie décennale (article 1792 du C. civ.).
La Cour suprême casse en conséquence les arrêts qui ne procèdent pas à cette recherche, lorsque les parties lui demandent de l’effectuer (Cass. civ. 3e, 12 juin 1991, Bull. civ. III n° 167), mais également lorsque les parties ne l’y invitent pas (Cass ; civ. 3e, 14 octobre 1992, Bull. civ. III n° 267).
Mais elle casse également, comme dans la décision rapportée, la décision du Juge du Fond qui se contente de dire qu’une installation de chauffage « n’est pas conforme à sa destination ».
On signalera dans le même ordre d’idée, que la Cour suprême a censuré un arrêt d’une Cour d’appel qui, sous prétexte que les dommages affectaient non pas un élément d’équipement, mais un ouvrage relevant de l’application de l’article 1792 du Code civil, avait retenu la responsabilité décennale d’un constructeur « sans constater que l’ouvrage était atteint dans sa solidité ou rendu impropre à sa destination » (Cass. civ. 3e, 31 mai 1995, R.G.A.T. 1995.618, note A. D’Hauteville).
4. Pour conclure, on relèvera que le caractère subjectif de la notion d’impropriété à destination, ne fait pas obstacle à ce qu’elle soit appréciée par rapport à l’ouvrage dans son ensemble, la condition de gravité – requise pour l’application de la garantie décennale n’étant avérée que si l’impropriété à destination est effective au regard de l’ouvrage pris dans sa globalité.
C’est d’ailleurs en raison même de cette appréciation de la notion d’impropriété à destination que certains dommages qui ne peuvent, de ce fait, relever de la responsabilité décennale, seront réparés ou indemnisés sur le fondement de la responsabilité contractuelle de droit commun pour faute prouvée, par l’effet de l’important arrêt du 22 mars 1995 sur les dommages dits « intermédiaires », en marge des garanties légales issues de la loi du 4 janvier 1978 (Cass. civ. 3e, 22 mars 1995, Bull. civ. III n° 80 ; J.C.P. 1995, II, n° 22416, note J. Fossereau ; R.G.A.T. 1995.119, note H. Périnet-Marquet).