Revue générale du droit des assurances, 1 juin 2015 n° 6, P. 298
ASSURANCE
Assurance dommages-ouvrage ; Fausse déclaration de risque ; Nullité du contrat ; C. assur., art. L. 242-1 ; Absence de réponse de l’assureur dans le délai légal ; Faculté d’opposer la nullité à l’assuré ; Privation
ASSURANCE
par Jean-Pierre Karila
avocat au barreau de Paris
docteur en droit
professeur à l’ICH
chargé d’enseignement à l’Institut des Assurances de Paris Dauphine
Cass. 3e civ., 5 mai 2015, no 14-13074
Ne donne pas de base légale à sa décision au regard de l’article L. 242-1 du Code des assurances la cour d’appel qui s’abstient de rechercher, comme il le lui avait été demandé, si l’absence de réponse de l’assureur dans le délai de soixante jours suivant la déclaration de sinistre n’avait pu pour effet de priver celui-ci de la faculté d’opposer aux assurés la nullité du contrat.
Sur le second moyen, (sans intérêt)
Mais sur le premier moyen :
Vu l’article L. 242-1 du Code des assurances ;
Attendu que pour prononcer l’annulation du contrat d’assurance dommages-ouvrage et condamner M. et Mme X. à restituer la provision allouée par le juge des référés, l’arrêt retient qu’au jour où a été souscrite la police, les plans et le descriptif des travaux avaient déjà été élaborés par le maître d’ouvrage de sorte que la mention d’un maître d’œuvre chargé d’une mission complète était intentionnellement mensongère et de nature à tromper l’assureur sur l’objet du risque assuré ;
Qu’en statuant ainsi, sans rechercher, comme il le lui était demandé, si l’absence de réponse de l’assureur dans le délai de soixante jours suivant la déclaration de sinistre n’avait pas eu pour effet de priver celui-ci de la faculté d’opposer aux assurés la nullité du contrat, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision de ce chef ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu’il prononce l’annulation du contrat d’assurance dommages-ouvrage conclu entre M. et Mme X. et la société Mutuelle du Mans assurances IARD et ordonne la restitution par M. et Mme X. de la provision (…)
1. L’arrêt rapporté s’inscrit dans le cadre d’une solution classique retenant depuis plusieurs décennies le principe d’ordre public selon lequel l’assureur qui n’a pas pris position sur la mise en jeu des garanties du contrat dans le délai de soixante jours à compter de la réception de la déclaration de sinistre est « déchu » ou encore « privé » du droit de contester, pour quelque motif que ce soit, de forme ou de fond, sa garantie, principe illustré en jurisprudence dans de nombreux cas au nombre desquels figure l’impossibilité pour l’assureur d’opposer à son assuré la nullité du contrat d’assurance (voir sur la question Lamy assurances 2015, chapitre Assurance des dommages à l’ouvrage, par J.-P. Karila, n° 3372 et la jurisprudence citée).
2. On sait que si l’action en nullité du contrat d’assurance est soumise à la prescription biennale de l’article L. 111-4 du Code des assurances en revanche, lorsqu’elle est revendiquée, par voie d’exception, elle n’est pas atteinte par ladite prescription suivant le principe selon lequel l’exception de nullité du contrat est perpétuelle, solution posée par la Cour de cassation également depuis plusieurs décennies (voir Lamy assurances 2015, chapitre Assurance des dommages à l’ouvrage, par J.-P. Karila, n° 3438 et la jurisprudence citée).
3. Dans les circonstances de l’espèce de l’arrêt rapporté, l’assureur avait demandé à la cour de Toulouse de confirmer le jugement rendu par le TGI de la même ville qui avait prononcé l’annulation du contrat d’assurance pour fausse déclaration intentionnelle du souscripteur/maître d’ouvrage quant à l’identité du maître d’œuvre et ordonné en conséquence la restitution des sommes auxquelles il avait été condamné en vertu d’une ordonnance de référé.
La lecture de l’arrêt ne révèle pas si l’assureur avait invoqué la nullité par voie d’exception ou non ; en tous cas il est clair qu’aucun débat n’a été instauré quant à l’application des dispositions de l’article L. 114-1 du Code des assurances sur la prescription biennale.
La lecture des moyens de cassation permet de constater qu’aux termes de la première branche du premier moyen de cassation, les maîtres d’ouvrages reprochaient à la cour de Toulouse un défaut de base légale au regard de l’article L. 242-1 du Code des assurances :
– pour avoir ignoré qu’ils avaient expressément fait valoir dans leurs écritures que l’assureur n’avait pas répondu dans le délai de soixante jours à leur déclaration de sinistre, et n’était dès lors « plus fondé à dénier sa garantie fût-ce en invoquant la nullité du contrat d’assurance », d’une part ;
– pour s’être abstenue de rechercher, comme elle y était pourtant invitée, si l’absence de réponse de l’assureur dans le délai légal de soixante jours à leur déclaration de sinistre, n’avait pas eu pour effet de priver celui-ci de la faculté d’opposer aux assurés la nullité du contrat, d’autre part.
La cassation a été justement prononcée pour ce dernier motif et ne peut qu’être approuvée.
4. La solution retenue par l’arrêt rapporté s’inscrit donc dans la continuité des principes ci-dessus évoqués (supra n° 2).
On précisera à cet égard, pour être exhaustif, qu’elle a été précédée dans le dernier état de la jurisprudence par deux arrêts, le premier publié objet d’un commentaire au rapport annuel de la Cour de cassation (Cass. 3e civ., 28 janv. 2009, n° 07-21818 : Bull. civ. III, n° 23 ; RGDA 2009, p. 501, note J.-P. Karila ; Rapp. C. cass. 2009, p. 383), le second le 22 juin 2011 (Cass. 3e civ., 22 juin 2011, n° 10-15714).
Étant précisé que dans les deux arrêts dont s’agit, s’était justement posée la question du caractère perpétuel de l’exception de nullité :
– très directement dans l’arrêt du 28 janvier 2009, la haute juridiction ayant validé la décision d’une cour d’appel qui avait écarté l’application de la prescription biennale de l’article L. 114-1 à raison justement du caractère perpétuel de la revendication à titre d’exception de la nullité du contrat, et ce alors même que ledit contrat avait reçu un début d’exécution, ce qui constituait pourtant une exception à ce caractère perpétuel suivant une jurisprudence bien affirmée notamment celle issue d’un arrêt du 19 octobre 2006 (Cass. 2e civ., 19 oct. 2006, n° 05-17599 : Bull. civ. III, n° 276),
– indirectement, dans l’arrêt du 22 juin 2011, l’assureur reprochant, aux termes de son moyen de cassation, à une cour d’appel d’avoir déclaré son action en nullité irrecevable par suite de l’acquisition de la prescription biennale de l’article L. 114-1 du Code des assurances, alors que ladite prescription ne pouvait lui être opposée en raison du caractère perpétuel de l’exception de nullité.
Mais l’admissibilité de l’éviction de la prescription biennale de l’article L. 114-1 du Code des assurances lorsque la nullité est opposée à titre de moyen de défense, c’est à dire à titre d’exception, n’entraîne pas pour autant que le juge retiendra, au fond, la prétention à la nullité du contrat d’assurance, prétention que la cour analyse comme une contestation/dénégation de la garantie, ce qui lui est interdit à titre de sanction (voir supra n° 1).
La lecture du rapport annuel de la Cour de cassation commentant l’arrêt précité du 28 janvier 2009, manifeste sa volonté « d’appliquer sans faiblesse à l’assureur défaillant la déchéance du droit d’opposer « toute cause de non-garantie » » (Rapp. C. cass. 2009, p. 383).