Le défaut de communication préalable du rapport préliminaire de l’expert dommages ouvrage ne justifie pas la sanction (CAA Paris 15 décembre 2008) — Karila

Le défaut de communication préalable du rapport préliminaire de l’expert dommages ouvrage ne justifie pas la sanction (CAA Paris 15 décembre 2008)

Ancien ID : 647

Considérant que la Commune de Montereau Fault Yonne a, en 1998, souscrit, lors de la construction d’un immeuble destiné à abriter la Maison des Services publics comportant une bibliothèque, une médiathèque et des salles d’études, un contrat d’assurance « dommages-ouvrage » auprès de la compagnie Axa Assurance IARD, aux droits de laquelle vient la compagnie Axa France ; qu’à la suite de la constatation de divers désordres affectant ce bâtiment, elle a, le 18 septembre 2006, adressé à ladite compagnie une déclaration de sinistre ; qu’à l’issue de l’expertise contractuelle diligentée par l’assureur, ce dernier a refusé de garantir les désordres constatés en adressant à la commune, concomitamment à son refus le rapport d’expertise ; qu’au motif que l’assureur aurait méconnu les dispositions des articles L. 242-1 et A. 243-1 du code des assurances en refusant de prendre en charge les frais de reprise de l’ouvrage, la commune a demandé au juge des référés du Tribunal administratif de Melun de condamner l’assureur au versement d’une indemnité provisionnelle de 250 899 € correspondant aux travaux de reprise du bâtiment en soutenant qu’elle constituait une obligation non sérieusement contestable ; que la commune fait appel de l’ordonnance en date du 10 décembre 2007 par laquelle le juge des référés dudit tribunal a rejeté sa demande ;

Considérant qu’aux termes de l’article R. 541-1 du code de justice administrative : « Le juge des référés peut, même en l’absence d’une demande au fond, accorder une provision au créancier qui l’a saisi lorsque l’existence de l’obligation n’est pas sérieusement contestable… » ;

Considérant qu’ainsi que l’a estimé, à bon droit, le juge des référés du Tribunal administratif de Melun, il n’existe aucun fondement légal, réglementaire ou contractuel qui justifie que la garantie du contrat d’assurances « dommages-ouvrage » soit automatiquement due lorsque l’assureur adresse simultanément le rapport d’expertise contractuelle avec sa prise de position sur la mise en jeu des garanties ; qu’ainsi, la commune requérante ne saurait utilement soutenir que la créance dont elle se prévaut devant le juge administratif présenterait un caractère non sérieusement contestable au sens des dispositions précitées de l’article R. 541-1 du code de justice administrative ;

Considérant qu’il résulte de ce qui précède que la commune de Montereau Fault Yonne n’est pas fondée à soutenir que c’est à tort que, par l’ordonnance attaquée, le juge des référés du Tribunal administratif de Melun a rejeté sa demande ;

Observations

Voilà une analyse appelée de ses voeux par un certain nombre d’auteurs depuis que la troisième chambre civile de la Cour de cassation prenait un arrêt de principe du 18 février 2004 dit Ville de Lyon c/ AGF (1) qui énonçait « qu’il résulte des articles L. 242-1 et A. 243-1 du code des assurances et de l’annexe II à ce dernier article que l’assureur ne peut valablement notifier à son assuré, dans un délai qui lui est imparti, sa décision sur le principe de sa garantie sans avoir préalablement communiqué à son assuré le rapport préliminaire en sa possession, établi par l’expert », en conséquence de quoi la Cour de cassation considérait que l’assureur devait, à titre de sanction, garantir des dommages qui ne relèveraient pas nécessairement des stipulations du contrat d’assurance.

La troisième chambre civile a depuis confirmé à de nombreuses reprises son arrêt de principe (2).

C’est à notre connaissance la première décision de justice contraire à l’arrêt de principe de la Cour de cassation du 18 février 2004, ce qui laisse présager qu’un pourvoi de l’arrêt du 15 décembre 2008 a été formé devant le Conseil d’État, dont il faudra attendre le prononcé pour savoir si la question considérée divise les ordres judiciaire et administratif.

L’auteur ne peut en l’état que se féliciter de la rigueur des termes utilisés par la cour administrative d’appel de Paris et sans doute avant elle le juge des référés du tribunal administratif de Melun, puisqu’elle énonce qu’ « il n’existe aucun fondement légal, réglementaire ou contractuel qui justifie que la garantie du contrat d’assurances « dommages-ouvrage » soit automatiquement due lorsque l’assureur adresse simultanément le rapport d’expertise contractuelle avec sa prise de position sur la mise en jeu des garanties ».

Il est incontestable (sauf cas prévus à l’art. A. 243-1, annexe II – Obligations réciproques des parties – B. Obligations de l’assureur en cas de sinistre) que l’absence de communication à l’assuré du rapport préliminaire constitue une violation des termes des articles A. 243-1 du code des assurances et ce quand bien même l’assureur aurait respecté l’obligation de prendre position sur la mise en jeu de ses garanties avant l’expiration du délai de 60 jours à compter de la réception de la déclaration de sinistre (« il résulte des art. L. 242-1 et A. 243-1 du code des assurances, ensemble l’annexe II à ce dernier article, que l’assureur ne peut valablement notifier à son assuré dans le délai qui lui est imparti sa décision sur le principe de sa garantie sans être en possession du rapport préliminaire établi par l’expert et l’avoir communiqué préalablement à son assuré » (3)), dès lors que la clause type impose à l’assureur de prendre position « sur le vu du rapport préliminaire établi par l’expert et préalablement communiqué à l’assuré ».

Il est cependant plus contestable de considérer que cette violation entraîne la sanction qu’en a tiré la Cour de cassation dès lors que ni la loi ni le règlement ne le prévoient.

On rappellera :

– que la loi (art. L. 242-1 C. assur., al. 3 et 5) énonce que : « L’assureur a un délai maximal de 60 jours à compter de la réception de la déclaration de sinistre pour notifier à l’assuré sa décision quant au principe de la mise en jeu des garanties prévues au contrat […] Lorsque l’assureur ne respecte pas l’un des délais prévus aux deux alinéas ci-dessus ou propose une offre d’indemnité manifestement insuffisante, l’assuré peut, après l’avoir notifié à l’assureur, engager les dépenses nécessaires à la réparation des dommages. L’indemnité versée par l’assureur est alors majorée de plein droit d’un intérêt égal au double du taux de l’intérêt légal. »

– que le règlement – savoir l’Annexe II de l’art. A. 243-1 – B. (Obligations de l’assureur en cas de sinistre – 2° Rapport préliminaire, mise en jeu des garanties, mesures conservatoires) – énonce que : « a) dans un délai maximum de 60 jours courant à compter de la réception de la déclaration du sinistre réputée constituée, l’assureur, sauf s’il a fait application des dispositions du deuxième alinéa du d) du 1°, sur le vu du rapport préliminaire établi par l’expert et préalablement communiqué à l’assuré, notifie à celui-ci sa décision quant au principe de la mise en jeu des garanties du contrat ; […] ; b) l’assureur prend les dispositions nécessaires pour que l’assuré puisse être saisi du rapport préliminaire en temps utile et, en tout cas, dans un délai compatible avec celui qu’il est lui-même tenu d’observer en vertu du paragraphe a) ; c) faute, pour l’assureur, de respecter le délai fixé au paragraphe a), et sur simple notification faite à l’assureur, les garanties du présent contrat jouent pour ce qui concerne le sinistre déclaré, et l’assuré est autorisé à engager les dépenses correspondant à l’exécution des mesures conservatoires nécessaires à la non-aggravation des dommages, dans la limite de l’estimation portée dans le rapport préliminaire de l’expert. Si, dans le même délai, l’assuré n’a pu avoir connaissance du rapport préliminaire, il est autorisé de la même manière à engager les dépenses en cause dans la limite de l’estimation qu’il a pu en faire lui-même. »

On constatera sans mal que la loi limite sa sanction au défaut de respect du délai de 60 jours sans même évoquer l’obligation de communication préalable du rapport préliminaire d’une part et que le règlement, s’il oblige l’assureur à faire précéder sa prise de position à son assuré de la communication préalable du rapport préliminaire, n’assortit cette obligation d’aucune sanction d’autre part, la sanction visée au paragraphe c) n’étant la conséquence que du seul défaut de respect du délai de 60 jours sus évoqué.

La cour administrative d’appel n’a donc fait qu’une juste lecture de la loi, du règlement et du contrat d’assurance souscrit (qui devait en l’occurrence vraisemblablement reprendre les termes des clauses types) en énonçant qu’« il n’existe aucun fondement légal, réglementaire ou contractuel qui justifie que la garantie du contrat d’assurances dommages-ouvrage soit automatiquement due lorsque l’assureur adresse simultanément le rapport d’expertise contractuelle avec sa prise de position sur la mise en jeu des garanties ».

S’il apparaît légitime que l’assuré puisse apprécier pleinement la prise de position de l’assureur dommages-ouvrage en examinant les termes du rapport préliminaire, cette appréciation circonstanciée ne commande pas que le rapport préliminaire soit communiqué à l’assuré préalablement à la prise de position de l’assureur sur la mise en jeu de ses garanties mais impose seulement que l’assuré puisse prendre concomitamment connaissance de la prise de position de l’assureur et des termes du rapport préliminaire ; en sorte que l’exigence du caractère préalable de la communication n’a pour effet que d’éviter que l’assuré ne prenne connaissance de la prise de position de son assureur sans être susceptible de se reporter aux termes du rapport préliminaire, c’est-à-dire d’éviter que la prise de position ne précède la transmission du rapport.

C’est en ce sens qu’il faut selon nous comprendre l’exigence de la « communication préalable » du rapport préliminaire, étant souligné que ni la loi ni le règlement n’imposent à peine de sanction qu’il y ait d’ailleurs communication concomitante du rapport préliminaire et de la décision quant au principe de la mise en jeu de la garantie.

C’est, nous semble-t-il, tout l’esprit et le seul esprit des termes « préalablement communiqué » visés à l’Annexe II de l’article A. 243-1 – B. (Obligations de l’assureur en cas de sinistre – 2° Rapport préliminaire, mise en jeu des garanties, mesures conservatoires) a)) étant observé que si tel n’avait pas été le cas :

– la loi n’aurait pas subordonné l’application des sanctions au seul défaut de respect de l’un des délais de 60 ou 90 jours et à la seule proposition d’une offre d’indemnité manifestement insuffisante mais l’aurait étendu à ce défaut de communication préalable d’une part,

– et le règlement n’aurait pas utilisé au c) de l’Annexe II de l’article A. 243-1 – B. (Obligations de l’assureur en cas de sinistre – 2° Rapport préliminaire, mise en jeu des garanties, mesures conservatoires) l’expression « c) faute, pour l’assureur, de respecter le délai fixé au paragraphe a), » mais bien plutôt « c) faute, pour l’assureur, de respecter les termes du paragraphe a), » d’autre part.

Nous formons le souhait que le Conseil d’État fasse la même analyse que la cour administrative d’appel de Paris.

Mots clés :

ASSURANCE * Assurance dommages-ouvrage * Assureur * Délai de réponse * Sanction

(1) Civ. 3e, 18 févr. 2004, pourvoi n° 02-17.976, Bull. civ. III, n° 29 ; J.-P. Karila, Lamy assurances, Bull. d’actualité H, n° 106, mai 2004, p. 1, in Trib. assur. juin 2004, n° 143, p. I, RLDA 2004, n° 72, n° 4492 ; RGDA 2004. 441, obs. J. Beauchard ; v. également position critique in Laurent Karila et Cyrille Charbonneau, Droit de la construction : Responsabilité et assurances, Litec 2007 ; v. obs. dans le sens contraire, obs. P. Dessuet in RDI 2004. 151 .

(2) Civ. 3e, 4 janv. 2006, pourvoi n° 05-13.727, Bull. civ. III, n° 2 ; RDI 2006. 105, note P. Dessuet  ; RGDA 2006. 124, note M.-L. Pagès de Varenne ; Civ. 3e, 3 janv. 2006, pourvoi n° 04-19.043 : RGDA 2006. 123, note M. Périer ; CA Rennes 21 sept. 2006, Jurisdata n° 2006-317787 ; CA Douai, 6 sept. 2006, jurisdata n° 2006-322881.

(3) Civ. 1re, 3 nov. 1993, pourvoi n° 91-18.128.

  



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