Cass. 3e civ., 14 sept. 2017, no 16-21696, FS-PB
Revue générale du droit des assurances – 01/01/2018 – n° 01 – page 36
Jean-Pierre Karila, avocat à la cour, docteur en droit, professeur à l’ICH, chargé d’enseignement à l’Institut des Assurances de Paris Dauphine
Obligations et délais pesant sur l’assureur – L. 242-1 C. ass. – Portée des sanctions – Caractère limitatif (oui) – Caractère exclusif (oui)
Cass. 3e civ., 14 sept. 2017, no 16-21696, FS-PB, ECLI:FR:CCASS:2017:C300957
C’est d’une façon non-pertinente qu’il est prétendu que s’évincerait de la sanction prévue par l’article L. 242-1 du Code des assurances pour non-respect du délai de 60 jours, l’existence d’une faute engageant la responsabilité de droit commun de l’assureur pour n’avoir pas préfinancé les travaux de réparations nécessaires. Il s’ensuit que dès lors qu’elle a retenu, à bon droit, que la sanction du non-respect du délai de 60 jours prévue par le texte précité était limitative, qu’elle autorisait l’assuré à préfinancer les travaux à ses frais moyennant une majoration de sa créance indemnitaire et qu’elle ne se conjuguait pas avec une cause de responsabilité, une cour d’appel justifie légalement au regard du texte précité sa décision de rejet de la demande, sur le fondement de la responsabilité délictuelle, d’un locataire à l’encontre de l’assureur.
Extrait :
La cour,
Attendu, selon l’arrêt attaqué (Bordeaux, 6 juillet 2016), rendu sur renvoi après cassation (3e Civ., 1er mars 2006, pourvois n° 0413. 190 et 04-13. 763), que, le 14 septembre 1990, une convention de location-vente d’une usine relais a été conclue entre la commune de Castelnau-de-Médoc (la commune) et la société Le Médoc gourmand, exerçant une activité de fabrication de pâtisseries industrielles ; qu’en 1991, la commune a fait édifier le bâtiment à usage industriel, sous la maîtrise d’œuvre de M. X…, architecte, et de la société Bureau d’études Aquitec (la société Aquitec), tous deux assurés par la MAF ; que le lot climatisation a été confié à la société Hervé thermique, assurée par la SMABTP ; qu’une assurance dommages-ouvrage a été souscrite auprès de la société General accident, aux droits de laquelle se trouve la société Aviva insurance limited ; que les travaux ont été réceptionnés avec réserves le 19 septembre 1991 ; que le 20 novembre 1991, la société Le Médoc gourmand, entrée dans les lieux le 21 octobre 1991, a dénoncé à la commune un problème de condensation provoquant des moisissures sur les pâtisseries et des dégradations des revêtements muraux ; que, le 22 septembre 1992, la commune a adressé une déclaration de sinistre à l’assureur dommages-ouvrage ; que, par acte authentique du 27 avril 1993, la commune a consenti à la société Le Médoc gourmand un crédit-bail portant sur l’immeuble, pour une durée de seize années ayant commencé à courir rétroactivement le 1er novembre 1991, assorti d’une promesse unilatérale de vente au prix de 10 francs ; que cet acte comportait un exposé préalable au bail mentionnant en son paragraphe III : « Le bailleur, en étroite concertation avec le preneur, a fait établir par M. X…, architecte, les plans et les devis de cette usine, sur les indications de ce dernier qui les a vérifiés et qui a déclaré qu’ils convenaient parfaitement à ses besoins et a déchargé le bailleur de toute responsabilité à son égard, tenant tant à la conception qu’à la réalisation de l’immeuble » ; que deux compresseurs frigorifiques défaillants ont été remplacés par la société Hervé thermique, mais que les conséquences de cette défaillance, matérialisées par la présence de nappes de condensation importantes, n’ont pas été prises en charge par cette société et son assureur ; que la commune a assigné M. X…, la société Aquitec et la société Hervé thermique en indemnisation de ses préjudices ; que, par jugement irrévocable du 30 septembre 1999, le tribunal administratif de Bordeaux a condamné M. X…, la société Aquitec et la société Hervé thermique à payer à la commune la somme de 942 315, 73 euros ; que, le 6 juillet 2000, la commune et la société Le Médoc gourmand ont conclu une transaction aux termes de laquelle la commune s’est engagée à reverser l’indemnité allouée par le tribunal administratif à la société Le Médoc gourmand, celle-ci faisant son affaire personnelle des travaux de mise aux normes et s’engageant à payer les loyers dus entre le 1er janvier 1994 et le 31 décembre 1999 ; que la société Le Médoc gourmand a assigné en indemnisation l’assureur dommages-ouvrage sur le fondement de sa responsabilité délictuelle et que MM. Y…, Z…et A…, actionnaires et salariés de la société Le Médoc gourmand, sont intervenus volontairement à l’instance pour réclamer la réparation de leur préjudice personnel ; qu’un jugement du 3 août 2016 a placé la société Le Médoc gourmand en liquidation judiciaire ;
Sur le premier moyen : [Sans intérêt] Sur le second moyen :
Attendu que le liquidateur fait grief à l’arrêt de rejeter les demandes formées à l’encontre de la société Aviva, alors, selon le moyen :
1°/ que l’assureur dommages-ouvrage qui n’a pas pris position sur le principe de la mise en jeu de la garantie dans le délai légal de soixante jours à compter de la réception de la déclaration de sinistre perd le droit de contester sa garantie, qui est dès lors acquise à l’assuré ; que la cour de renvoi a relevé que la société CGU avait refusé, par lettre du 26 novembre 1993, de garantir le sinistre déclaré par le maître de l’ouvrage par courrier reçu par l’assureur le 23 septembre 1992 ; qu’il résultait de ces énonciations que la société CGU était déjà déchue de son droit de contester sa garantie au moment où elle a refusé de la faire jouer, ce dont il résultait qu’elle s’était dès lors fautivement abstenue d’exécuter les termes de la police d’assurance en ne finançant pas les travaux de réfection et qu’elle avait ainsi commis une faute dont les tiers pouvaient se prévaloir pour obtenir réparation des dommages qu’elle leur aurait causés ; qu’en retenant pourtant que la sanction de la méconnaissance du délai légal de réponse se limitait à permettre à l’assuré de préfinancer les travaux moyennant une majoration de l’indemnité et qu’il ne pouvait être imputé à faute à l’assureur dommages-ouvrage de ne pas avoir exécuté de sa propre initiative son obligation d’assurance car il incombait à la commune de préfinancer les travaux dès lors qu’elle constatait le défaut de réponse dans le délai légal, voire à la société LMG d’actionner l’assureur en exécution de ses obligations en vertu d’un mandat qui lui aurait été conféré, la cour de renvoi a violé l’article L. 242-1 du code des assurances, dans sa rédaction applicable à l’espèce, ensemble les articles 1134, 1382 et 1383 du code civil, dans leur rédaction applicable à l’espèce ;
2°/ que, pour exclure toute responsabilité délictuelle de la société CGU envers la société LMG, la cour d’appel a retenu que cette dernière, qui disposait d’un mandat général que la commune lui avait conféré dans l’article 4. 5 de la convention de crédit-bail du 27 avril 1993 pour exercer les droits et actions du bailleur à l’encontre de tout tiers au titre des réparations relevant de la garantie de l’article 1792 du code civil, n’avait agi à l’encontre de l’assureur qu’en 2001 ; qu’en statuant ainsi, quand l’article 4. 1 de la convention indiquait clairement et précisément que la commune s’engageait à remédier aux malfaçons déjà constatées au jour du crédit-bail, ce dont il résultait que le mandat donné par l’article 4. 5 ne portait pas sur les désordres déjà déclarés et objets de la présente instance, la cour d’appel a dénaturé la convention du 27 avril 1993, violant ainsi l’article 1134 du code civil, dans sa rédaction applicable à l’espèce ;
3°/ que la victime n’est pas tenue de limiter son préjudice dans l’intérêt du responsable ; que, pour exclure toute responsabilité délictuelle de la société CGU envers la société LMG, la cour d’appel a relevé que cette dernière n’avait pas procédé à la réfection de l’usine au moyen des diverses sommes qu’elle avait perçues à cet effet, ce dont elle a déduit que cette circonstance rompait tout lien causal entre la faute de la société CGU et les préjudices subis par la société LMG ; qu’en statuant ainsi, quand les préjudices subis par la société LMG ne pouvaient lui devenir imputables du fait qu’elle n’avait pas procédé à la réalisation des travaux, la cour de renvoi a violé les articles 1382 et 1383 du code civil, dans leur rédaction applicable à l’espèce, ensemble le principe de réparation intégrale du préjudice ;
4°/ que, pour exclure toute responsabilité délictuelle de la société CGU envers la société LMG, la cour d’appel, après avoir rappelé que la société LMG avait perçu une indemnité transactionnelle de la part de la commune et une indemnité provisionnelle au mois d’octobre 2000 par décision du juge de la mise en état, a relevé que cette dernière n’avait pas procédé à la réfection de l’usine au moyen des diverses sommes qu’elle avait perçues à cet effet, ce dont elle a déduit que cette circonstance rompait tout lien causal entre la faute de la société CGU, à la supposer reconnue, et les préjudices subis par la société LMG ; qu’en statuant ainsi, quand la provision allouée par le juge de la mise en état s’imputait sur le préjudice commercial subi par la société LMG et n’avait nullement vocation à financer les travaux, la cour de renvoi a violé les articles
1382 et 1383 du code civil, dans leur rédaction applicable à l’espèce, ensemble le principe de réparation intégrale du préjudice ;
5°/ que, pour exclure toute responsabilité délictuelle de la société CGU envers la société LMG, la cour d’appel, après avoir rappelé que la société LMG avait perçu une indemnité transactionnelle de la part de la commune et une indemnité provisionnelle au mois d’octobre 2000 par décision du juge de la mise en état, a relevé que cette dernière n’avait pas procédé à la réfection de l’usine au moyen des diverses sommes qu’elle avait perçues à cet effet, ce dont elle a déduit que cette circonstance rompait tout lien causal entre la faute de la société CGU, à la supposer reconnue, et les préjudices subis par la société LMG ; qu’en statuant ainsi, sans rechercher, comme elle y était invitée, si la société LMG n’avait pas été empêchée de réaliser les travaux nécessaires au bon fonctionnement de l’usine en raison des pertes financières occasionnées par les désordres, pertes qui ont absorbé l’indemnité transactionnelle et fait obstacle à son utilisation aux fins de financer les travaux, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1382 et 1383 du code civil en leur rédaction applicable à l’espèce et du principe de la réparation intégrale du préjudice ;
6°/ que, pour exclure toute responsabilité délictuelle de la société CGU envers la société LMG, la cour d’appel, après avoir rappelé que la société LMG avait perçu une indemnité transactionnelle de la part de la commune et une indemnité provisionnelle au mois d’octobre 2000 par décision du juge de la mise en état, a relevé que cette dernière n’avait pas procédé à la réfection de l’usine au moyen des diverses sommes qu’elle avait perçues à cet effet, ce dont elle a déduit que cette circonstance rompait tout lien causal entre la faute de la société CGU, à la supposer reconnue, et les préjudices subis par la société LMG ; qu’en statuant ainsi, sans rechercher, comme elle y était invitée, si les pertes réalisées par la société LMG n’étaient pas supérieures à l’ensemble des indemnités qu’elle avait perçues, y compris celles afférentes au préjudice commercial, de sorte qu’elle s’était trouvée dans l’impossibilité de réaliser les travaux sans que cela lui fût imputable, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1382 et 1383 du code civil en leur rédaction applicable à l’espèce et du principe de la réparation intégrale du préjudice ;
7°/ que, pour exclure toute responsabilité délictuelle de la société CGU envers la société LMG, la cour d’appel, après avoir rappelé que la société LMG avait perçu une indemnité transactionnelle de la part de la commune et une indemnité provisionnelle au mois d’octobre 2000 par décision du juge de la mise en état, a relevé que cette dernière n’avait pas procédé à la réfection de l’usine au moyen des diverses sommes qu’elle avait perçues à cet effet, ce dont elle a déduit que cette circonstance rompait tout lien causal entre la faute de la société CGU, à la supposer reconnue, et les préjudices subis par la société LMG ; qu’en statuant ainsi, par un motif impropre à exclure que le défaut de financement fautif de l’assureur avait causé un préjudice à la société LMG au moins sur la période comprise entre l’apparition du sinistre et la perception des sommes invoquées, la cour d’appel a violé les articles 1382 et 1383 du code civil, dans leur rédaction applicable à l’espèce, ensemble le principe de réparation intégrale du préjudice ;
8°/ que, pour exclure toute responsabilité délictuelle de la société CGU envers la société LMG, la cour d’appel, après avoir rappelé que la société LMG avait perçu une indemnité transactionnelle de la part de la commune et une indemnité provisionnelle au mois d’octobre 2000 par décision du juge de la mise en état, a relevé que cette dernière n’avait pas procédé à la réfection de l’usine au moyen des diverses sommes qu’elle avait perçues à cet effet, ce dont elle a déduit que cette circonstance rompait tout lien causal entre la faute de la société CGU, à la supposer reconnue, et les préjudices subis par la société LMG ; qu’en statuant ainsi, sans rechercher, comme elle y était invitée, si la situation financière de la société LMG lui permettait de maintenir son activité tout en procédant aux travaux, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1382 et 1383 du code civil en leur rédaction applicable à l’espèce et du principe de la réparation intégrale du préjudice ;
Mais attendu qu’ayant retenu, à bon droit, que la sanction du non-respect du délai de soixante jours prévu à l’article L. 242-1 du code des assurances était limitative, qu’elle autorisait l’assuré à préfinancer les travaux à ses frais moyennant une majoration de sa créance indemnitaire et qu’elle ne se conjuguait pas avec une cause de responsabilité, la cour d’appel a, par ces seuls motifs, légalement justifié sa décision de rejeter les demandes formées à l’encontre de l’assureur dommages-ouvrage ; PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Cass. 3e civ., 14 sept. 2017, no 16-21696, FS-PB, ECLI:FR:CCASS:2017:C300957
C’est, sous l’unique bannière du caractère limitatif des sanctions édictées par l’article L. 242-1 du Code des assurances, que laCour de cassation (comme d’ailleurs le juge du fond), jusqu’à l’arrêt rapporté, a tranché des litiges dont l’objet était effectivement rattaché au caractère limitatif des sanctions mais aussi des litiges à l’occasion desquels il n’était pas prétendu à l’application/extension du périmètre d’application des sanctions dont il s’agit mais à la mise en œuvre de la responsabilité de droit commun de l’assureur, à raison de la faute qu’il aurait commise, dans la gestion des délais et obligations qui lui sont imposés par le texte précité, faute qui conduirait à la prise en charge par l’assureur – au-delà des strictes sanctions édictées par l’article L. 242-1 du Code des assurances – de certains dommages ou préjudices.
Dans le cadre de l’appréciation des demandes formulées par l’assuré ou son subrogé, aucune distinction n’était effectivement opérée entre ce qui pouvait relever du strict champ d’application des sanctions limitativement édictées par le texte précité d’une part et ce qui pouvait relever de la mise en œuvre du droit commun de la responsabilité d’autre part, si toutefois l’existence même des sanctions légales n’excluait pas de facto et de jure toute possibilité d’application du régime général de la responsabilité de droit commun au titre du retard ou des manquements de l’assureur relativement aux délais et obligations déjà sanctionnés par le texte même les instituant.
À ces deux types de demandes ou de chefs de demande, la question posée était différente car dans le premier cas le caractère limitatif des sanctions devait être pris en considération tandis que dans le second cas, il s’agissait de statuer par référence au caractère exclusif – terme employé par la doctrine mais jamais semble-t-il par la jurisprudence – desdites sanctions, les adjectifs considérés n’ayant pas la même portée tandis que les règles, ou principes, qui les sous-tendent sont également différents quoi qu’on ait pu dire ou écrire à cet égard, y compris le rédacteur de la présente note.
En la circonstance, l’arrêt rapporté opère implicitement mais nécessairement la distinction ci-avant évoquée dans la mesure où ilvise de façon autonome le caractère limitatif des sanctions édictées par l’article L. 242-1 du Code des assurances d’une part et une cause de responsabilité d’autre part, de sorte que l’on peut dire que par la formulation employée, la Haute juridiction a distingué le caractère limitatif du caractère exclusif des sanctions.
L’affirmation par l’arrêt rapporté de l’impossibilité de toute conjugaison des sanctions et du droit commun est d’autant plusjustifiée que le caractère limitatif des sanctions a pour fondement la nécessité impérative de limiter celles-ci à leur objet et finalité et donc à ne pas les étendre à d’autres situations non prévues par la loi tandis que le caractère exclusif desdites sanctions conduit – en application du principe selon lequel le « spécial » déroge au « général »– à l’éviction/exclusion de toute possibilité du recours au régime général de la responsabilité de droit commun au titre des conséquences directes ou indirectes des manquements de l’assureur objet des sanctions légales.
L’article L. 242-1 du Code des assurances énonce en son troisième alinéa que « l’assureur a un délai maximal de soixante jours,courant à compter de la réception de la déclaration du sinistre, pour notifier à l’assuré sa décision quant au principe de la mise en jeu des garanties prévues au contrat ».
Selon le quatrième alinéa, « lorsqu’il accepte la mise en jeu des garanties prévues au contrat, l’assureur présente, dans un délai maximal de quatre-vingt-dix jours, courant à compter de la réception de la déclaration du sinistre, une offre d’indemnité, revêtant le cas échéant un caractère provisionnel et destinée au paiement des travaux de réparation des dommages. En cas d’acceptation, par l’assuré, de l’offre qui lui a été faite, le règlement de l’indemnité par l’assureur intervient dans un délai de quinze jours ».
Enfin, le cinquième alinéa de l’article énonce que « lorsque l’assureur ne respecte pas l’un des délais prévus aux deux alinéas ci-dessus ou propose une offre d’indemnité manifestement insuffisante, l’assuré peut, après l’avoir notifié à l’assureur, engager les dépenses nécessaires à la réparation des dommages. L’indemnité versée par l’assureur est alors majorée de plein droit d’un intérêt égal au double du taux de l’intérêt légal »
Caractère limitatif des sanctions
Le rappel textuel ci-avant met en relief que les sanctions édictées par l’article L. 242-1 du Code des assurances consistent seulement à conférer à l’assuré la faculté d’engager les dépenses nécessaires à la réparation des dommages, de sorte qu’il est bénéficiaire d’une créance indemnitaire, quant à ce, majorée de plein droit d’un intérêt égal au double du taux de l’intérêt légal.
En ce sens, les sanctions ont un caractère limitatif et ne peuvent donc être étendues/appliquées à d’autres fins que la réparation des dommages matériels ressortissant de l’assurance obligatoire dans le cadre de ce qu’il est convenu de dénommer les « garanties obligatoires » affectant la construction assurée, c’est-à-dire l’indemnisation des dommages matériels.
De sorte que les plafonds et franchises stipulés dans le cadre de la couverture d’assurance facultative des dommages immatériels, tels que notamment ceux consécutifs à des dommages matériels garantis au titre desdites « garanties obligatoires », ne peuvent être affectés/concernés par les sanctions dont il s’agit.
À titre d’illustration on citera les arrêts ci-après :
Cass. 3e civ., 19 janv. 2017, n° 15-26441, RGDA 2017, note Karila L. ; RDI 2017, p.198, obs. Roussel J.) qui casse pour violation de l’article L.242-1 5ème alinéa un arrêt d’une cour d’appel qui « pour appliquer à l’assureur dommages-ouvrage la sanction du doublement du taux d’intérêt au titre du préjudice immatériel … » avait retenu « que l’article L. 242-1 n’opère aucune distinction entre préjudices matériels et préjudices immatériels et que la police d’assurance couvre expressément ce préjudice immatériel ».
La cassation est prononcée au considérant ci-après : « Qu’en statuant ainsi, alors que l’article L. 242-1, alinéa 5, du code des assurances, qui sanctionne le retard ou le défaut, par l’assureur de mise en œuvre de la garantie, est inapplicable aux dommages immatériels qui ne relèvent pas des garanties d’assurance obligatoires ».
Cass. 3e civ., 12 janv. 2005, n° 03-18989, Bull. civ. III n° 3, RDI 2005, p.92, obs. Leguay G. qui casse pour violation de l’article L.242-1 alinéa 5 du Code des assurances, un arrêt d’une cour d’appel qui, pour refuser à l’assureur l’application d’une limitation de garantie et d’une franchise prévues au contrat pour les dommages immatériels assurés, avait retenu que l’assureur n’avait pas respecté les délais imposés par l’article A. 243-1 du Code des assurances et n’avait pas préfinancé les travaux de réparation.
La cassation est prononcée au considérant ci-après :
« Qu’en statuant ainsi, alors que l’article L. 242-1, alinéa 5, du Code des assurances, qui sanctionne le retard ou le défaut, par l’assureur, de mise en œuvre de la garantie, est inapplicable aux dommages immatériels qui ne relèvent pas des garanties d’assurance obligatoires, la cour d’appel a violé le texte susvisé » ;
Cass. 1re civ., 26 avr. 2000, n° 97-22617 qui valide un arrêt d’une cour d’appel, après avoir notamment énoncé – dans une affaire où la garantie des dommages immatériels avait été souscrite– que l’article L.242-1 alinéa 5 du Code des assurances « qui sanctionne le retard ou le défaut de mise en œuvre » de la garantie « est inapplicable à des dommages immatériels dès lors que cette garantie obligatoire ne concerne pas cette sorte de préjudice mais seulement les dommages de la nature de ceux dont sont responsables les constructeurs sur le fondement de l’article 1792 du Code civil ».
On rattachera aussi au caractère limitatif des sanctions l’impossibilité d’étendre lesdites sanctions aux désordres relevant del’assurance facultative garantissant certains dommages avant réception (Cass. 3e civ., 10 nov. 1998, n° 97-10310, Bull. civ. III, n° 210 ; RGDA 1999, p. 371, note Karila J.P.) d’une part et celle, pour l’assuré, d’obtenir la communication du rapport d’expertise complémentaire et définitif établi par l’expert désigné par l’assureur dommages-ouvrage (Cass. 3e civ., 17 nov. 2004, n°02-21336, RGDA 2005, p.159, note Perier M. ; RDI 2005, p.166, obs. Dessuet P.) d’autre part.
Est également rattachable au caractère limitatif des sanctions alors même que l’adjectif « limitatif » n’est pas expressément énoncé, les arrêts qui censurent les juges du fond étendant les sanctions à des désordres affectant des ouvrages distincts de ceux assurés.
C’est ainsi que par arrêt du 30 juin 2016 (Cass. 3e civ., 30 juin 2016, n° 14-25150, publié au Bulletin, RDI 2016, p.486, obs. Roussel J.) précédé dans le même sens d’un arrêt du 18 décembre 2002 (Cass. 3e civ., 18 déc. 2002, n° 99-16551, Bull. civ. III, n° 311 ; RGDA 2003, p.315, note Karila J.P.), la Haute juridiction a censuré pour violation des articles L.242-1 et A.243-1 du Code des assurances, une cour d’appel qui avait jugé que dès lors que la garantie était acquise « à titre de sanction résultant de la loi, elle porte sur la réparation intégrale des désordres déclarés, sans qu’il y ait lieu d’apprécier l’application des clauses contractuelles relatives à l’étendue des garanties et à leurs éventuelles exclusions ».
La cassation est prononcée au considérant ci-après : « Qu’en statuant ainsi, alors qu’en l’absence de notification du rapport préliminaire préalablement à sa prise de position sur la garantie, la sanction de l’assureur dommages-ouvrage, qui l’oblige à garantir les désordres déclarés, est limitée à l’objet assuré par les stipulations contractuelles, la cour d’appel a violé les textes susvisés ». (mis en gras par le rédacteur de la présente note)
Dans le même esprit concernant la couverture d’assurance obligatoire de la responsabilité décennale, la Cour de cassation censure toute extension des solutions légales ou prétoriennes retenues dans ce cadre, aux assurances facultatives comme illustrent les arrêts ci-après :
Cass. 1re civ., 25 fév. 1992, n° 89-12138, Bull. civ. I, n° 63 qui censure une Cour d’appel, pour violation des articles L.241-1 et A.243-1 du Code des assurances ainsi que l’annexe I à ce dernier texte pour – après avoir énoncé qu’il résultait des textes dont s’agit que l’inopposabilité, au bénéficiaire de l’indemnité, de la franchise prévue au contrat ne joue que pour l’assurance obligatoire de la responsabilité du constructeur qui garantit le paiement des travaux de réparation de l’ouvrage à la réalisation duquel l’assuré a contribué – avait néanmoins déclaré inopposable aux maîtres de l’ouvrage la franchise prévue au contrat d’assurance au motif « qu’il s’agissait d’un chantier ouvert postérieurement à l’entrée en vigueur de la loi du 4 janvier 1978 ».
La cassation est prononcée au considérant ci-après : « Qu’en étendant ainsi aux dommages immatériels, qui étaient couverts, non par l’assurance de responsabilité obligatoire pour les travaux de bâtiment, mais par une garantie complémentaire spéciale, l’inopposabilité de la franchise aux tiers victimes stipulée dans les clauses types applicables à ce contrat d’assurance, la cour d’appel a violé, par fausse application, les textes susvisés ».
Cass. 1re civ., 13 mars 1996, n° 93-20177, Bull. civ. I, n° 130 qui rejette un pourvoi à l’encontre d’un arrêt d’une cour d’appel à laquelle il était reproché d’avoir limité la garantie aux seuls dommages matériels et violé ainsi l’article L.241-1 du Code des assurances, et par fausse application, l’article A. 243-1 dudit code.
La validation de l’arrêt de la cour d’appel a été opérée au considérant ci-après :
« Mais attendu, d’abord, que la cour d’appel a exactement retenu qu’il résulte des articles L. 241-1 et A. 243-1 du Code des assurances que l’assurance obligatoire de la responsabilité du constructeur, qui garantit le paiement des travaux de réparation de l’ouvrage à la réalisation duquel l’assuré a contribué, ne s’étend pas, sauf stipulation contraire, aux dommages » immatériels « , c’està-dire consécutifs aux désordres de l’ouvrage ; qu’elle a encore relevé, à bon droit, que les dépenses supplémentaires, faites pour assurer la continuation du chauffage, revêtaient le caractère de dommages immatériels et les a écartées de la garantie de l’assureur ».
Caractère exclusif des sanctions
- On peut rattacher aussi au caractère exclusif des sanctions un certain nombre d’arrêts alors même que ceux-ci visent seulement le caractère limitatif desdites sanctions à savoir :
Cass. 1re civ., 17 juill. 2001, n° 98-21913, Bull. civ. I, n° 232 ; RGDA 2001, p.982, note Karila J.P., qui casse un arrêt d’une cour d’appel qui avait condamné l’assureur dommages-ouvrage à payer à son assuré une somme à titre de dommages-intérêts au motif que l’assuré « devait être indemnisé d’une partie des pertes d’exploitation qu’il avait subies compte-tenu de la carence de la société d’assurance qui aurait dû financer les travaux dans les délais prévus tant par la loi que par la police d’assurance ».
La cassation est prononcée au considérant ci-après :
« Attendu qu’en se déterminant ainsi alors que l’article L. 242-1 du Code des assurances, qui oblige l’assureur dommages-ouvrage à prendre position sur la demande de garantie qui lui est adressée par son assuré dans des délais déterminés, fixe limitativement les sanctions applicables aux manquements de l’assureur à ces obligations, la cour d’appel a violé le texte susvisé ».
Cass. 3e civ., 7 mars 2007, n° 05-20485; RGDA 2007, p.631, note Karila J.P., qui rejette un pourvoi à l’encontre d’un arrêt d’une cour d’appel qui avait débouté l’assuré de sa demande d’indemnisation de son préjudice locatif par suite du départ de ses locataires, préjudice résultant du retard fautif de l’assureur à préfinancer la réparation de dommages matériels d’infiltrations.
Aux termes de son moyen unique de cassation, l’assuré prétendait à la violation de l’article 1147 du Code civil comme de celle de l’article L. 242-1 du Code des assurances au motif que « l’assureur dommages-ouvrage engage sa responsabilité personnelle à l’égard de l’assuré au titre d’une faute commise dans l’exécution même du contrat d’assurance », et qu’il « ne saurait se soustraire à l’indemnisation des préjudices immatériels résultant directement de sa faute au motif que la garantie des dommages immatériels n’a pas été souscrite » d’une part et qu’en déboutant l’assuré de sa demande d’indemnisation des dommages immatériels, « au motif que cette garantie n’avait pas été souscrite, tout en constatant que l’assureur n’avait pas exécuté son obligation de préfinancement des travaux, ce dont il résultait nécessairement que l’assureur devait réparer toutes les conséquences de la faute commise, y compris le préjudice immatériel subi par l’assuré, la Cour d’appel n’a pas tiré les conséquences légales de ces
constatations » d’autre part. (mis en gras par le rédacteur de la présente note)
La Cour de cassation rejette le moyen et valide l’arrêt de la Cour d’appel au considérant ci-après :
« Mais attendu que l’article L. 242-1 du code des assurances fixe limitativement les sanctions applicables aux manquements de l’assureur dommages-ouvrage à ses obligations ; qu’ayant constaté que l’assuré fondait sa demande de dommages-intérêts sur la faute en soutenant que la perte locative qu’il avait subie trouvait sa cause dans le retard apporté par l’assureur à l’exécution de son obligation de préfinancement des travaux, la cour d’appel, abstraction faite d’un motif erroné mais surabondant relatif à l’absence de souscription de la garantie des dommages immatériels, a légalement justifié sa décision ». (mis en gras par le rédacteur de la présente note)
On observera ici qu’en définitive le rejet du pourvoi opéré par l’arrêt du 7 mars 2007 a pour fondement implicite celui expressément affirmé par l’arrêt rapporté à savoir qu’il ne peut être ajouté aux sanctions édictées par l’article L. 242-1 du Code des assurances, par conjugaison, une cause quelconque de responsabilité de l’assureur.
– Cass. 3e civ., 22 mai 2007, n° 06-13821; RGDA 2007, p.631, note Karila J.P., qui censure un arrêt d’une cour d’appel, pour violation de l’article L. 242-1 du Code des assurances, laquelle, pour accueillir les assurés en leurs demandes, au titre du trouble de jouissance, avait retenu que de « nombreux manquements » de l’assureur « aux exigences de l’article L. 242-1 du code des assurances ont retardé la réparation des désordres et contribué à la persistance du préjudice de jouissance ; que ces manquements justifient l’allocation aux époux X… de dommages-intérêts ; que, s’agissant non de l’application des clauses du contrat relatives à l’étendue de la garantie mais de la réparation de son manquement contractuel à son obligation légale, l’assureur ne peut opposer une limitation de garantie ».
La cassation est prononcée au considérant ci-après :
« Qu’en statuant ainsi, alors que l’article L. 242-1 du code des assurances fixe limitativement les sanctions applicables aux manquements de l’assureur à ses obligations, la cour d’appel a violé le texte susvisé ».
Le motif décisoire de cassation se réfère au caractère limitatif des sanctions, mais comme déjà indiqué ci-avant, il nous semble que s’agissant de la cassation d’un arrêt d’une cour d’appel qui avait condamné l’assureur au paiement de dommages et intérêts en raison du fait que les manquements de celui-ci aux exigences de l’article L.242-1 du Code des assurances avaient contribué à la persistance d’un trouble de jouissance, il aurait été plus adapté de faire référence au caractère exclusif des sanctions.
Commentant les deux arrêts précités des 7 mars et 22 mai 2007 (note précitée Karila J.P., RGDA 2007, p.631) nous avions d’ailleurs à l’époque souligné :
« Dans les deux arrêts rapportés dont le premier, arrêt de rejet (1re espèce), est destiné à une large publicité (publication au Bulletin et au rapport annuel) tandis que le second est un arrêt de cassation, la solution est identique : elle consiste dans l’affirmation du principe selon lequel dès lors que l’article L.242-1 du Code des assurances fixe limitativement les sanctions applicables aux manquements de l’assureur, le bénéficiaire de l’assurance ne saurait invoquer une créance indemnitaire supplémentaire à raison par exemple du retard dans le paiement de l’indemnité d’assurance ayant conduit au départ des locataires (1re espèce) ou encore à raison de ce que les nombreux manquements de l’assureur à ses obligations légales « ont retardé la réparation des désordres et contribué à la persistance d’un préjudice de jouissance » (2e espèce) ».
En conclusion et en résumé on peut dire que les sanctions édictées par l’alinéa 5 de l’article L.242-1 du Code des assurances ont un caractère limitatif d’une part et un caractère exclusif d’autre part.
Limitatif en ce sens qu’elles ne peuvent être transposées/appliquées en dehors de leur objet même qui est d’assurer, et d’assurer seulement, le paiement d’une indemnité correspondant au strict coût des dépenses nécessaires à la réparation des dommages matériels affectant l’ouvrage assuré, indemnité majorée d’un intérêt égal au double du taux légal.
Exclusif en ce sens qu’elles excluent toute possibilité de mise en œuvre du droit commun de la responsabilité au titre des manquements ou encore des conséquences des manquements de l’assureur aux délais et obligations à propos desquels le texte précité a édicté lesdites sanction.
Pour être exhaustif on précisera que le droit positif admet la mise en œuvre de la responsabilité contractuelle de droit communde l’assureur au titre de son obligation de régler à l’assuré une indemnité dont le montant doit assurer une réparation efficace et pérenne des dommages ayant affecté la construction assurée.
C’est à partir d’un arrêt du 7 décembre 2005 que la Cour de cassation a posé le principe selon lequel « le maître d’ouvrage est en droit d’obtenir le préfinancement des travaux de nature à mettre fin aux désordres » (Cass. 3e civ., 7 déc. 2005, n° 04-17418, Bull. civ. III, n° 135 ; RGDA 2006, p. 126, note Karila J.P.) suivi d’un arrêt du 24 mai 2006 (Cass. 3e civ., 24 mai 2006, nos 05-11708 et 05-12398, Bull. civ. III, n° 133), d’un arrêt du 20 juin 2007 (Cass. 3e civ., 20 juin 2007, n° 06-15686 ; RGDA 2007, p. 858, note Perier M.) et d’un arrêt du 11 février 2009 (Cass. 3e civ., 11 févr. 2009, n° 07-21761 ; RDI 2009, p. 258, obs. Leguay G. ; RCA 2009, com. 111, note Groutel H. ; Constr.-Urb. 2009, com. 63, note Pagès de Varenne M.L.).
Étant souligné que par arrêt du 29 juin 2017 (Cass. 3e civ., 29 juin 2017, n° 16-19634, publié au Bulletin) la Cour de cassation a cassé un arrêt d’une cour d’appel qui, par adoption des motifs du juge du 1er degré avait jugé que n’était pas rapporté la preuve d’une insuffisance ou d’une inefficacité des travaux financés par l’assureur dommages-ouvrage, la cassation ayant été prononcée pour violation de l’article 1315 devenu 1353 du Code civil au considérant ci-après :
« Qu’en statuant ainsi, alors qu’il incombe à l’assureur dommages-ouvrage, tenu d’une obligation de préfinancer les travaux de nature à remédier efficacement aux désordres, de rapporter la preuve de l’absence de lien de causalité entre son intervention et le dommage, la cour d’appel, qui a inversé la charge de la preuve, a violé le texte susvisé ». (mis en gras par le rédacteur de la présente note)
On observera aussi que l’obligation ci-avant évoquée est illustrée en jurisprudence aussi bien dans des espèces où l’assureur a satisfait aux délais et obligations y étant associés, édictés par l’alinéa 5 de l’article L. 242-1 du Code des assurances que dans les espèces où ledit assureur a été défaillant, quant à ce.
De plus, le fondement juridique des condamnations prononcées varie d’une décision à l’autre en ce sens que s’il est fait état dans certaines décisions du caractère contractuel de l’obligation de l’assureur et visé à cet égard expressément l’article 1147 du Code civil (désormais article 2231-1 dudit code), d’autres décisions visent expressément l’article L. 242-1 du Code des assurances soit comme fondement unique justifiant la condamnation de l’assureur, soit à l’occasion conjointement avec les dispositions de l’article 1147 du Code civil.
La portée de certains des arrêts ci-avant évoqués a au surplus donné lieu à des commentaires ambigus voire contradictoires de la Haute juridiction dans le cadre de ses rapports annuels d’activité.
Le lecteur voudra bien à cet égard se reporter aux développements de l’auteur de la présente note dans le Lamy Assurances dans ses éditions de ces dernières années (pour le Lamy Assurances 2018 voir chapitre « Assurances de dommages à l’ouvrage », n° 3528).