Assurance-construction – Mobilisation de l’assurance de responsabilité décennale en cas de recours entre constructeurs – La Semaine Juridique Edition Générale n° 5, 4 Février 2019, 96, Note sous arrêt par Jean-Pierre Karila
Mobilisation de l’assurance de responsabilité décennale en cas de recours entre constructeurs
Note sous arrêt par Jean-Pierre Karila docteur en droit, avocat à la cour de Paris, professeur à l’ICH, chargé d’enseignement à l’Institut des assurances de Paris (IAP), université de Paris I
Assurance-construction
L’appréciation du caractère pertinent ou non d’un recours en garantie formé par deux constructeurs et leur assureur commun à l’encontre de l’assureur de responsabilité décennale d’un autre constructeur doit l’être à l’aune de la nature des désordres imputables à ce dernier, et non pas à celle qui fonderait juridiquement sa responsabilité.
Cass. 3e civ., 8 nov. 2018, n° 17-13.833, P+B+I : JurisData n° 2018-019620
LA COUR – (…)
- Attendu, selon l’arrêt attaqué (CA Aix-en-Provence, 9 déc. 2016, n° 15/00422), que la société Saint-Rieul a, sous la maîtrise d’œuvre de conception de M. L., architecte, et la maîtrise d’œuvre d’exécution du cabinet TEB, tous deux assurés par la MAF, entrepris la réhabilitation d’une bastide ancienne, et sa transformation en un immeuble collectif ; que la société Méditerranée charpentes, assurée auprès de la SMABTP, a été chargée de la révision générale de la toiture-couverture ; qu’une mission de contrôle technique a été confiée à la société Bureau Veritas ; que l’assureur dommages-ouvrage de l’opération était la SMABTP ; que les parties communes ont fait l’objet d’un procès-verbal de réception avec réserves en date du 3 juin 2004 ; que la société Saint-Rieul a vendu en l’état futur d’achèvement à M. C. un appartement situé au rez-de-chaussée de l’immeuble, lequel a déclaré à la SMABTP, assureur dommages ouvrage, un sinistre relatif à des décollements de tuiles et des chutes de fragments de tuiles et de mortier ; que la SMABTP, assureur dommages-ouvrage, a, après expertise, reconnu devoir sa garantie et émis des propositions de financement, jugées insuffisantes par M. C.. et le syndicat des copropriétaires, qui l’ont assignée en paiement de sommes ; que des appels en garantie ont été formés ;
Sur le premier moyen , (…) :
- Attendu qu’il n’y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n’est manifestement pas de nature à entraîner la cassation ;
Mais sur le second moyen :
Vu les articles L. 124-3 et L. 241-1 du code des assurances ;
- Attendu que, pour rejeter le recours en garantie formé par M. L., la société TEB et la MAF contre la SMABTP, assureur décennal de la société Méditerranée charpentes, l’arrêt retient que l’exécution défectueuse des travaux de révision de la toiture par cette société est constitutive d’une faute engageant sa responsabilité civile quasi-délictuelle, sur le fondement de l’article 1382 du code civil, fondement qui exclut que la garantie de la SMABTP, assureur décennal de la société Méditerranée charpentes, soit retenue ;
- Qu’en statuant ainsi, en prenant en compte, non la nature des désordres, mais le fondement juridique de la responsabilité de l’assuré, alors que l’assureur de responsabilité décennale d’un constructeur doit sa garantie pour les désordres relevant de la garantie décennale, la cour d’appel a violé les textes susvisés ;
Par ces motifs :
- Casse et annule, mais seulement en ce qu’il rejette le recours en garantie formé par M. L., la société TEB et la MAF contre la société SMABTP, assureur décennal de la société Méditerranée charpentes, l’arrêt rendu le 9 décembre 2016, entre les parties, par la cour d’appel d’Aix-en-Provence ; (…) les renvoie devant la cour d’appel d’Aix-en-Provence, autrement composée ; (…)
- Chauvin, prés., M. Pronier, con.-rapp., M. Maunand, cons. doyen, MM. Nivôse, Bureau, Mmes Farrenq-Nési, Greff-Bohnert, MM. Jacques, Bech, cons., Mmes Guillaudier, Georget, Renard, Djikpa, cons.-réf., M. Charpenel, prem. av. gén. ; SCP Boulloche, SCP Fabiani, Luc-Thaler et Pinatel, SCP L. Poulet-Odent, av.
Note
Par arrêt de section destiné à une très large publicité du 8 novembre 2018, la 3e chambre civile de la Cour de cassation, opérant un revirement de jurisprudence , a cassé un arrêt d’une cour d’appel qui, pour rejeter le recours en garantie formé par un maître d’œuvre de conception et un maître d’œuvre d’exécution, tous deux constructeurs au sens de l’article 1792-1 du Code civil, et leur assureur commun, à l’encontre de l’assureur de responsabilité décennale d’un autre constructeur, dont la cour d’appel avait retenu que l’exécution défectueuse des travaux était « constitutive d’une faute engageant sa responsabilité quasi délictuelle sur le fondement de l’article 1382 du Code Civil, fondement qui exclut que la garantie de la SMABTP, assureur décennal de la Société Méditerranée Charpentes, soit retenue », la cassation l’étant en raison de ce qu’en « statuant ainsi, en prenant compte non de la nature des désordres, mais le fondement juridique de la responsabilité de l’assuré, alors que l’assureur de responsabilité doit sa garantie pour des désordres relevant de la garantie décennale, la cour d’appel a violé les textes susvisés » s’agissant des articles L. 124-3 et L. 241-1 du Code des assurances.
1. Action récursoire entre coobligés in solidum en vertu de l’article 1792 du Code civil
A – Fondement juridique et conséquences
Subrogation ? (Non) – Action personnelle ? (Oui). – Par arrêt de principe du 8 juin 2011 (Cass. 3e civ., 8 juin 2011, n° 09-69.894 : JurisData n° 2011-011068 ; Bull. civ. III, n° 93 ; RDI 2011 p. 574, obs. Ph. Malinvaud) réitéré par un arrêt du 28 juin 2014 (Cass. 3e civ., 28 juin 2014, n° 12-26.290), la 3e chambre civile a affirmé que le coobligé in solidum en vertu de l’article 1792 du Code civil n’est pas subrogé , après paiement, dans le bénéfice de l’action en garantie décennale réservée au maître de l’ouvrage et aux propriétaires successifs en vertu du texte précité, de sorte qu’il ne peut agir contre les autres responsables tenus avec lui au même titre que sur le fondement de la responsabilité de droit commun , applicable dans leurs rapports.
L’action récursoire d’un constructeur coobligé in solidum en vertu de l’article 1792 du Code civil à l’encontre d’un autre coobligé in solidum en vertu du même texte, est donc une action personnelle , comme l’énoncent notamment deux arrêts, certes rendus dans d’autres matières, mais dont la formulation très générale conduit à leur transposition en matière immobilière, s’agissant d’un arrêt rendu en matière d’accident de la circulation (Cass. 1re civ., 7 juin 1977, n° 76-10.143 : Bull. civ. I, n° 266), qui casse, pour violation de l’article 1214 du Code civil, un arrêt d’une cour d’appel qui avait rejeté le recours du coauteur de l’accident qui avait payé l’intégralité de l’indemnité due à la victime, en raison de l’absence de toute subrogation dans les droits de celle-ci qui y avait renoncé, la cassation étant prononcée en raison de ce que « le coauteur qui a payé l’intégralité de l’indemnité dispose aussi d’une action personnelle contre son coauteur, qui peut subsister malgré la renonciation de la victime » et d’un arrêt rendu en matière de troubles anormaux de voisinage (Cass. 1re civ., 12 nov. 1987, n° 85-17.383 : JurisData n° 1987-001990 ; Bull. civ. I, n° 290), tandis qu’un arrêt de 2014 rendu en matière immobilière, reproduit très exactement la même formule (Cass. 3e civ., 11 mars 2014, n° 12-35.334 et 13-10.992 : JurisData n° 2014-036949), étant observé que l’affirmation du caractère personnel d’une action n’induit pas, pour autant, le fondement, ou encore la nature de celle-ci sur lesquels nous nous interrogerons ci-après.
Conséquence de l’absence de subrogation : inapplicabilité de l’article L. 124-3 du Code des assurances . – Dans ce contexte, il est clair qu’en l’absence de toute subrogation, le constructeur coobligé in solidum, en vertu de l’article 1792 du Code civil, ne dispose pas de l’action directe prévue à l’article L. 124-3 du Code des assurances, réservée à la victime ou au tiers subrogé dans les droits de celle-ci.
En ce sens, l’adossement de l’arrêt rapporté à l’article L. 124-3 du Code des assurances est particulièrement étonnant et ne semble pas – à première vue – pertinent en droit, étant rappelé que l’action des coobligés in solidum en vertu de l’article 1792 du Code civil (architectes) et de leur assureur commun à l’encontre de l’assureur de responsabilité décennale d’un autre coobligé in solidum en vertu du même texte, était non pas une action directe mais une action en garantie radicalement distincte de l’action directe, comme le rappelle systématiquement la jurisprudence depuis plusieurs décennies, l’arrêt fondateur à cet égard ayant été rendu le 21 janvier 1997 (Cass. 1re civ., 21 janv. 1997, n° 94-19.689 : JurisData n° 1997-000190 ; Bull. civ. I, n° 24 ; RGDA 1997 p. 37, note L. Mayaux) qui énonce qu’une partie assignée en justice est en droit d’en appeler une autre en garantie des condamnations qui pourraient être prononcées contre elle ; qu’une telle demande en garantie est distincte de l’action directe ; étant souligné qu’il faut se garder de confondre l’action en garantie, ou encore « l’appel en garantie », notion strictement procédurale régie par l’article 334 du Code de procédure civile, dont l’objet et la finalité sont ceux ci-avant rappelés, avec la demande de mobilisation de la garantie d’un assureur de responsabilité.
B – Régime juridique de l’action personnelle
Action en responsabilité ? – Un arrêt du 8 février 2012 (Cass. 3e civ., 8 févr. 2012, n° 11-11.417 : JurisData n° 2012-001753 ; Bull. civ. III n° 23 ; RDI 2012, p. 229, obs. Ph. Malinvaud) qui constitue une application particulière de la deuxième branche de l’arrêt de principe précité du 28 juin 2011 (renvoi à la responsabilité de droit commun), énonce de façon claire et didactique « …le recours d’un constructeur contre un autre constructeur ou son assureur n’est pas fondé sur la garantie décennale, mais est de nature contractuelle si ces constructeurs sont contractuellement liés et de nature quasi-délictuelle s’ils ne le sont pas, de sorte que le point de départ du délai de cette action n’est pas la date de réception des ouvrages… » étant précisé que la jurisprudence dominante tranche le litige entre les coobligés in solidum :
– non pas à l’aune de leurs fautes à l’égard du maître de l’ouvrage, mais de leurs fautes dans leurs propres rapports , et ce, qu’il s’agisse de la mise en œuvre de l’action en responsabilité quasi délictuelle (Cass. 3e civ., 25 nov. 1998, n° 97-11.408 : JurisData n° 1998-004494 ; Bull. civ. III, n° 221. – Cass. 3e civ., 3 juill. 1968 : JCP G 1969, II, 15860, note B. Soine. – Cass. 1re civ., 14 oct. 1958 : Bull. civ. I, n° 428. – Cass. 3e civ., 27 sept. 1984, n° 82-16.726 : Bull. civ. III, n° 153) ou contractuelle (Cass. 3e civ., 8 juin 2011, n° 09-69.894 et 8 févr. 2012, n° 11-11.417, préc.), ou encore celle relative aux troubles anormaux de voisinage, autre domaine d’élection des actions récursoires des constructeurs les uns à l’égard des autres (Cass. 3e civ., 26 avr. 2006, n° 05-10.100 : JurisData n° 2006-033201 ; Bull. civ. III, n° 100 ; D. 2006, p. 2504, note J.-P. Karila ; RGDA 2006, p. 696, note J.-P. Karila ; RTDC 2006, p. 573, note P. Jourdain) ;
– et/ou en considération de l’existence ou non d’un lien de causalité entre lesdites fautes (Cass. 3e civ., 8 mai 1978, n° 76-14.644 : Bull. civ. III, n° 189).
Ce régime dérogatoire au droit commun, en ce que notamment il fait du solvens une victime alors que le coobligé in solidum est tenu à la totalité de la dette de réparation, de sorte que l’on voit mal en quoi le paiement intégral de celle-ci peut constituer, pour lui, un préjudice, a donné lieu aux critiques de la doctrine civiliste la plus autorisée (P. Jourdain, Le particularisme des recours de la responsabilité des constructeurs : RTD civ. 1990, p. 498. – P. Jourdain, Recours entre constructeurs : fondement des recours et point de départ de l’action, note ss Cass. 3e civ., 8 févr. 2012, n° 11-11.417 [JurisData n° 2012-001753] : RTD civ. 2012 p. 326. – Pour un réexamen du droit des recours en contribution : Resp. civ. et assur. 2009, dossier 3), critiques qui ont porté également sur certaines conséquences dudit régime dérogatoire, conséquences qui pourraient être considérées comme contraires à la stricte orthodoxie juridique.
L’arrêt rapporté, qui ne satisfait pas pour autant aux critiques dont s’agit, en ce qu’il évince du débat relatif aux conditions de la mobilisation de l’assurance de responsabilité, la question du fondement juridique de la responsabilité de l’assuré, induite par les circonstances de sa mise en cause, constitue un revirement de jurisprudence. En effet, il était jugé jusqu’ici que dès lors que le recours d’un architecte à l’encontre de plusieurs entrepreneurs était exercé sur le fondement quasi délictuel, et que les polices d’assurance de ceux-ci ne garantissaient que la responsabilité décennale, l’architecte était infondé à solliciter la mobilisation des garanties stipulées dans les polices considérées (Cass. 1re civ., 17 mai 1995, n° 93-15.743, inédit) ; justifie également sa décision, l’arrêt qui relève que le recours d’un architecte à l’encontre de l’assureur d’un ingénieur conseil d’une part et d’un entrepreneur d’autre part, avait été exercé « sur le seul fondement quasi délictuel, et partant, sans se prévaloir d’une subrogation dans les droits… », et rejette en conséquence l’action récursoire de l’architecte à l’encontre des assureurs (Cass. 3e civ., 12 déc. 2001, n° 98-22.950 : JurisData n° 2001-012103 ; Bull. civ. III, n° 148) ; de même, l’entrepreneur dont la responsabilité a été retenue sur le fondement de la responsabilité contractuelle de droit commun, ne peut en conséquence prétendre être garanti par son assureur de responsabilité décennale (Cass. 3e civ., 17 févr. 2015, n° 13-14.731, inédit) ; certes, les arrêts rendus par la Cour de cassation en la matière sont peu nombreux, mais cette rareté s’explique par le fait que la question ne faisait pas alors débat, les juges du fond, comme nous pouvons l’affirmer, en tant que praticien, adoptant dans de multiples décisions des solutions conformes à celle de l’arrêt de la cour d’appel d’Aix-en-Provence cassé par l’arrêt rapporté.
Le fondement du revirement de jurisprudence opéré est-il pour autant pertinent en droit en ce qu’il retient comme critère de la mobilisation de l’assurance de responsabilité décennale obligatoire, la nature des désordres et non celle induite de la mise en cause de l’assuré par un autre coobligé in solidum ?
On peut en douter car la réparation/indemnisation des désordres spécifiques relevant de la responsabilité décennale, c’est-à-dire seulement ceux qui compromettent la solidité de l’ouvrage ou l’un de ses éléments d’équipement indissociables ou qui le rendent impropre à sa destination, n’est pas réservée au seul domaine d’application de ladite responsabilité décennale et peut relever de l’application de droit commun, si ces désordres sont survenus avant la réception de l’ouvrage, ou si ladite réception de l’ouvrage considéré n’a pas été prononcée, ou encore en raison du fait que les désordres ne peuvent donner lieu à l’application de l’article 1792 du Code civil car imputables à un constructeur qui n’y est pas légalement tenu, comme le sous-traitant.
Action en contribution indépendante de la responsabilité des coobligés ? – L’action en contribution entre coobligés in solidum est régie par les articles 1213 et 1214 du Code civil (fusionnés depuis la date d’effet de l’ordonnance du 1er février 2016 dans le nouvel article 1317 du Code civil), relatifs aux obligations solidaires, que la jurisprudence a décidé depuis plusieurs décennies, en particulier depuis les années 1960, d’appliquer auxdites obligations in solidum, la notion étant érigée au rang de principe, la plupart des arrêts visant l’un des textes précités et « ensemble les principes régissant les obligations in solidum » (V. par. ex. Cass. 1re civ., 20 nov. 2005, n° 02-13.550 : JurisData n° 2005-031020 ; Bull. civ. I, n° 451. – Cass. com., 11 déc. 2012, n° 11-25.493 : JurisData n° 2012-029383 ; Bull. civ. IV, n° 228).
L’application de ces textes renvoyant à la part ou portion de chacun des coobligés in solidum, sans référence à une notion de faute ou de responsabilité, conduit normalement à une appréciation des fautes des coobligés, non sous l’angle de leurs propres rapports, mais à l’égard du maître d’ouvrage, créancier de l’obligation in solidum.
Étendue du recours et équité. – L’étendue du recours dépend de la qualification de l’action récursoire. Si celle-ci est nécessairement une action en responsabilité, dès lors que l’appréciation des fautes respectives des coobligés est opérée dans leurs propres rapports, alors le recours peut être intégral, comme l’illustre la jurisprudence, que les fautes considérées soient ou non reliées causalement à la réalisation du dommage subi.
Si l’action récursoire est, en revanche, fondée sur les articles 1213 et 1214 du Code civil, elle ne peut, a priori, pas être qualifiée d’action en responsabilité. Néanmoins, on constate, à l’occasion, que contrairement à l’objet et à la finalité des articles précités, le juge apprécie la part ou portion de chacun des coobligés dans la réalisation du dommage unique, en fonction des fautes respectives des coobligés in solidum les uns à l’égard des autres (Cass. 3e civ., 14 sept. 2005, n° 04-10.241 : JurisData n° 2005-029697 ; Bull. civ. III, n°164 ; RGDA 2005, p. 973, note M. Périer ; RDI 2005, p. 460, obs. Ph. Malinvaud), ce qui n’est pas conforme au principe de l’obligation in solidum d’une part, et peut être, dans certains cas, contraire à l’équité, d’autre part.
Or, seule l’équité devrait déterminer la part ou portion de chacun des coobligés, abstraction faite de toute notion de responsabilité, sauf et accessoirement, celle du rapport fondamental préexistant à l’action récursoire s’agissant de la responsabilité de chacun des coauteurs du dommage unique à l’égard du maître d’ouvrage, créancier de l’obligation in solidum. On rappellera ici que l’équité anime le principe de la subrogation (J. Huet, L’obligation in solidum et le jeu de la solidarité dans la responsabilité des constructeurs : RDI 1983, p. 11. – C. Charbonneau, La contribution à la dette dans les obligations nées de l’édification d’un ouvrage immobilier : Constr.-Urb. 2007, études 24 et 25). C’est encore l’équité qui anime l’institution d’une action personnelle destinée à pallier les effets néfastes de l’absence de subrogation par suite du renoncement du subrogeant ou de la prescription attachée à l’action de ce dernier.
Si l’étendue du recours est déterminée en fonction de la lettre et de l’esprit des articles 1213 et 1214 du Code civil, c’est-à-dire en fonction du rapport d’obligation entre les constructeurs et le maître d’ouvrage, alors un recours en contribution à la totalité de la dette commune peut ne pas être contraire à l’équité.
2. Portée et conséquences de l’arrêt du 8 novembre 2018
La cour de renvoi est investie d’un rôle particulièrement important dans la mesure où si la cassation prononcée l’invite nécessairement à prendre en compte, au titre des conditions de la mobilisation de la garantie de l’assureur de responsabilité décennale, la nature des désordres et non celle, juridique, du fondement de la responsabilité de l’assuré, elle laisse entières un certain nombre d’autres questions, notamment celle du régime du recours en contribution des coobligés les uns à l’égard des autres, comme l’étendue de celui-ci.
A – Justification factuelle et juridique de l’arrêt du 8 novembre 2018
Nonobstant les critiques déjà formulées, la solution innovante de l’arrêt rapporté est, dans une certaine mesure, en parfaite harmonie avec le droit, dès lors que l’action récursoire n’a pu naître qu’ensuite d’une action principale, elle-même fondée sur la garantie décennale dont l’objet est bien de garantir la réparation/indemnisation de désordres spécifiques, c’est-à-dire seulement ceux qui compromettent la solidité de l’ouvrage ou d’un de ses éléments d’équipement indissociables, ou qui le rendent impropre à sa destination, de sorte que le juge doit prendre en compte le fondement de l’action principale et non celui de l’action récursoire.
La mobilisation de l’assurance obligatoire de la responsabilité décennale, abstraction faite du fondement juridique de la responsabilité, ne peut en conséquence qu’être approuvée car elle rétablit l’équilibre entre les divers coobligés in solidum et leurs garanties d’assurances respectives, de sorte que l’arrêt rapporté a pour conséquence de répondre aussi aux impératifs de la morale et de l’équité.
B – Cour de renvoi : prospectives
La cassation prononcée remet les parties et la cause en l’état où elles étaient avant la décision de la cour d’appel concernant les conditions de la mobilisation de la garantie de l’assureur de responsabilité décennale d’un constructeur jugé responsable à ce titre.
On précisera à cet égard que le tribunal de grande instance de Toulon avait jugé que les architectes de conception et d’exécution comme l’Entreprise Méditerranée Charpente ont concouru à parts égales à la survenance des désordres et qu’en conséquence, l’indemnisation serait supportée par tiers par chacun des constructeurs. Ce faisant, le juge de 1re instance n’a fait qu’appliquer, même s’il ne l’a pas indiqué dans son jugement, les principes édictés par les articles 1213 et 1214 du Code civil régissant tant les obligations solidaires que les obligations in solidum.
Il faut espérer que le débat devant la cour de renvoi sera concentré sur les règles édictées par les textes précités renvoyant au rapport fondamental de la responsabilité des coobligés in solidum à l’égard de l’acquéreur, ayant droit du maître d’ouvrage, et qu’il sera évacué tout raisonnement en termes de responsabilité des uns à l’égard des autres, pour s’en tenir à l’équité pour déterminer la contribution à la dette commune de chacun des coobligés in solidum.
Deux arrêts rendus dans d’autres matières mettent en relief que les actions récursoires entre coobligés in solidum doivent être tranchées par référence aux fautes des coobligés in solidum à l’égard de la victime, l’un du 29 novembre 2005 (Cass. 1re civ., 29 nov. 2005, n° 02-13.550 : JurisData n° 2005-031020 ; Bull. civ. I, n° 451) rendu au visa de l’article 1213 du Code civil, à l’occasion des responsabilités encourues par des notaires d’une part et des avocats d’autre part, jugeant que la condamnation in solidum des coresponsables de la portion du préjudice que la faute des uns avait causé et que la faute des autres avait empêché d’éviter, emporte l’obligation pour les juges du fond de déterminer, dans leurs rapports entre eux, la contribution de chacun des coauteurs dans la réparation du dommage ( unique) ; le second du 11 décembre 2012 (Cass. com., 11 déc. 2012, n° 11-25.493 : JurisData n° 2012-029383 ; Bull. civ. IV, n° 228) qui casse pour violation de l’article 1213 du Code civil « ensemble les principes régissant l’obligation in solidum » un arrêt d’une cour d’appel qui, pour rejeter l’action en garantie du fabricant à l’encontre de l’installateur du produit fabriqué (dont la Cour avait relevé qu’il avait manqué à ses obligations contractuelles de conseil, de diligences et de « fonctionnement » à l’égard de la victime), avait retenu que le fabricant devait sa garantie à l’égard dudit installateur, la cassation ayant été prononcée à raison du fait que, saisie de recours en garantie réciproques, la cour d’appel était tenue de statuer sur la contribution de chacun des coobligés condamnés in solidum dans la réparation du dommage .
La stricte application de la lettre et de l’esprit des articles 1213 et 1214 du Code civil implique la prise en considération des fautes des uns et des autres seulement à l’égard du maître de l’ouvrage ou de l’acquéreur, la question de savoir s’il faut ou non, à cette occasion, prendre en compte l’existence de la causalité concernant la part ou portion de chacun restant entière. Cette prise en compte pouvant correspondre à l’équité mais pouvant être considérée, à juste titre, comme contraire au principe de l’obligation in solidum, puisqu’elle libèrerait un coauteur fautif qui aurait contribué à la réalisation de l’entier dommage au prétexte qu’une autre faute, plus prépondérante, aurait absorbé la sienne.
Enfin, on soulignera que l’application des textes précités présente l’avantage de rendre insusceptible l’application de l’article 1792-4-3 du Code civil qui édicte, pour les actions en responsabilité, une prescription dont le point de départ est la réception et en conséquence à rendre applicable le régime de la prescription de droit commun de l’article 2224 du Code civil avec son point de départ « glissant ».
On précisera à cet égard que c’est pour écarter la courte (de l’époque) prescription de la garantie décennale au profit de la prescription de droit commun (trentenaire à l’époque aussi bien en matière quasi délictuelle que contractuelle) que la jurisprudence a d’abord, dans le cadre de l’action récursoire d’un maître d’ouvrage, lui-même recherché par un tiers victime sur le fondement de l’article 1386 du Code civil(Cass. req., 28 juin 1938 : Gaz. Pal. 1938, jurispr. p. 613) ou sur le fondement des troubles anormaux de voisinage (Cass. 3e civ., 15 févr. 1972 : JCP G 1972, II, 17213. – Cass. 3e civ., 8 mai 1960, n° 67-14.226 : D. 1969, jurispr. p. 666) pour ensuite l’affirmer dans le cadre des actions récursoires des constructeurs les uns à l’égard des autres (V. par ex. Cass. 3e civ., 11 oct. 1989, n° 88-14.324 : JurisData n° 1989-703193 ; Bull. civ. III, n° 190).
Mots clés : Assurance construction. – Recours en garantie. – Désordres de nature décennale. – Fondement de la responsabilité
Textes : C assur., art. L. 124-3 et L. 241-1
Encyclopédies : Responsabilité civile et assurances, Fasc. 353-12, ou Construction – Urbanisme, Fasc. 201-42 par Sabine Bertolaso ; Construction – Urbanisme, Fasc. 71-8 par Olivier Caron et Alexandre Labetoule