Revue générale du droit des assurances, 01 février 2014 n° 2, P. 104
ASSURANCE
Prescription : distinction entre action en garantie et action en responsabilité contre l’assureur
Action en responsabilité contre l’assureur ; Contrat « multirisques domicile » ; Succession de déclarations de sinistres ; Action en responsabilité à l’encontre de l’assureur ; Action dérivant du contrat d’assurance ; Point de départ, connaissance par l’assuré des manquements de l’assureur
ASSURANCE
par Jean-Pierre Karila
avocat à la cour, barreau de Paris
docteur en droit
professeur à l’ICH
chargé d’enseignement à l’Institut des Assurances de Paris
et Laurent Karila
avocat à la cour, barreau de Paris
chargé d’enseignement à l’école de droit de la Sorbonne (Paris 1)
Cass. 3e civ., 21 nov. 2013, n° 12-26489
Prive sa décision de base légale au regard de l’article L. 114-1 du Code des assurances la cour d’appel qui confond l’action en garantie de l’assuré au titre d’un sinistre et compute le délai de la prescription biennale édicté par ce texte à compter de la déclaration de sinistre ou de celle de la désignation de l’expert par l’assureur, alors que l’assuré invoquait l’existence de manquements contractuels de l’assureur dans la gestion d’un sinistre précédent de sorte que le délai de la prescription biennale devait être computé à partir du moment où il avait eu connaissance desdits manquements.
M. X c/ GENERALI IARD
La Cour,
Sur le moyen unique, pris en sa troisième branche :
Vu l’article L. 114-1 du Code des assurances ;
Attendu, selon l’arrêt attaqué et les productions, que M. X a souscrit en 1979 auprès de la Société Generali IARD (l’assureur) un contrat d’assurance « multirisques domicile » ; qu’en 1982, il a fait construire une extension sur la partie ouest de son habitation ; qu’en 1996, l’immeuble a été endommagé à la suite d’une sécheresse reconnue catastrophe naturelle ; qu’en exécution de sa garantie, l’assureur a financé en 1999 divers travaux de réfection ; qu’à la suite d’une nouvelle période de sécheresse, survenue en 2003 et reconnue catastrophe naturelle, M. X a procédé le 21 décembre 2005 à une déclaration de sinistre ; que le 4 avril 2008 l’assureur a refusé sa garantie au motif que cette nouvelle sécheresse n’était pas la cause déterminante des désordres ; qu’un expert mandaté par ses soins ayant imputé ceux-ci à l’insuffisance des travaux réalisés en 1999, M. X en a demandé réparation à l’assureur, qui lui a opposé la prescription biennale ; qu’après une expertise judiciaire ordonnée le 5 janvier 2010, M. X a assigné l’assureur, le 21 septembre 2010, en responsabilité contractuelle et indemnisation ;
Attendu que, pour constater la prescription de l’action, l’arrêt énonce que M. X a fait une déclaration de sinistre en décembre 2005 ; que c’est à cette date qu’il a eu connaissance du sinistre ; que le 17 janvier 2006, l’assureur a désigné un expert ; que cette désignation conformément à l’article L. 114-2 du Code des assurances a interrompu la prescription ; qu’à compter de cette date, il n’y a eu aucun acte interruptif de prescription ;
Qu’en se déterminant ainsi, alors que M. X ne sollicitait pas l’indemnisation du sinistre déclaré en 2005 en exécution du contrat d’assurance, mais invoquait l’existence de manquements contractuels imputables à l’assureur dont il n’aurait eu connaissance qu’en 2008 à l’occasion du rapport de l’expert amiable, la cour d’appel a privé sa décision de base légale ;
PAR CES MOTIFS, […>
CASSE ET ANNULE, […]
1.L’arrêt rapporté a l’avantage de mettre en relief l’autonomie de l’action en garantie de l’assuré au titre de l’indemnisation d’un sinistre, de celle en responsabilité contractuelle à l’encontre de l’assureur, actions toutes deux soumises à la prescription biennale édicté par l’article L. 114-1 du Code des assurances, sauf à préciser que pour la première (action en garantie), le point de départ du délai de la prescription biennale est la connaissance du sinistre (et non pas la déclaration qui suit en général de quelques jours, voire de quelques semaines ou plusieurs mois ladite connaissance), tandis que pour la seconde (action en responsabilité), le point de départ du délai se situe à la date à laquelle l’assuré a eu connaissance des manquements de l’assureur.
2. C’est par un arrêt publié au Bulletin du 6 décembre 1989 (Cass. 1re civ., 6 déc. 1989, n° 86-12645 : Bull. civ. I n° 375), que la distinction ci-dessus évoquée a été faite, pour la première fois à notre connaissance, par la haute juridiction judiciaire à l’occasion de la sanction de la non-exécution ou de la mauvaise exécution d’un mandat résultant de la clause de direction du procès contenue dans la police, alors même que ledit arrêt ne comportait aucun « chapeau » ou affirmation d’un principe quelconque.
Étant observé que l’arrêt dont s’agit énonce que :
« le point de départ de la prescription de l’action en responsabilité exercée contre l’assureur [….> se situe à la date où l’assuré a eu connaissance des manquements de l’assureur à ses obligations et du préjudice en résultant pour lui ».
3. La solution a été réitérée toujours à propos de la non-exécution ou de la mauvaise exécution du mandat résultant de la clause de direction du procès contenue dans la police, et ce en 1991 (Cass. 1re civ., 13 nov. 1991, n° 89-14431 : Bull. civ. I n° 307), avec la même formulation et la même référence à la date de la connaissance du manquement de l’assureur par l’assuré et (implicite) à la date du préjudice en résultant pour ce dernier.
4. La solution était encore réitérée dans une arrêt remarqué toujours de la première chambre civile (Cass. 1re civ., 6 déc. 1994, n° 91-19072 : Bull. civ. I n° 358 ; RGDA 1995, p. 57, note J. Kullmann), dans une espèce où le manquement contractuel de l’assureur consistait dans la négligence de celui-ci qui avait laissé se prolonger des opérations d’expertise inutiles sans aviser l’assuré de l’imminence de la prescription biennale.
5. La distinction ci-dessus évoquée peut-être masquée, lorsque – et c’est de facto le cas dans la plupart des espèces – l’action en responsabilité contractuelle à l’encontre de l’assureur est formulée dans le cadre d’une demande subsidiaire succédant à une demande principale portant sur l’action en garantie au titre d’un sinistre.
C’est ce que met en évidence Anne Pélissier dans son commentaire d’un arrêt du 28 mars 2013 (Cass. 2e civ., 28 mars 2013, n° 12-16011 : Bull. civ. II, n° 64 ; RGDA 2013, p. 598, note A. Pélissier), à propos duquel elle souligne, à juste titre, la maladresse de rédaction de l’arrêt dont s’agit qui visait dans un même attendu relatif tant à l’action en garantie que celle relative aux manquements contractuels de l’assureur, le délai de la prescription biennale lequel était computé pour les deux actions à compter de la même date (date de la connaissance par l’assuré des manquements de l’assureur et du préjudice en résultant pour lui).
6. L’arrêt rapporté présente en revanche l’avantage de bien distinguer l’action en garantie au titre d’un sinistre de l’action en responsabilité contractuelle à l’encontre d’un assureur au titre de manquements contractuels de celui-ci.
Dans les circonstances de l’espèce, après financement en 1999 de travaux de réfection à la suite d’une sécheresse reconnue « catastrophe naturelle », de nouveaux désordres étaient apparus en 2003 et avaient donné lieu à une déclaration de sinistre du 21 décembre 2005 et la désignation par l’assureur de l’expert le 17 janvier 2006, tandis que l’assureur refusait sa garantie le 4 avril 2008 tout en s’abstenant de communiquer à l’assuré le rapport d’expertise amiable.
Or, ce n’est que fin 2008 que l’assureur, après plusieurs demandes de l’assuré, communiquait ce rapport dont il résultait que les désordres de 2003 étaient dus à l’insuffisance des travaux réalisés en 1999 à due concurrence de l’indemnité réglée à cette époque par l’assureur.
Ainsi, s’il était clair que l’action en garantie au titre du sinistre de 2003 déclaré en 2005, était prescrite (plus de deux ans après le 17 janvier 2006, date de la désignation par l’assureur de l’expert), en revanche, l’action en responsabilité à l’encontre de l’assureur au titre des manquements contractuels de celui-ci, ne l’était pas puisque l’assuré n’en avait eu connaissance que fin 2008.
7. Pour être complet, on relèvera que l’arrêt rapporté se contente de retenir que l’assuré avait invoqué l’existence de manquements contractuels imputables de l’assureur dont il n’avait eu connaissance qu’en 2008 à l’occasion de la lecture du rapport de l’expert amiable ; l’arrêt rapporté ne se réfère pas en effet, comme les précédents ci-avant évoqués, à la date de la réalisation du préjudice résultant desdits manquements de l’assureur.
Mais cela est, en définitive, indifférent. En effet, la formulation de l’arrêt rapporté ne procède pas d’une affirmation de principe, tandis que dès lors que la cour avait relevé que l’action en responsabilité au titre des manquements contractuels n’était pas prescrite, cela était suffisant