Revue générale du droit des assurances, 03 février 2015 n° 2, P. 105 –
ASSURANCE
Assurance dommages-ouvrage ; Sinistre ; Déclaration ; Propriété transférée aux acquéreurs ; Promoteur souscripteur ; Perte de la qualité pour déclarer ; Demande de garantie ; Irrecevabilité
ASSURANCE
par Jean-Pierre Karila
avocat à la cour, barreau de Paris
docteur en droit
professeur à l’ICH
chargé d’enseignement à l’Institut des Assurances de Paris – Dauphine
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Cass. 3e civ., 17 déc. 2014, no 13-22494, FS–PB
Attendu, selon l’arrêt attaqué (Versailles, 11 mars 2013), que la société Park avenue a fait édifier un immeuble par diverses entreprises dont la société MGP pour le lot « menuiseries intérieures » et a souscrit une assurance dommages-ouvrage auprès de la société L’Équité ; qu’après réception des travaux, une expertise a été ordonnée en raison des malfaçons affectant des parties privatives et les parties communes ; que la société Park avenue a assigné en réparation de ses préjudices les intervenants à la construction et leurs assureurs, ainsi que la société L’Équité ; que le syndicat des copropriétaires a assigné la société Park avenue et les intervenants à la construction en réparation de son préjudice ; que ces deux procédures ont été jointes ;
Sur le moyen unique du pourvoi principal,
Sans intérêt
Sur le moyen unique du pourvoi incident :
Attendu que la société Park avenue fait grief à l’arrêt de déclarer irrecevables ses demandes à l’encontre de la société L’Équité prise en sa qualité d’assureur dommages-ouvrage, alors, selon le moyen :
1°/ que toute personne intéressée à la mise en œuvre de l’assurance peut procéder à la déclaration de sinistre ; qu’en affirmant que la société Park avenue, vendeur constructeur non réalisateur ayant souscrit l’assurance dommages ouvrage, n’était pas habilité à effectuer une déclaration de sinistre au titre des malfaçons affectant l’immeuble vendu quand la mise en œuvre de cette garantie au profit des acquéreurs et du syndicat des copropriétaires aurait permis la réparation de leur préjudice et aurait fait obstacle à ce que la responsabilité du vendeur soit invoquée à ce titre, la cour d’appel a violé les articles L. 113-2 et L. 242-1 du Code des assurances ;
2°/ que la qualité pour agir n’est pas subordonnée à la démonstration préalable du bien-fondé de l’action ; qu’en retenant, pour déclarer irrecevable l’action engagée par le maître de l’ouvrage à l’encontre de l’assureur dommages-ouvrage, qu’il ne justifiait pas avoir indemnisé le syndicat des copropriétaires des désordres examinés dans le cadre du litige, quand cette indemnisation n’était pas une condition de recevabilité de son action mais de son succès, la cour d’appel a violé l’article 31 du Code de procédure civile ;
3°/ que, s’il résulte de l’article L. 242-1 du Code des assurances que le bénéfice de l’assurance dommages-ouvrage souscrite par le maître de l’ouvrage se transmet aux propriétaires successifs, le maître de l’ouvrage qui, après la vente, est condamné à prendre en charge les réparations peut demander, alors même qu’il aurait la qualité de promoteur, à être garanti par l’assureur ; qu’en affirmant, pour débouter la société Park Avenue de l’appel en garantie qu’elle avait formé à l’encontre de l’assureur dommages ouvrage, qu’elle ne justifiait pas avoir indemnisé le syndicat des copropriétaires des désordres litigieux relevant la garantie décennale tout en constatant que sa responsabilité était invoquée à ce titre de sorte qu’elle était fondée à être relevée indemne par l’assureur dommages ouvrage des condamnations prononcées à son encontre au profit des copropriétaires, la cour d’appel a violé l’article L. 242-1 du Code des assurances ;
Mais attendu qu’ayant constaté qu’à la date de la déclaration de sinistre auprès de la société L’Équité en qualité d’assureur « dommages-ouvrage », effectuée par la société Park avenue, souscripteur de cette garantie, celle-ci n’était plus propriétaire de l’ouvrage qui avait déjà été réceptionné, ni des parties privatives qu’elle avait vendues et relevé que les garanties de la police « dommages-ouvrage » avaient été transférées au syndicat des copropriétaires et aux acquéreurs et que la société Park avenue n’avait pas qualité pour faire cette déclaration de sinistre à ce titre, la cour d’appel a exactement déduit de ces seuls motifs que ses demandes au titre de cette garantie formées à l’encontre de la société L’Équité étaient irrecevables ;
D’où il suit que le moyen n’est pas fondé ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE les pourvois ;
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DO : Assurance pour compte ou souscription pour compte ?
1. On sait que la doctrine s’est posée – et se pose peut être encore – la question de savoir si l’assurance dommages-ouvrage est une assurance pour compte ou s’il on est en présence d’une assurance souscrite pour compte (sur le débat doctrinal et les conséquences y attachées, voir Lamy assurances 2015, chapitre assurance dommages-ouvrage, J.-P. Karila, n° 3395).
On sait aussi que la Cour de cassation, sans se prononcer expressément sur la nature exacte de l’assurance dommages-ouvrage (assurance de choses pure ou assurance de choses et de responsabilité), a tranché la question en décidant que « sauf le cas de subrogation, le vendeur d’un immeuble après achèvement n’est plus fondé, après la vente, à invoquer le bénéfice de l’assurance de dommages qu’il a souscrite en exécution des prescriptions de l’article L. 242-1 du Code des assurances » (Cass. 1re civ., 22 avr. 1992, n° 90-14597 : RGAT 1992, p. 563, note J. Bigot – déjà dans le même sens, voir Cass. 1re civ., 15 oct. 1991, n° 88-15626 : Bull. civ. I, n° 270 ; RGAT 1991, p. 872, J. Bigot – Cass. 3e civ., 30 mars 1994, n° 92-11996 : Bull. civ. III, n° 70 – voir également Cass. 3e civ., 2 févr. 2005, n° 03-19318 : Bull. civ. III, n° 19).
En revanche, si le souscripteur de la police dommages-ouvrage qu’il s’agisse d’un vendeur d’immeuble à construire ou encore du propriétaire de l’ouvrage, voire même de mandataire dudit propriétaire, supporte après la vente le coût des réparations, il peut demander la garantie de l’assureur dommages-ouvrage en sa qualité de subrogé légalement dans les droits des acquéreurs (Cass. 3e civ., 21 févr. 1995, n° 91-16046 : Bull. civ. III, n° 87 ; RGAT 1995, p. 393, note A. d’Hauteville), sans qu’il puisse lui être dénié cette qualité au double prétexte qu’il était, en sa qualité de vendeur, débiteur de la garantie d’une part, et que la subrogation légale n’existerait qu’au profit d’un débiteur tenu avec d’autres au paiement d’une dette qu’il avait intérêt à acquitter d’autre part, l’assurance dommages-ouvrage étant une assurance destinée à assurer le préfinancement d’un sinistre en dehors de toute recherche de responsabilité (Cass. 1re civ., 8 oct. 1996, n° 93-20918 : Bull. civ. III, n° 338 ; Gaz. Pal. 24 et 25 janv. 1997, doct., p. 5, obs. G. Courtieu : cassation pour violation de l’article 1251, 3e du Code civil et l’article L. 242-1 du Code des assurances).
La haute juridiction a réitéré par un arrêt du 18 octobre 2000 (Cass. 1re civ., 18 oct. 2000, n° 98-13058 : Bull. civ. I, n° 250) la solution en énonçant que s’il résulte de l’article L. 242-1 du Code des assurances que le bénéfice de l’assurance dommages-ouvrage souscrite par le maître de l’ouvrage se transmet aux propriétaires successifs, le maître d’ouvrage qui, après la vente, a pris la charge des réparations, peut cependant demander, alors même qu’il aurait la qualité de promoteur, la garantie de l’assureur en qualité de subrogé dans les droits des propriétaires concernés.
L’emploi du conditionnel concernant la qualité de promoteur s’explique par le fait que l’assureur avait soutenu dans son pourvoi que le souscripteur de la police n’avait jamais eu la qualité de propriétaire de l’ouvrage qu’il avait fait cependant construire mais était « un constructeur responsable des désordres » ; pour rejeter le moyen, la haute juridiction avait alors rappelé comme dit ci-dessus que le maître d’ouvrage pouvait, s’il avait supporté la charge des réparations, revendiquer la garantie de l’assureur en sa qualité de subrogé ajoutant « que c’est donc à bon droit que la cour d’appel, qui a constaté que Monsieur X. avait fait construire l’ensemble immobilier, de sorte que sa qualité de maître d’ouvrage était établie, a statué comme elle l’a fait ».
Un arrêt du 5 juin 2007 (Cass. 3e civ., 5 juin 2007, n° 06-13208) a, dans le même esprit, validé un arrêt de la cour de Versailles qui avait condamné l’assureur dommages-ouvrage au profit du vendeur en VEFA au motif que celui-ci avait la qualité de subrogé dans les droits des actuels propriétaires et qu’il pouvait ainsi demander la garantie de l’assureur dommages-ouvrage sous réserve de justifier au moment de la mise en jeu effective de la garantie le règlement du montant des réparations mises à sa charge.
2. L’arrêt rapporté s’inscrit dans la lignée des arrêts ci-dessus évoqués, rendus à l’occasion de la revendication de la garantie par le souscripteur de la police, vendeur d’immeuble à construire la plupart du temps.
En la circonstance, il s’agissait d’un vendeur d’immeuble à construire qui n’avait conservé la propriété que de certains locaux non-affectés de désordres et ne justifiait pas par ailleurs avoir indemnisé le Syndicat des Copropriétaires.
Le rejet du pourvoi était en conséquence parfaitement justifié dès lors qu’il est clair que le souscripteur d’origine, qui n’est plus propriétaire des locaux affectés de désordres, n’a pas qualité pour déclarer un sinistre affectant des parties communes et privatives de l’ouvrage, transférées par l’effet de la vente aux acquéreurs de l’ouvrage (la Cour de cassation fait néanmoins référence également au transfert des garanties au profit du Syndicat des Copropriétaires).
On soulignera à cette occasion qu’il importe peu que l’assureur, destinataire d’une déclaration de sinistre émanant d’une personne qui n’a pas qualité pour l’effectuer, instruise ladite déclaration de sinistre, comme si celle-ci avait été recevable, l’assureur pouvant ultérieurement dénier, pertinemment en droit, l’absence de qualité du déclarant et lui opposer, comme cela a été le cas dans l’arrêt de la cour de Versailles, validée par l’arrêt rapporté, ledit défaut de qualité, alors même qu’il n’aurait pas respecté le délai de 60 jours, la cour d’appel ayant énoncé, à cet égard, que l’assureur pouvait néanmoins opposer « à celui qui a déclaré le sinistre l’irrecevabilité de sa déclaration pour défaut de qualité puisque le déclarant ne peut percevoir une indemnité destinée à réparer des désordres, qu’il n’a pas lui-même réparé, affectant un ouvrage dont il n’est pas ou plus propriétaire ».
L’assurance doit remplir son office alors même que les conditions de la garantie avant réception ne sont pas réunies
3. La référence, dans le considérant justifiant le rejet du pourvoi, à l’existence de la réception nous conduit à rappeler qu’avant la réception de l’ouvrage, seul le propriétaire vendeur d’immeuble à construire a qualité pour déclarer le sinistre comme le décident de façon habituelle, les juges du fond (CA Montpellier, 11 oct. 2012, n° 11/08271), mais aussi la Cour de cassation qui estime qu’il importe peu que l’assuré n’ait pas – s’agissant de la mise en œuvre de la garantie avant réception de l’ouvrage – fait précéder sa déclaration de sinistre par la délivrance d’une mise en demeure à l’entrepreneur défaillant suivie de la résiliation du contrat de louage d’ouvrage conclu avec celui-ci (Cass. 3e civ., 16 déc. 2009, n° 09-65697 : Bull. civ. III, n° 278 ; RGDA 2010, p. 96, note M. Périer ; RDI 2010, p. 167, obs. P. Dessuet).
Le cas particulier de l’immeuble en copropriété
4. La Cour de cassation a jugé :
– que « du fait de l’aliénation de l’immeuble, le Syndicat des Copropriétaires est le bénéficiaire de l’assurance de dommages-ouvrage » (Cass. 3e civ., 17 mars 1999, n° 97-15800 : Bull. civ. III, n° 69 ; JCP G 1999, IV, n° 1864 ; RGDA 1999, p. 650) solution qui n’est pas rigoureusement pertinente en droit dès lors que le Syndicat des Copropriétaires n’est propriétaire de l’ouvrage, ni dans sa globalité, ni partiellement à concurrence des parties communes ;
– qu’un copropriétaire qui justifie d’un préjudice découlant de désordres de construction affectant les parties communes et portant atteinte à la jouissance des parties privatives des lots lui appartenant, a qualité à agir à l’encontre de l’assureur dommages-ouvrage (Cass. 3e civ., 3 mars 2010, n° 07-21950 : Bull. civ. III, n° 50 ; RGDA 2010, p. 364, note J.-P. Karila) ;
– que la collectivité des propriétaires indivis d’un immeuble, au prorata de leurs tantièmes de propriété réunie en un syndicat était, au même titre que chaque copropriétaire, l’assurée de l’assureur dommages-ouvrage, la police dommages-ouvrage étant une assurance de choses (Cass. 3e civ., 6 juill. 2010, n° 09-66588 : RGDA 2010, p. 1071, note J.-P. Karila).
Il est aussi jugé que le Syndicat des Copropriétaires n’a qualité à déclarer le sinistre que pour les désordres affectant les parties communes tandis que seuls les copropriétaires ont qualité à déclarer le sinistre pour des désordres affectant leurs parties privatives alors même que lesdits désordres auraient pour origine exclusive des défauts ou désordres des parties communes.
Une cour d’appel a d’ailleurs jugé dans un arrêt du 8 novembre 2007 (CA Paris, 8 nov. 2007, n° 04/24034) que le vendeur d’immeuble à construire avait perdu la qualité d’assuré à la livraison de l’immeuble « qualité qui a été transférée aux copropriétaires pour leurs parties privatives et au Syndicat pour les parties communes ».
Le débat doctrinal est dépassé car transcendé par d’autres principes
5. Le débat doctrinal ci-dessus évoqué ne nous semble plus d’actualité et est de facto dépassé par certains principes et solutions qui le transcendent s’agissant :
– de l’affirmation réitérée que l’assurance dommages-ouvrage est une assurance de choses excluant que l’on raisonne, s’agissant de la revendication par un souscripteur vendeur non-subrogé, en termes de responsabilité (Cass. 3e civ., 20 oct. 2004, n° 03-13599 : Bull. civ. III, n° 173) ;
– de l’affirmation réitérée, après un arrêt annonciateur du 21 novembre 2001 (Cass. 3e civ., 21 nov. 2001, n° 00-14728 : Bull. civ. III, n° 132 ; RGDA 2012, note H. Périnet-Marquet ; RDI 2002, p. 129, obs. G. Leguay ; J.-P. Karila, Bull. d’actualités Lamy Assurance, févr. 2002, n° 81 ; Tribune de l’assurance, mars 2002 ; Cahier de jurisprudence n° 118, p. 1), par deux arrêts du 17 décembre 2003 (Cass. 3e civ., 17 déc. 2003, n° 02-19034 : Bull. civ. III, n° 232 – Cass. 3e civ., 17 déc. 2003, n° 01-17608 : Bull. civ. III, n° 234), les deux arrêts ayant fait l’objet d’un commentaire unique (RGDA 2007, p. 100, note J.-P. Karila), du principe selon lequel l’indemnité d’assurance doit obligatoirement être affectée à la réparation de l’ouvrage assuré, principe encore réaffirmé par un arrêt du 12 avril 2005 (Cass. 3e civ., 12 avr. 2005, n° 04-12097).