Assurance RC décennale ; Activité déclarée ; Travaux, techniques particulières nécessitant des compétences spécifiques supposées détenues par l’entrepreneur à la date de la souscription de son contrat d’assurance ; Procédé visé dans la clause relative à l’objet du contrat ; Simple modalité d’exécution de l’activité déclarée (non) ; Activité elle-même (oui) – RGDA mars 2019, p. 41, note Jean-Pierre Karila
1. L’arrêt rapporté, rendu par la 3e chambre civile s’inscrit dans la ligne d’un arrêt rendu par cette même 3e chambre moins de trois mois auparavant (Cass. 3e civ., 8 nov. 2018, n° 17-24488 : FS-PBI) que nous avons commenté dans ces mêmes colonnes (RGDA déc. 2018, n° 116c6, p. 567, note Karila J.-P.), sans pour autant en être l’exacte réplique, comme il sera plus amplement précisé ci-après.
2. On sait que depuis deux arrêts publiés des 29 avril et 28 octobre 1997, la Cour de cassation a posé le principe selon lequel si le contrat d’assurance de responsabilité obligatoire que doit souscrire tout constructeur ne peut comporter des clauses et exclusions autres que celles prévues à l’annexe I de l’article A. 243-1 du Code des assurances, la garantie de l’assureur ne concerne néanmoins que le secteur d’activité professionnelle déclaré par ledit constructeur (Cass. 1re civ., 29 avr. 1997, n° 95-10187 : Bull. civ. I, n° 131 ; RGDA 1997, p. 1044, note Karila J.-P. ; Gaz. Pal. 1997, II, p. 644, note Lesage F. ; Resp. civ. et assur. 1997, comm. n° 238 – et Cass. 1re civ., 28 oct. 1997, n° 95-19416 : Bull. civ. I, n° 295 ; RGDA 1997, p. 1044, note Karila J.-P. ; voir Groutel H., « L’objet de la garantie de l’assureur décennal », Resp. civ. et assur. 1998, chr. n° 4).
3. La coexistence entre :
– le principe d’ordre public énoncé par l’article L. 243-8 du Code des assurances (réitéré à l’article A. 243-1dudit Code) selon lequel tout contrat d’assurance souscrit par une personne assujettie à l’obligation d’assurance au titre de sa responsabilité décennale, est, nonobstant toute clause contraire, réputé comporter des garanties au moins équivalentes à celles figurant dans les clauses types ;
– et la limitation de l’étendue de l’assurance obligatoire de la responsabilité au seul secteur d’activité professionnelle déclaré par l’assuré, le droit positif appliquant de façon constante la solution issue des arrêts précités des 29 avril 1997 et 28 octobre 1997 ;
induit la nécessaire problématique de ce qu’il faut entendre par « secteur d’activité professionnelle déclaré » :
– doit-on se référer à cet égard à l’objet même de l’activité déclarée, peu important les conditions juridiques, économiques, ou encore techniques de la réalisation dudit objet ?
– ou doit-on seulement ou aussi se référer aux strictes déclarations de l’assuré, lesquelles, à l’occasion, peuvent justement porter sur les conditions d’exécution des travaux ou le recours à certains procédés constructifs à l’effet de réalisation de l’objet de l’activité déclarée ?
La problématique est encore complexifiée par le fait qu’il existe :
– pour certaines activités, mais pas pour toutes, des nomenclatures techniques proposées par des organismes professionnels, nomenclatures auxquelles renvoient les contrats d’assurances, de sorte qu’au stade de la rédaction des Conditions Particulières du contrat d’assurance, les parties audit contrat se réfèrent généralement auxdites nomenclatures, en particulier à la codification qu’elles comportent, l’assuré déclarant exercer telle activité n°… de la codification de la nomenclature concernée ;
– tandis que le numéro de la codification considérée peut contenir – comme le révèle un contentieux récurrent à cet égard – des stipulations parfois imprécises ou trop larges…
Faits et procédure
4. Les époux X. confient à une société AJ Construction, assurée au titre de sa responsabilité décennale par la Société AVIVA (ci-après AVIVA), des travaux de surélévation de leur maison d’habitation.
Plusieurs années après l’achèvement des travaux, et sans doute après la réception de ceux-ci (la lecture de l’arrêt de la cour d’appel ne permet pas d’être plus précis), les époux X. se plaignent d’infiltrations d’eau pluviale dont leur assureur refuse de prendre en charge le coût des réparations nécessaires, ce qui conduit Madame X., devenue veuve dans l’intervalle, à introduire une procédure classique de référé expertise qui donne lieu à un dépôt de rapport, sur le fondement duquel elle assigne en réparation la Société précitée AJ Construction, laquelle appelle alors en garantie son assureur de responsabilité décennale AVIVA. Dans le cadre de cette procédure au fond, le Juge de la mise en état prononce la jonction des instances ci-avant évoquées et ordonne une nouvelle expertise.
Au vu du second rapport d’expertise, le tribunal de grande instance de Castres entre en condamnation à l’encontre d’AJ Construction à raison de la responsabilité décennale de celle-ci, mais déboute cette dernière de son action en garantie à l’encontre d’AVIVA.
C’est dans ces circonstances que la cour d’appel de Toulouse, statuant sur les seules dispositions du jugement déféré du tribunal de grande instance de Castres concernant les rapports de la Société AJ Construction et d’AVIVA, confirme ledit jugement en ce qu’il a dit qu’AVIVA ne devait pas sa garantie à son assuré.
Motivation de l’arrêt de la cour d’appel de Toulouse
5. Par un arrêt du 23 octobre 2017, la cour d’appel de Toulouse confirme le jugement du tribunal de grande instance de Castres par adoption des motifs du premier juge (dont il n’est pas utile ici de rappeler les détail) et ses propres motifs ci-après :
– le procédé Harnois est décrit dans le cahier des charges accepté par SOCOTEC, comme permettant d’aménager les combles des maisons particulières et même d’effectuer une surélévation de toiture afin de rendre utilisable l’espace existant entre la couverture et les plafonds, considéré comme perdu par suppression d’une multitude de barres de fermettes en bois ou métalliques, créant un volume libre à toute circulation et accessible à toute forme d’aménagement, la surface supplémentaire ainsi constituée pouvant aller jusqu’à 70 % de la surface habitable et être aménagée en pièce(s) d’habitation ;
– au regard de la réalisation de ce type de travaux conformément à des techniques particulières nécessitant des compétences techniques que l’entrepreneur était supposé détenir à la date de la souscription du contrat d’assurance, les parties ont entendu limiter la garantie de l’assureur, en sorte que le recours au procédé Harnois contenu dans la « clause relative à l’objet du contrat, ne constituait pas une simple modalité d’exécution de l’activité déclarée, mais bien cette activité elle-même » [mis en gras par le rédacteur de la présente note].
Analyse succincte du moyen unique de cassation
6. Aux termes d’un moyen unique à branche unique, la société AJ Construction faisait grief à la cour de Toulouse d’avoir violé les dispositions des articles L. 241-1, L. 243-8 et A. 243-1 du Code des assurances en jugeant que le recours au procédé Harnois contenu dans la clause relative à l’objet du contrat, ne constituait pas une simple modalité de l’activité déclarée, mais bien cette activité elle-même car elle s’était fondée ainsi sur une modalité d’exécution particulière de l’activité d’aménagement de combles et de greniers déclarée par la société AJ Construction, et non sur son objet, et fait ainsi échec aux règles d’ordre public relativement à l’étendue de l’assurance de responsabilité obligatoire en matière de construction, la clause du contrat d’assurance concernant l’activité déclarée et garantie devant, par voie de conséquence, être réputée non écrite en ce qui concerne le recours au procédé constructif Harnois.
La motivation par la Cour de cassation du rejet du pourvoi
7. Pour rejeter le moyen unique du pourvoi, la Cour de cassation adopte les propres motifs de la cour d’appel de Toulouse, fondant sa décision de confirmation du jugement de première instance, en ce que celui-ci avait jugé non mobilisable la garantie de l’assureur de responsabilité décennale.
La Haute Juridiction valide en effet, l’arrêt de la cour d’appel de Toulouse en énonçant qu’ayant relevé que le procédé Harnois permettait l’utilisation d’un espace existant entre la couverture et les plafonds, « considéré a priori comme perdu » et son aménagement en pièce(s) d’habitation, la cour d’appel avait « exactement retenu qu’au regard de la réalisation de ce type de travaux, conformément à des techniques particulières nécessitant des compétences spécifiques que l’entrepreneur était supposé détenir à la date de souscription de son contrat d’assurance, les parties avaient entendu limiter la garantie de l’assureur, en sorte que le recours au procédé Harnois contenu dans la clause relative à l’objet du contrat ne constituait pas une simple modalité d’exécution de l’activité déclarée, mais cette activité elle-même. »
La solution de la cour d’appel de Toulouse, adoptée et reprise par la Cour de cassation, est particulièrement innovante en ce sens que la fusion/assimilation d’une modalité d’exécution de l’activité déclarée à l’activité dont s’agit elle-même, est fondée, de facto, sur l’utilité et l’intérêt du procédé constructif considéré dont la mise en œuvre impliquait que l’assuré ait des compétences techniques particulières.
Prospectives : objet de l’activité déclarée ou stricte application des déclarations de l’assuré ?
8. L’arrêt rapporté s’inscrit, comme déjà dit ci-avant dans la ligne d’un précédent arrêt du 8 novembre 2018 (supra n° 1), sans en être pour autant l’exacte réplique.
Si en effet par l’arrêt du 8 novembre 2018, la Cour de cassation a validé une décision d’une cour d’appel en ce qu’elle avait « exactement déduit » du fait que l’assuré ne contestait pas avoir mis en œuvre un procédé constructif différent de celui visé dans le contrat d’assurance et qu’il ne pouvait se prévaloir de la garantie de l’assureur, « peu important que les deux procédés eussent trait à l’étanchéité » et « par ces seuls motifs, légalement justifié sa décision », en revanche, par l’arrêt rapporté du 30 janvier 2019, la Cour de cassation juge – alors que dans les circonstances de l’espèce rien ne permettait d’affirmer que l’assuré avait eu recours au procédé constructif visé dans la clause concernant l’activité déclarée – que ledit recours (implicitement l’obligation d’avoir recours au procédé constructif dont s’agit) ne constitue pas une modalité d’exécution de l’activité déclarée dont s’agit, mais l’activité elle-même.
9. Dans les deux cas de figures ci-avant évoqués, on voit qu’en définitive, la question de la mobilisation de la garantie obligatoire de l’assureur de responsabilité décennale, a été tranchée par référence aux déclarations de l’assuré quant aux conditions/modalités d’exécution de travaux relevant de l’activité déclarée.
Peut-on dire pour autant que ce serait-là la fin des fluctuations et distorsions jurisprudentielles quant à la détermination du critère décisif de la mobilisation de la garantie obligatoire de l’assureur de responsabilité décennale : stricte application des déclarations de l’assuré concernant l’activité qu’il veut voir assurer, déclarations qui peuvent porter, à l’occasion, sur les conditions d’exécution des travaux liés à la réalisation de l’objet de l’activité dont s’agit, ou objet de l’activité déclarée, peu important les conditions, notamment techniques, de la réalisation dudit objet ?
On rappellera à cet égard que par arrêt publié le 18 octobre 2018 (Cass. 3e civ., 18 oct. 2018, n° 17-23741 : FS-PBRI) la Haute Juridiction a validé un arrêt d’une cour d’appel qui avait rejeté l’action directe d’un particulier qui avait souscrit avec un professionnel un contrat de construction relatif à la construction d’une maison individuelle, d’un garage, d’une piscine, d’un mur de clôture et de restauration d’un cabanon, alors que l’assurance de responsabilité décennale professionnelle garantissait uniquement les travaux de technique courante correspondant aux activités déclarées de gros œuvre, plâtrerie, cloisons sèches, charpentes et ossature bois, couvertures zinguerie, plomberie-installations sanitaires, menuiseries-PVC ; étant souligné que la cour d’appel s’était fondée, pour apprécier si la garantie obligatoire de l’assureur de responsabilité décennale était ou non mobilisable, essentiellement sur les déclarations de l’assuré lors de la souscription du contrat d’assurance, et/ou en la circonstance lors de plusieurs avenants successifs antérieurs à la réalisation des travaux, et non sur l’objet des activités alors déclarées à ces occasions, activités qui auraient permis de facto la construction d’une maison individuelle (voir sur la question notre commentaire de l’arrêt précité du 18 octobre 2018 dans cette même Revue : RGDA déc. 2018, n° 116c6, p. 567).
La très large publicité donnée à l’arrêt du 18 octobre 2018 – qui constitue le contrepied d’un arrêt de principe du 10 septembre 2008 (Cass. 3e civ., 10 sept. 2008, n° 07-14884 : Bull. civ. III, n° 126 ; RGDA 2008, p. 969, note Karila J.-P.) cassant un arrêt d’une cour d’appel qui s’était fondé, pour écarter la mobilisation de l’assurance obligatoire de la responsabilité décennale sur les modalités d’exécution de l’activité déclarée, et non sur son objet (activité déclarée : travaux d’étanchéité de toitures-terrasses ; refus de l’assureur pour des travaux d’application de résines synthétiques) – traduit, à l’évidence, une volonté de clarification de la Haute Juridiction, le rédacteur de la présente note émettant le souhait que cette volonté de clarification ne soit pas cantonnée dans le commentaire du rapport annuel (non paru au jour de la présente note) à la seule question de la construction de maisons individuelles.
Dans ce contexte, on signalera un arrêt du 22 novembre 2018 (Cass. 3e civ., 22 nov. 2018, n° 17-23334 : RGDA janv. 2019, n° 116e3, p. 24, note Karila L.) qui valide l’arrêt d’une cour d’appel qui avait jugé que « les activités de gros œuvre, de couverture-zinguerie, de charpente-ossature ou de bois, et plâtrerie cloisons sèches » n’incluaient pas l’activité particulière et autonome d’ « étanchéité toitures terrasses » consistant en « la mise en œuvre de matériaux bitumeux ou de synthèse sur des supports horizontaux ou inclinés, y-compris la pose et la préparation de supports d’étanchéité », de sorte que ce faisant, la Cour de cassation semble avoir tenu compte des strictes déclarations de l’assuré plutôt que de l’objet de l’activité déclarée.
Il est clair cependant que dans certains cas de figure, la référence à l’objet de l’activité déclarée est déterminante en ce qu’elle permet de palier l’inconvénient de l’imprécision de certaines codifications d’activités, comme évoqué ci-avant (supra n° 3), ou encore d’écarter des prétentions inopérantes d’un assureur qui fonderait son refus de mobilisation de la garantie obligatoire en se référant au texte de déclarations – incidentes ou non – de l’assuré lors de la souscription du contrat relativement aux conditions juridiques ou économiques de la réalisation des travaux destinés à satisfaire à l’objet de l’activité déclarée.
10. En résumé et conclusion, nous estimons qu’il serait hasardeux, lorsqu’il existe un conflit quant à la portée de certaines stipulations du contrat d’assurance relativement à l’activité déclarée, de poser un critère décisif de détermination des conditions de la mobilisation de la garantie obligatoire de l’assureur de responsabilité décennale, critère qui serait, au surplus, pertinent pour toutes les espèces.
Dans le cadre de son appréciation de l’éventuelle mobilisation de la garantie obligatoire de l’assureur de responsabilité décennale, le Juge doit, selon nous, privilégier les déclarations de l’assuré concernant l’activité qu’il veut voir assurer, y-compris lorsque celles-ci se réfèrent aux conditions d’exécution des travaux destinés à atteindre l’objet de ladite activité, du moins lorsque les conditions dont s’agit visent une technique particulière ou à un procédé constructif particulier requérant des compétences techniques particulières, mais aussi prendre en compte, quand cela s’avère nécessaire, pour les raisons ci-avant évoquées (supra n° 9), l’objet de l’activité déclarée.
La primauté donnée aux strictes déclarations de l’assuré a l’avantage, pour l’assureur, dont la garantie, fut-elle obligatoire et strictement encadrée, de correspondre à la couverture du risque tel qu’il a pu l’apprécier à la faveur des déclarations de l’assuré, étant observé que la prise en compte de l’appréciation par l’assureur du risque à assurer, ne doit pas, pour autant, conduire à l’application de la règle proportionnelle énoncée par l’article L. 113-9 du Code des assurances en cas d’omission de déclaration d’une modification/aggravation du risque considéré, comme nous l’avons déjà souligné à l’occasion de notre note/commentaire de trois arrêts rendus par la 3e chambre civile le 17 décembre 2003 (RGDA 2004, p. 113, note Karila J.-P. – Cass. 3e civ., 17 déc. 2003, n° 01-12259 : Bull. civ. III, n° 235 – Cass. 3e civ., 17 déc. 2003, n° 01-12291 – Cass. 3e civ., 17 déc. 2003, n° 02-11539) auquel le lecteur voudra bien se reporter, le principe de la limitation de la garantie de l’assureur de responsabilité décennale au secteur d’activité professionnelle déclaré étant autonome et détaché des règles régissant le contrat d’assurance.