Ancien ID : 660
RDI 2009 p. 371
Une reconnaissance de garantie ne vaut pas reconnaissance de responsabilitéCour de cassation, 3e civ., 11 mars 2009, SDC Le Gaillac/Gan Eurocourtage, pourvoi n° 08-10.905, à paraître au Bulletin ; D. 2009. 949
Laurent Karila, Avocat à la cour
Mais attendu qu’ayant retenu, à bon droit, que la reconnaissance de garantie de l’assureur dommages-ouvrage, dans le cadre d’une assurance de chose, ne peut valoir reconnaissance de responsabilité d’un constructeur et relevé qu’en 1993 et 1994 deux déclarations de sinistre avaient été adressées à la société Gan, assureur dommages-ouvrage, pour des désordres affectant les jardinières en béton de trois appartements et que deux des appartements concernés sur trois avaient été pris en garantie, la cour d’appel, qui n’était pas tenue de procéder à une recherche que ses constatations rendaient inopérante, a légalement justifié sa décision ;
Observations
Moins de dix ans après la réception de l’ouvrage intervenu, le syndicat des copropriétaires obtient (en partie) amiablement la garantie de la Compagnie d’assurances Gan Eurocourtage, prise en sa qualité d’assureur dommages-ouvrage, pour des désordres affectant deux jardinières en béton de trois appartements de la copropriété.
Postérieurement à l’expiration du délai décennal, de nouveaux désordres affectent 125 autres jardinières de la même copropriété, ce qui conduit son syndicat à assigner le maître d’ouvrage vendeur de l’ouvrage immobilier, la SCI du Raisin d’une part et la Compagnie Gan Eurocourtage, d’autre part, prise non plus en qualité d’assureur dommages-ouvrage mais cette fois-ci en sa qualité d’assureur de responsabilité civile décennale selon la police dite CNR (constructeur non réalisateur) souscrite par ladite SCI du Raisin, aux fins de leur condamnation in solidum sur le fondement de l’article 1792 du code civil.
La Cour d’appel de Toulouse dit, à bon droit, irrecevable en raison de la forclusion décennale, l’action du Syndicat qui forme un pourvoi devant la Cour de cassation dont le moyen unique en trois branches pourrait être résumé comme suit :
1°/ que la reconnaissance de garantie de l’assureur assureur dommages ouvrage a nécessairement un effet interruptif à l’encontre de lui-même en sa qualité d’assureur de responsabilité civile décennale du maitre d’ouvrage, l’interruption d’une action pouvant s’étendre à une autre action dès lors que bien « qu’ayant des causes distinctes », elles tendraient « vers un seul et même but », savoir obtenir le paiement du même assureur des travaux de reprises des désordres ; et en d’autres termes, que l’effet interruptif de la prescription résultant de la reconnaissance de garantie de l’assureur dommages-ouvrage ensuite d’une demande en paiement du syndicat des copropriétaires s’étendrait à l’action judiciaire ultérieure du même syndicat à l’encontre du même assureur, peu important que dans le cadre d’une seconde action l’assureur soit recherché au titre d’une autre police d’assurance,
2°/ et qu’en tout état de cause, à défaut de l’interruption de la prescription, la garantie de l’assureur de responsabilité civile décennale pouvait être mobilisée à raison de nouveaux désordres apparus postérieurement à l’expiration de la garantie décennale dès lors que ceux-ci pouvaient être qualifiés de désordres évolutifs, le moyen n’employant pas à proprement parler cette qualification mais énonçant que « des désordres nouveaux constatés au-delà de l’expiration du délai décennal peuvent être réparés au titre de l’article 1792 du code civil s’ils trouvent leur siège dans l’ouvrage où un désordre de même nature a été constaté et s’ils ont été dénoncés à l’assureur du constructeur au titre de la garantie décennale avant l’expiration de ce délai », ce qui revient à invoquer la notion de désordres évolutifs.
Le premier argument a été rejeté par la Cour de cassation au considérant que la cour d’appel avait retenu à bon droit « que la reconnaissance de garantie de l’assureur dommages-ouvrage, dans le cadre d’une assurance de chose, ne peut valoir reconnaissance de responsabilité d’un constructeur ».
Le caractère général de l’énonciation selon laquelle « la reconnaissance de garantie de l’assureur dommages-ouvrage, dans le cadre d’une assurance de chose, ne peut valoir reconnaissance de responsabilité d’un constructeur » (qui répond à la première branche du moyen unique) d’une part et sa prochaine publication du bulletin d’autre part fait manifestement de cet arrêt un arrêt de principe.
L’expression employée par le moyen au pourvoi « deux actions quoiqu’ayant des causes distinctes, tendent vers un seul et même but » fait référence à celle employée par la troisième chambre civile à l’occasion d’un arrêt rendu le 22 septembre 2004(1) qui avait énoncé que « si, en principe, l’interruption de la prescription ne peut s’étendre d’une action à une autre, il en est autrement lorsque les deux actions, quoiqu’ayant des causes distinctes, tendent vers un seul et même but ».
La situation tranchée par la Cour suprême le 22 septembre 2004 était pourtant différente puisqu’elle mettait en jeu un constructeur vendeur qui avait exercé une première action récursoire contre les constructeurs et leurs assureurs ensuite de l’action principale dirigée contre lui par le syndicat des copropriétaires sur le fondement de la garantie décennale finalement écartée par le juge qui avait retenu la responsabilité contractuelle de droit commun des constructeurs ; puis avait exercé une seconde action sur le fondement de ladite responsabilité contractuelle de droit commun des constructeurs en excipant avec succès du caractère interruptif de prescription de sa première action récursoire.
Ensuite du principe sus-évoqué, le résumé de l’arrêt du 22 septembre 2004 poursuivait : « il en est ainsi d’une action récursoire intentée par un promoteur vendeur d’un groupe d’immeubles à l’encontre des constructeurs et assureurs sur le fondement de la garantie décennale et d’une action récursoire intentée par cette même partie à l’encontre des mêmes défendeurs sur celui de la responsabilité contractuelle, toutes deux ayant pour objet d’obtenir la garantie des constructeurs et assureurs de condamnations prononcées au profit d’un syndicat des copropriétaires et des copropriétaires ».
La situation était ici différente puisqu’aucune action n’avait été introduite à l’encontre du maitre d’ouvrage débiteur de la garantie décennale dans le délai décennal.
Le constat fait par la troisième chambre civile « qu’en 1993 et 1994 deux déclarations de sinistre avaient été adressées à la société Gan, assureur dommages-ouvrage, pour des désordres affectant les jardinières en béton de trois appartements et que deux des appartements concernés sur trois avaient été pris en garantie » est suffisant à faire également échec à la deuxième branche du moyen présentée par le syndicat des copropriétaires puisqu’il était ainsi constaté que la condition de dénonciation judiciaire avant l’expiration de la garantie décennale(2), nécessaire à la qualification de désordre évolutif, n’était pas satisfaite dès lors que les désordres survenus pendant ledit délai n’avait fait l’objet que d’une déclaration de sinistre à l’assureur dommages-ouvrage et non pas d’une action judiciaire exercée à l’encontre des constructeurs et/ou du vendeur.
Voici posée une limite (dont nous nous félicitons) aux interprétations extensives des effets interruptifs de prescription que la même troisième chambre civile vient d’écorner de manière critiquable selon nous en attribuant le 24 février 2009, à l’occasion certes d’un arrêt qui n’a pas vocation à être publié au Bulletin(3)) un effet interruptif de prescription erga omnes de l’ordonnance de référé rendant commune à de nouvelles parties la première ordonnance de référé désignant l’expert.
La décision rendue le 11 mars 2009, cohérente en tous points, n’en met pas moins en lumière le fait paradoxal que si le Syndicat n’avait pas sollicité l’application de son contrat d’assurance dommages-ouvrage en 1993/1994, mais avait agi contre les locateurs d’ouvrage sur le fondement de l’article 1792 du code civil, il se serait alors certes privé du mécanisme d’indemnisation rapide de l’assurance dommages-ouvrage mais aurait néanmoins été recevable (si ce n’est bien fondé) à exciper, en 2001, du caractère évolutif des désordres survenus en 1993/1994 et objet d’aggravation/évolution en 2001.
En sorte que sous réserve que le caractère évolutif de désordres ait pu être retenu, connaissance prise de l’évolution jurisprudentielle restrictive de la notion de désordres évolutifs par l’arrêt du 18 janvier 2006(4) selon lequel « de nouveaux désordres constatés au-delà de l’expiration du délai décennal qui est un délai d’épreuve, ne peuvent être réparés au titre de l’article 1792 du code civil que s’ils trouvent leur siège dans l’ouvrage où un désordre de même nature avait été constaté et dont la réparation avait été demandée en justice avant l’expiration de ce délai », il eût été rétroactivement plus habile d’assigner les constructeurs jusqu’à et y compris la SCI venderesse plutôt que de mettre en oeuvre l’assurance dommages-ouvrage. Mais il est souvent facile de voir plus clairement le passé que l’avenir… puisqu’il eut fallu de surcroît savoir apprécier techniquement en 1993/94, le risque d’évolution/aggravation des désordres apparus en 2001.
On terminera ce propos en précisant que l’effet interruptif de la reconnaissance de responsabilité est certes régi par l’article 2248 du code civil qui dispose « la prescription est interrompue par la reconnaissance que le débiteur ou le possesseur fait du droit de celui contre lequel il prescrivait » mais aussi par le nouvel article 2240 du code civil (introduit par la loi du 17 juin 2008) applicable aux actions engagées après le 19 juin 2009 et qui énonce que « la reconnaissance par le débiteur du droit de celui contre lequel il prescrivait interrompt le délai de prescription »(5).
Mots clés :
ASSURANCE * Assurance dommages-ouvrage * Reconnaissance de garantie * Reconnaissance de responsabilité
(1) Civ. 3e, 22 sept. 2004, n° 03-10.923, Bull. civ. III, n° 152, RGDA 2005. 1, note M. Bruschi, p. 176.
(2) Civ. 3e, 3 déc. 1985, Bull. civ. III, n° 159, RDI 1986. 209 ; Civ. 3e, 15 mars 1989, n° 88-10.601 ; Civ. 3e, 18 nov. 1992, Bull. civ. III, n° 297.
(3) Civ. 3e, 24 févr. 2009, n° 08-12.746.
(4) Civ. 3e, 18 janv. 2006, n° 04-17.400, Bull. civ. III, n° 17.
(5) Dans le même sens : CA Toulouse, 17 déc. 2007, Peytavy c/ Compagnie nationale suisse Assurances Iard, JurisData n° 2007-352707.
Source : Cass. 3e civ., 11 mars 2009, n° 08-10905
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