Ancien ID : 405
Dans un arrêt de principe du 30 novembre 2007, la Chambre mixte de la Cour de cassation apporte une solution particulièrement nette à la question de l’applicabilité de la loi n° 75-1334 du 31 décembre 1975 relative à la sous-traitance à propos de contrats de sous-traitance transnationaux.Faits – En l’espèce, il s’agissait d’un contrat d’entreprise conclu entre un maître de l’ouvrage français (la société Basell) et une société allemande (société SAB) en vue de l’édification d’un immeuble à usage industriel.
L’entrepreneur principal sous-traitait le lot plomberie à une société française (société Agintis) par deux contrats de sous-traitance, contrats qui prévoyaient expressément qu’ils seraient soumis à la loi allemande.
Procédure – La troisième chambre civile, saisie d’un pourvoi contre un arrêt de la Cour de Versailles, décidait, par arrêt du 31 mai 2007, de saisir la chambre mixte (Cass. 3ème civ., 31 mai 2007, n° 06-14006).
Le premier président de la Cour de cassation décidait que la chambre mixte serait composée des première et troisième chambres ainsi que la chambre commerciale, financière et économique de même que la chambre sociale.
Cette composition quasi-plénière (seule manque à l’appel la deuxième chambre) souligne la volonté d’énoncer une solution ayant vocation à s’appliquer de manière uniforme dans le contentieux de ces différentes chambres.
Enjeu du litige – L’intérêt premier de l’arrêt, dépassant d’ailleurs le cadre de la stricte saisine de la Cour, est d’apporter un éclairage sur la question de l’application de la loi précitée du 31 décembre 1975 en présence d’une clause du contrat prévoyant de soumettre les litiges à une loi étrangère.
Solution – La chambre mixte combine ici deux dispositions de la Convention de Rome du 19 juin 1980 sur la loi applicable aux obligations contractuelles :
– d’une part l’article 3 en vertu duquel « 1. Le contrat est régi par la loi choisie par les parties. Ce choix doit être exprès ou résulter de façon certaine des dispositions du contrat ou des circonstances de la cause. Par ce choix, les parties peuvent désigner la loi applicable à la totalité ou à une partie seulement de leur contrat.« ;
– d’autre part l’article 7 en vertu duquel « 1. Lors de l’application, en vertu de la présente convention, de la loi d’un pays déterminé, il pourra être donné effet aux dispositions impératives de la loi d’un autre pays avec lequel la situation présente un lien étroit, si et dans la mesure où, selon le droit de ce dernier pays, ces dispositions sont applicables quelle que soit la loi régissant le contrat. Pour décider si effet doit être donné à ces dispositions impératives, il sera tenu compte de leur nature et de leur objet ainsi que des conséquences qui découleraient de leur application ou de leur non-application. 2. Les dispositions de la présente convention ne pourront porter atteinte à l’application des règles de la loi du pays du juge qui régissent impérativement la situation quelle que soit la loi applicable au contrat. »
Écartant la prévision contractuelle des parties, elle fait primer la loi française au motif que la loi précitée du 31 décembre 1975 est une « loi de police » au sens combiné de l’article 3 du Code civil et des articles 3 et 7 précités de la Convention de Rome.
Raisonnement (reconstitution) – Bien que la Cour de cassation ne motive pas véritablement sa décision sur ce point, il semble que l’on peut reconstituer le raisonnement ayant conduit à sa décision au moyen du raisonnement suivant :
– la stipulation contractuelle des parties aurait dû conduire à l’application de la loi allemande par application de l’article 3,1° de la Convention de Rome précité ;
– mais l’article 7 de cette convention écarte l’application de la règle « normale » issue de la Convention (ici application de l’article 3, 1°) à la double condition que la loi éludée soit impérative (première condition) et que la situation présente un lien étroit avec ce pays (seconde condition);
– en l’espèce, tel était le cas dès lors que la loi précitée du 31 décembre 1975 a un caractère d’ordre public (en considération souligne l’arrêt du caractère protecteur de ces dispositions) et qu’il existait bien un lien étroit avec le litige dès lors que la prestation concernait un immeuble construit en France.
Dès lors, la loi française trouve ici à s’appliquer, nonobstant la volonté contraire exprimée par les parties, en considération du lieu de situation de la construction de l’immeuble (en France).
Mise en perspective – Cette solution est manifestement contraire à celle retenue il y a peu par la première chambre civile de la Cour de cassation (position qui a probablement conduit la troisième chambre à demander la réunion d’une chambre mixte).
Dans un arrêt du 23 janvier 2007 (Cass. 1ère civ., 23 janvier 2007, n° 04-10897, Bull. civ. 2007, I, n°), la première chambre avait, dans des circonstances analogues (sous-traitant français d’un entrepreneur général allemand pour des travaux immobiliers réalisés en France et à propos d’un contrat de sous-traitance soumis en principe par accord des parties à la loi allemande), retenu, à propos d’une action directe en paiement, que :
– dès lors que « le contrat d’entreprise et le contrat de sous-traitance étaient tous deux régis par la loi allemande choisie par les parties«
– et que la loi allemande « ne conférait pas au sous-traitant une action directe lui permettant d’obtenir, auprès du maître de l’ouvrage, le paiement de tout ou partie des créances qu’il détenait à l’encontre de l’entreprise principale« ,
« la cour d’appel a exactement décidé, par une décision motivée, que la loi allemande n’était pas contraire à l’ordre public international français et que l’article 12 de la loi du 31 décembre 1975 sur la sous-traitance n’était pas une loi de police régissant impérativement la situation au sens de l’article 7-2 de la Convention de Rome du 16 juin 1980« .
Elle est encore contraire à un arrêt de la Cour de Paris du 27 juin 2007 (CA Paris, 19ème A, 27 juin 2007, jurisdata n° 2007-337250), probablement rendu en considération de l’arrêt du 23 janvier 2007.
Portée de l’arrêt (certitudes et interrogations) – La solution énoncée par la Cour de cassation est doublement limitée :
– à la construction d’un immeuble en France (élément déterminant pour caractériser le lien étroit avec le litige ie. « la situation » vise l’article 7 de la Convention de Rome) ;
– aux dispositions de la loi du 31 décembre 1975 « protectrices du sous-traitant« .
Cette dernière condition appelle des éclaircissements ultérieurs.
Le présent arrêt portant sur l’action directe du sous-traitant contre le maître de l’ouvrage, il en découle implicitement mais nécessairement que relève de cette catégorie les articles 12 et 13.
La difficulté essentielle concerna notamment les actions en responsabilité délictuelle intentées par le sous-traitant contre le maître de l’ouvrage sur le fondement de l’article 14-1 de la loi du 31 décembre 1975.
On rappellera que, relativement à cette question, un arrêt de la 23ème chambre de la Cour de Paris (CA Paris, 23ème A, 24 novembre 1999, jurisdata n° 1999-101121) avait estimé que l’action intentée sur le fondement de l’article 14-1 précité ayant un fondement délictuel, l’article 3 également précité de la Convention de Rome n’avait pas vocation à s’appliquer au motif que cette convention ne visait que les relations contractuelles entre parties.
Source : Ch. mixte, 30 novembre 2007, n° 06-14006, Bull. 2007, chambre mixte, n°12.
© – Karila – Cyrille Charbonneau