Ancien ID : 901
CE, 7 octobre 2009, Sous-sections 7 et 2 réunies, n° 308163, Publié aux tables du Recueil LebonExtrait :
« Considérant qu’aux termes de l’article 2244 du code civil dans sa rédaction alors applicable : Une citation en justice, même en référé, un commandement ou une saisie, signifiés à celui qu’on veut empêcher de prescrire, interrompent la prescription ainsi que les délais pour agir. et de l’article 2270 du même code Toute personne physique ou morale dont la responsabilité peut être engagée en vertu des 1792 à 1792-4 du présent code est déchargée des responsabilités et garanties pesant sur elle, en application des articles 1792 à 1792-2, après dix ans à compter de la réception des travaux ou, en application de l’article 1792-3, à l’expiration du délai visé à cet article. ; qu’il résulte de ces dispositions applicables à la responsabilité décennale des architectes et des entrepreneurs à l’égard des maîtres d’ouvrage publics, qu’une citation n’interrompt la prescription qu’à la double condition d’émaner de celui qui a qualité pour exercer le droit menacé par la prescription et de viser celui-là même qui en bénéficierait ;
Considérant que pour admettre la recevabilité au-delà de l’expiration du délai de dix ans de l’action en garantie décennale engagée par le département de la Gironde, la cour administrative d’appel s’est fondée sur la circonstance que les désordres invoqués avaient fait l’objet dés 1993, dans le cadre de l’action engagée par le département à l’encontre de son assureur dommage-ouvrage devant le tribunal de grande instance de Bordeaux, de citations en justice au sens de l’article 2244 du code civil ayant eu pour effet d’interrompre le délai d’action en garantie décennale à l’encontre des sociétés Sneg Fayat et ATMO ; que, toutefois, ces demandes en référé ont été introduites par le département de la Gironde, maître de l’ouvrage, en raison de désaccords avec son assureur dommages-ouvrage sur le montant de la réparation des désordres constatés ; que si ce dernier a rapidement appelé en garantie, le constructeur, le maître d’oeuvre et leurs assureurs, ceux-ci n’étaient pas directement visés par la citation qui, de ce fait et contrairement à ce qu’a retenu l’arrêt attaqué, n’a pu interrompre la prescription à leur égard ; qu’il suit de là que l’arrêt attaqué est entaché d’erreur de droit ; que la SOCIETE ATELIER DES MAITRES D’ŒUVRE ATMO et la COMPAGNIE LES SOUSCRIPTEURS DU LLOYD’S DE LONDRES sont, pour ce motif, fondées à en demander l’annulation ;
Considérant que dans les circonstances de l’espèce, il y a lieu, en application de l’article L. 821-2 du code de justice administrative, de régler l’affaire au fond ;
Sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens de la requête ;
Considérant qu’une ordonnance de référé a un effet interruptif de prescription à l’égard des seules parties appelées à la procédure initiale, pour les chefs de préjudice procédant du sinistre en litige ;
Considérant que le délai d’action décennale du département de la Gironde à l’égard du constructeur et du maître d’oeuvre a commencé à courir à la date où les réserves ont été levées, soit le 15 décembre 1988, et a donc expiré le 15 décembre 1998 ; que la requête, en date du 10 avril 2000, tendant à leur condamnation au titre de la responsabilité décennale des architectes et des entrepreneurs à l’égard des maîtres d’ouvrage, a été enregistrée le 10 avril 2000, postérieurement à l’expiration du délai décennal ; qu’à défaut de mise en cause du constructeur et du maître d’oeuvre dans la procédure initiale, la prescription décennale relative à l’ouvrage en cause n’a pu être suspendue par les ordonnances du juge des référés du tribunal de grande instance de Bordeaux faisant droit aux demandes de mesure d’instruction présentées avant tout procès ; que le délai de mise en jeu de la garantie décennale étant expiré, la SOCIETE ATELIER DES MAITRES D’ŒUVRE ATMO et la COMPAGNIE LES SOUSCRIPTEURS DU LLOYD’S DE LONDRES sont fondées à soutenir que c’est à tort que le tribunal administratif a retenu la responsabilité de la SOCIETE ATELIER DES MAITRES D’ŒUVRE ATMO et de la Sneg Fayat et à demander pour ce motif l’annulation du jugement du tribunal administratif de Bordeaux du 24 février 2005 les condamnant solidairement à verser au département de la Gironde une indemnité de 84 243,82 euros en réparation des dommages subis lors de la construction d’un centre d’hébergement et de loisirs à Lacanau; que la demande présentée à ce titre devant le tribunal administratif doit être rejetée ; »
Note :
Cet arrêt du Conseil d’Etat statue sur l’étendue de l’effet interruptif du délai de forclusion décennale et invite à réfléchir à ses conséquences pratiques dans le cadre d’une action du maître d’ouvrage et/ou de son assureur dommages ouvrage.
Au considérant qu’en application des anciens articles 2244 et 2270 du Code civil, une citation n’interrompt la prescription qu’à la double condition d’émaner de celui qui a qualité pour exercer le droit menacé par la prescription et de viser celui-là même qui en bénéficierait, le Conseil d’Etat énonce qu’une « ordonnance de référé a un effet interruptif de prescription à l’égard des seules parties appelées à la procédure initiale, pour les chefs de préjudice procédant du sinistre en litige ».
Le Conseil d’Etat considère ainsi que l’effet interruptif de forclusion de l’action en ordonnance commune de l’assureur dommages ouvrage -qui avait été lui-même assigné par son assuré maître d’ouvrage public- introduite à l’encontre des locateurs d’ouvrage avant l’expiration du délai décennal, ne pouvait être étendu audit maître d’ouvrage insuffisamment indemnisé et qui avait agit au fond contre les locateurs d’ouvrage postérieurement au délai d’épreuve dès lors qu’il ne les avait pas lui-même assignés avant l’expiration du délai décennal et n’avait donc pas interrompu ledit délai à leur égard.
Ce faisant le Conseil d’Etat maintient une lecture littérale de l’ancien article 2244 qui disposait qu’une « citation en justice, même en référé, un commandement ou une saisie, signifiés à celui qu’on veut empêcher de prescrire, interrompent la prescription ainsi que les délais pour agir.» (dont la forclusion décennale) et refuse donc tout effet erga omnes de l’ordonnance rendant l’ordonnance initiale désignant l’expert judiciaire commune à de nouvelles parties mises en cause dans le cadre de l’expertise judiciaire.
Le juge judiciaire fait une lecture différente de ce texte, à l’occasion d’arrêts récents des 2ème et 3ème chambres civiles de la Cour de cassation, le dernier en date du 22 octobre 2009 rendu par la 2ème chambre civil au visa de l’article 2244 et à propos de la prescription biennale des articles L. 114-1 et L. 114-2 du Code des assurances (Cass. 2e civ., 22 octobre 2009, n° 08-19840, Bull. à venir) énonçant que « toute décision judiciaire apportant une modification quelconque à une mission d’expertise, ordonnée par une précédente décision, a un effet interruptif de prescription à l’égard de toutes les parties et pour tous les chefs de préjudice procédant du sinistre en litige ; ». La troisième chambre s’était rallié à la même interprétation le 24 février 2009 (Cass. 3e civ., 24 Février 2009 n° 08-12746) en opérant un revirement par rapport à celui du 21 mai 2008 (Cass. 3e civ. 21 mai 2008 n° 07-13561, Bull. n° 91) qui énonçait jusqu’à lors comme le Conseil d’Etat (de manière stricte et selon nous cohérente avec les termes de l’article 2444 du Code civil) que « L’ordonnance de référé déclarant commune à d’autres constructeurs une mesure d’expertise précédemment ordonnée, n’a pas d’effet interruptif de prescription à l’égard de ceux qui n’étaient parties qu’à l’ordonnance initiale ».
Voici donc une divergence notable d’interprétation entre le juge de l’ordre administratif et le juge de l’ordre judiciaire, ce dernier ayant été peut être plus influencé par la loi du 17 juin 2008 sur la prescription puisque le nouvel article relatif à l’effet interruptif de prescription de l’action en justice même introduite en référé, savoir l’article 2241 du Code civil, ne fait plus mention comme le faisait encore l’ancien article 2244 du Code civil, de ce que la citation en justice devait être signifié à « celui qu’on veut empêcher de prescrire », l’article 2241 alinéa premier disposant seulement « La demande en justice, même en référé, interrompt le délai de prescription ainsi que le délai de forclusion. », sans référence à l’effet interruptif de prescription limité aux personnes à l’encontre de qui est exercé l’action judiciaire.
Cette acception par l’ordre judiciaire de l’effet interruptif de prescription et de forclusion erga omnes de l’extension de la mission de l’expert à d’autres parties que celles initialement mises en cause, est aujourd’hui conjuguée de façon cohérente avec la dernière position de la 3ème chambre civile de la Cour de cassation qui énonce que le bénéfice de l’interruption de la prescription décennale n’est pas subordonné, au stade des référés, au paiement de l’indemnité d’assurance dommages ouvrage avant l’expiration de la prescription (Cass. 3e civ., 4 juin 2009, n° 07-18960, Bull. à venir, RDI n°9 septembre 2009, p. 493, note Laurent Karila ; et Cass. 3e civ., 8 septembre 2009, n° 08-17012, Bull. à venir) en sorte que l’assureur dommages ouvrage déjà assigné par son assuré aux côtés de certains locateurs d’ouvrage aux fins de la désignation d’un expert judiciaire pourrait en appeler d’autres à l’expertise judiciaire sans avoir besoin, pour bénéficier de l’effet interruptif de forclusion à leur égard, d’assigner toutes les parties déjà mises en cause.
Dès lors que dans la situation factuelle ayant donné lieu à l’arrêt du Conseil d’Etat du 7 octobre 2009, il ne s’agissait pas de statuer sur la poursuite d’une action subrogatoire in futurum de l’assureur dommages ouvrage, mais sur l’action au fond du maître d’ouvrage public contre les locateurs d’ouvrage, la question de savoir si l’assureur dommages ouvrage qui n’aurait pas été subrogé avant l’expiration du délai d’épreuve mais seulement avant l’expiration de délai d’action et avant que le juge ne statue n’a pas été abordé par le Conseil d’Etat (qui n’a pas à notre connaissance statuer sur la question à ce jour aussi précisément que ne l’a fait la 3ème chambre civile les 4 juin et 8 septembre 2009 dans les arrêts précités).
© Karila