Les acteurs de laconstruction n’ont de cesse de se plaindre de l’insécurité juridique dans laquelle ils évoluent au quotidien : les recours formés contre les autorisations d’urbanisme sont en effet une cause (trop) fréquente de paralysie, voire l’abandon des projets de construction.
Longueur des procédures contentieuses, complexité et instabilité des normes à l’origine d’annulations fréquentes des permis d’aménager ou de construire, multiplication des recours parfois motivés par des considérations étrangères à la défense de l’urbanisme, les griefs formulés par les professionnels sont nombreux et souvent justifiés.
Les plaideurs quant à eux, notamment les associations de défense de l’environnement et de l’urbanisme, rétorquent que l’accès au juge constitue un droit fondamental, qui garantit de surcroît l’effectivité de la règle d’urbanisme.
Depuis plusieurs années, les réformes du contentieux de l’urbanisme se succèdent dans l’objectif d’améliorer la sécurité juridique des opérateurs.
Parmi elles, rappelons les dispositions des articles suivants du code de l’urbanisme :
– L.600-1 : limitation des possibilités d’invoquer l’illégalité d’un document d’urbanisme à l’occasion d’un recours contre une autorisation d’urbanisme,
– L.600-1-1 : irrecevabilité des recours formés par des associations dont les statuts ont été déposés postérieurement à l’affichage en mairie de la demande du pétitionnaire
– L.600-4-1 : obligation faite au juge de se prononcer, dans tous les contentieux intervenant en matière d’urbanisme, sur l’ensemble des moyens qu’il estime fondés en l’état de l‘instruction (par dérogation au principe dit « d’économie des moyens »)
– R.600-1 : obligation de notifier les recours contre les autorisations d’urbanisme à leur auteur et à leur bénéficiaire dans les 15 jours suivant la saisine du tribunal
De la même manière, la jurisprudence est parfois venue améliorer la situation des bénéficiaires d’autorisations, quitte à écorner certains principes anciens du contentieux administratif (Notamment : CE, 2 février 2004, SCI La Fontaine de Villiers, n° 238315 : Toute illégalité entachant un permis de construire est susceptible d’être régularisée a posteriori par la délivrance d’un permis modificatif, par dérogation au principe selon lequel la légalité d’un acte administratif s’apprécie à la date de son édiction).
L’ordonnance n° 2013-638 du 18 juillet 2013, ainsi que le décret n° 2013-879 du 1er octobre 2013, tous deux relatifs au contentieux de l’urbanisme, s’inscrivent dans cette lignée législative et jurisprudentielle.
Ces deux textes font suite à la remise, le 25 avril 2013, d’un rapport commandé par la Ministre du logement à un groupe de travail présidé par Monsieur Daniel LABETOULLE, ancien président de la section du contentieux du Conseil d’État, dont ils reprennent une partie des propositions. Leur objectif est de simplifier l’acte de construire, notamment pour la production de logements.
En substance, les modifications introduites dans le code de l’urbanisme sont les suivantes :
En premier lieu, l’ordonnance définit la notion d’intérêt à agir en matière de recours contre les autorisations d’urbanisme.
Désormais, un voisin n’est recevable à attaquer un permis de construire, d’aménager, ou de démolir qu’à la condition que le projet contesté soit « de nature à affecter directement les conditions d’occupation, d’utilisation ou de jouissance du bien qu’elle détient ou occupe régulièrement ou pour lequel elle bénéficie d’une promesse de vente, de bail, ou d’un contrat préliminaire mentionné à l’article L. 261-15 du code de la construction et de l’habitation. » (nouvel article L.600-1-2).
Il appartiendra à la jurisprudence d’indiquer si cette nouvelle définition modifie l’état du droit préexistant, ou si elle se borne à le codifier à droit constant.
En deuxième lieu, l’intérêt à agir du requérant s’apprécie désormais à la date d’affichage en mairie de la demande d’autorisation contestée, alors qu’il est constant, en contentieux administratif « général », que l’intérêt à agir s’apprécie à la date d’introduction de la requête.
Le texte modère toutefois cette nouvelle règle en permettant au requérant de justifier d’un intérêt à agir né postérieurement à l’affichage susmentionné en justifiant de « circonstances particulières ».
En troisième lieu, l’ordonnance insère deux nouveaux articles qui organisent les modalités de régularisation, soit en cours d’instance (nouvel art. L.600-5-1), soit après une annulation partielle (nouvel art. L.600-5), d’autorisations illégales.
Dans les deux cas, le juge se prononce sur l’ensemble des moyens : ceux qu’il estime fondés, et ceux qu’il estime non fondés, ce qui confère aux bénéficiaires d’autorisations une meilleure lisibilité sur la faisabilité de leur projet.
En troisième lieu, l’ordonnance a ouvert la possibilité, pour les bénéficiaires de permis de construire, d’aménager et de démolir, de demander des dommages et intérêts pour recours abusif directement devant le juge administratif à l’occasion du recours en annulation dirigé contre leur permis (nouvel article L.600-7).
Le succès de cette demande reconventionnelle est toutefois conditionné par la double démonstration que le recours est formé dans des conditions qui, d’une part, « excèdent la défense des intérêts légitimes du requérant » et, d’autre part, « causent un préjudice excessif au bénéficiaire du permis ».
Ce texte ne manquera pas de susciter des débats quant à son interprétation, les conditions qu’il édicte semblant plus restrictives que celles actuellement exigées par les juridictions civiles statuant sur des demandes similaires.
Il conviendra donc, pour les bénéficiaires d’autorisation, de s’interroger au cas par cas sur la stratégie contentieuse à mettre en œuvre et sur l’opportunité de demander des dommages et intérêts à la juridiction administrative plutôt qu’à la juridiction civile, si tant est que cette dernière voie reste ouverte, ce que le texte ne dit pas.
Notons toutefois à ce sujet que le groupe de travail « Labetoulle », qui s’était prononcé en faveur d’une telle innovation, avait expressément indiqué que sa mise en œuvre devrait restait « très rare » eu égard à sa « vocation surtout symbolique et dissuasive ».
En quatrième lieu, l’ordonnance impose, à peine de nullité, l’enregistrement auprès de l’administration fiscale des transactions prévoyant le désistement d’un recours dirigé contre une autorisation d’urbanisme en contrepartie du versement d’une somme d’argent ou de l’octroi d’un avantage en nature.
En cinquième lieu, le décret permet au juge administratif de fixer, à la demande d’une partie, une date au-delà de laquelle de nouveaux moyens ne peuvent plus être soulevés (nouvel article R.600-4).
On sait qu’actuellement, de nouveaux moyens sont susceptibles d’être soulevés sans délai, y compris en appel, dès lors qu’ils relèvent d’une cause juridique elle-même ouverte dans le délai de recours contentieux (légalité externe et légalité interne).
Ce nouveau dispositif, dit de « cristallisation des moyens », pourrait permettre de mettre à mal la stratégie de certains requérants consistant à présenter leurs moyens au « compte goutte », tactique parfois mise en œuvre afin de contourner la possibilité dont dispose le bénéficiaire de l’autorisation attaquée de purger certains vices régularisables en sollicitant la délivrance d’un permis modificatif.
L’objectif est ici de limiter les recours à caractère « mafieux », tout en préservant la possibilité de transiger avec les requérants de bonne foi.
En sixième et dernier lieu, le décret limite fortement la possibilité d’interjeter appel de certains jugements de tribunaux administratifs.
Il s’agit d’une mesure provisoire, applicable aux recours déposés entre le 1er décembre 2013 et le 1er décembre 2018.
Elle s’appliquera aux recours formés contre :
– les permis de construire et de démolir portant sur des constructions à usage principal d’habitation
– les permis d’aménager portant sur des lotissements
dès lors que le projet attaqué est situé en tout ou partie dans une commune au sein de laquelle s’applique la taxe annuelle sur les logements vacants.
En définitive, il ne nous semble pas que ces nouveaux outils soient de nature à révolutionner les pratiques contentieuses en matière d’urbanisme :
– la nouvelle définition codifiée de l’intérêt à agir semble relativement proche de l’ancienne définition jurisprudentielle.
– la modification de la date d’appréciation de l’intérêt à agir ne devrait avoir une incidence que dans un nombre limité de dossiers
– les possibilités de régulariser une autorisation d’urbanisme pendant ou après l’instance étaient déjà prévues par la jurisprudence
– la possibilité de formuler des demandes reconventionnelles de dommages et intérêts pour recours abusifs devrait, certes, être dissuasive dans certains cas, mais elle pose un nombre important de difficultés qui limiteront probablement l’usage qu’en feront les opérateurs (La voie civile restera-t-elle ouverte si le juge administratif n’a pas été saisi d’une demande reconventionnelle ? Sera-t-il possible d’obtenir la désignation d’un expert devant le juge administratif pour faire chiffrer son préjudice ? Si le juge de l’excès de pouvoir est compétent pour indemniser le seul « préjudice excessif », conviendra-t-il de saisir le juge civil pour faire réparer le préjudice « non excessif » ? Comment articuler cette procédure lorsque plusieurs autorisations d’urbanisme successives pour un même projet auront été attaquées dans le cadre d’actions distinctes par un ou plusieurs requérants devant le juge administratif ? etc…)
– la nouvelle procédure de « cristallisation des moyens » peut sembler relativement sévère pour les requérants qui peinent parfois à obtenir l’ensemble des pièces leur permettant d’examiner la légalité de l’ensemble du projet attaqué. Au demeurant, on peut douter de l’intérêt d’une telle mesure alors que le juge dispose déjà de la possibilité de clôturer l’instruction dès qu’il le juge utile.
– la limitation provisoire du droit d’interjeter appel s’agissant de certains projets situés dans des communes marquées par un déséquilibre entre l’offre et la demande de logement risque parfois de se retourner contre les porteurs de projet dont l’autorisation aura été annulée par le tribunal et qui se trouveront privés d’une voie de recours efficace…
Au final, il apparaît que seule une véritable simplification du droit de l’urbanisme et du droit de l’environnement permettra de sécuriser les acteurs et de favoriser efficacement la réalisation de projets.
Sources :
Ordonnance n° 2013-638 du 18 juillet 2013 relative au contentieux de l’urbanisme
Décret n° 2013-879 du 1er octobre 2013 relatif au contentieux de l’urbanisme